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ET APRÈS « LE JOUR D’APRÈS » ?

Comment sortir de ce brouillard persistant ?

« La pandémie réveille en nous le sens du tragique. "On se rend compte soudain d’évidences oubliées"  dit l’écrivain-aventurier Sylvain Tesson, qui demande : "Que ferons-nous de cette épreuve ?". Oui, nous parachutistes : que ferons-nous de cette épreuve ? », était-il écrit dans ParaMag en avril 2020 sous le titre « Le jour d’après », sans imaginer qu’un an plus tard, une éternité, le jour d’après le confinement serait le reconfinement ou le couvre-feu.

Par Yves-Marie Guillaud

« Après le coronavirus, il y aura des changements, c’est la règle », déclarait le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste de la résilience, cette faculté des individus à vaincre des situations traumatiques. Alors il était encore écrit dans ParaMag : « Le parachutisme ne sortira sans doute pas de cette crise sans de nécessaires changements. Toutes les structures, toutes les écoles, tous les clubs, la FFP elle-même sont fermés. Apparaît clairement l’inanité des rivalités, des conflits, des comportements égotiques. Cette crise affectera l’équilibre économique des structures de parachutisme. Ce pourrait être le moment d’une refondation de nos pratiques parachutistes. À tout le moins est-ce le moment de réfléchir à ce qui nous relie et d’imaginer des orientations pour améliorer ces liens. »

Las ! L’écrivain Michel Houellebecq, certes toujours plutôt dépressif, prophétisait que « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire », apportant ainsi une note pessimiste à l’analyse conjointe du fondateur et du directeur  du Forum économique mondial de Davos (K.Schwab et T.Malleret) selon laquelle « Beaucoup d’entre nous se demandent quand les choses redeviendront à la normale. Pour faire court, la réponse est : jamais ». Nicolas Hulot affirmait lui aussi que « Le jour d’après, ce ne sera pas un retour au jour d’avant ».

Une perspective était déjà exposée dans ParaMag, toujours en avril 2020 : « L’aggiornamento du parachutisme pourrait débuter par notre manière de vivre. Boris Cyrulnik fait référence aux anciennes valeurs : « Quand l’épidémie sera terminée, on constatera que l’on aura dépoussiéré d’anciennes valeurs qui nous serviront à mettre au point une nouvelle manière de vivre ensemble ».

Dans une lettre au Père Noël de décembre 2007 pour laquelle l’iconoclaste avait été félicité par la présidente de la FFP, et dont nous pourrions nous inspirer pour faire mentir Michel Houellebecq, il était écrit: « De l'époque où j'étais un jeune parachutiste, je conserve le souvenir vivace et ému d'une fraternité entre tous. Sauter en parachute faisait entrer dans une sorte de confrérie dans laquelle tous se retrouvaient autour de l'essentiel ce qui n'excluait pas des chamailleries. Une confrérie de ceux qui ont passé la porte et tiré la poignée. Une fraternité en chute et en poignée ».

Mais au-delà des bonnes intentions et des belles images, quelles sont les perspectives concrètes en ce mois de mars 2021 ? Quelles sont les données objectives pour y réfléchir ? Deux bases de départ :

L’évolution du nombre de licences « pratiquants » ces vingt dernières années (chiffres annuels publiés sur le site de la FFP, rubrique statistiques) :
2000 : 13.602  —  2005 : 13.544  —  2010 : 13.176  —  2015 : 13.677  —  2019 : 13.100

L’évolution du nombre de licences tandem dans le même temps (source FFP):
2000 : 13.098  —  2005 : 27.624  —  2010 : 24.740  —  2015 : 35.438  —  2019 : 48.377

La conclusion qui en était tirée dans ParaMag en avril 2020 est toujours d’actualité : « Notre modèle de développement est artificiel. Il ne repose pas sur la pratique sportive mais sur la commercialisation souvent défiscalisée d’une activité marchande. Le parachutisme et ses 13.000 pratiquants vit largement au-dessus de ses moyens propres. Que le tandem s’effondre, c’est tout l’édifice du parachutisme en France qui menacera de tomber en ruine ».

Le jour d’après, c’était dans l’esprit de tous le jour d’après le confinement. Et pour le jour d’après, le journaliste économique François Langlet prédisait : « Ce sera probablement la récession la plus sévère depuis l’entre-deux guerres… En 2008, c’est la finance qui provoque la crise. Aujourd’hui, c’est l’économie réelle qui plonge ».

Or, l’année 2020 s’est conclue sur un nombre historiquement bas de dépôts de bilans par des entreprises en état de cessation des paiements, situation éminemment surprenante que personne n’avait vraiment anticipée. D’où vient ce miracle ? Du « Quoiqu’il en coûte », c’est-à-dire des aides massives de l’État qui ont permis non seulement d’éviter la chute d’entreprises saines, mais de manière plus inattendue, de différer la chute d’entreprises au bord du gouffre en renflouant de manière inespérée leur trésorerie défaillante, y compris grâce à un prêt garanti par l’État.

On s’aperçoit qu’aucune école de parachutisme n’a déposé le bilan pour cause de pandémie, qu’aucune n’a disparu, qu’aucune n’a modifié son business-plan. Les craintes exprimées au début de confinement se sont progressivement tues, et l’absence d’activité, donc de dépenses afférentes, a même été parfois une aubaine pour celles qui ont peu de dépenses fixes (loyers, emprunts, leasings…) et dont des dépenses contraintes (salaires…) ont été prises en charge par l’autorité publique ou suspendues et reportées (charges…).

Parfois, ce temps suspendu fait penser, toutes proportions gardées, à l’année 1913, dernière année de la « Belle époque ». L’Europe avait atteint l’apogée de sa puissance avant de basculer en 1914 dans une dramatique guerre qui la laissera exsangue. Car lorsqu’il faudra rembourser les prêts de trésorerie, payer les charges différées, reprendre les charges d’exploitation, le retour au réel promet quelques désagréables surprises.

Malheureusement, il n’y a pas d’enquête disponible sur l’état économique et financier des écoles de parachutisme, associatives ou commerciales, et des clubs. La FFP dispose-t-elle d’informations statistiques non nominatives ? A-t-elle diligenté une enquête structurée et circonstanciée ? Tout au plus sait-on qu’elle a questionné les écoles par lettre du 8 septembre 2020 dans les termes suivants : « Afin de mesurer l’impact économique dans les écoles après ces quelques mois de reprise, nous vous demandons de bien vouloir nous informer des éventuelles difficultés financières que vous rencontrez en nous adressant vos tableaux de synthèse, chiffres d’affaires, bilans, etc… ».

Cette lettre est restée sans suite et sans retour.

 

Pourquoi ? Parce que les écoles n’ont pas répondu ? Parce qu’à ce moment-là elles ne rencontraient pas de difficultés grâce au « quoi qu’il en coûte » ? Parce qu’il valait mieux taire l’ampleur du désastre ? Parce que la FFP n’a pas exploité les réponses ? Parce que la FFP a le goût du secret (chaque page des comptes rendus des réunions du Comité directeur comporte la mention « Toute diffusion ou reproduction, totale ou partielle, de ce document est strictement interdite ») ?

Comment sortir de ce brouillard persistant ? Faire comme si de rien n’était, ne rien changer, programmer comme avant, dérouler ce qui se fait depuis longtemps ? C’est rassurant. « Le plaisir de l’habitude est souvent plus doux encore que celui de la nouveauté », a écrit Marcel Proust. S’ouvrir à tous les possibles, s’adapter en souplesse, être réactif, ne pas s’enfermer dans un programme ? C’est inconfortable. « Quand le regard ne peut plus se projeter au loin, se répandre dans l’espace, la pensée se referme et l’idée même d’avenir s’atrophie », a écrit Étienne Klein (physicien, philosophe, alpiniste).

Depuis des lustres était proposé aux électeurs de la FFP, tous les quatre ans, un programme détaillé, à base d’items, appliqué ensuite avec minutie pendant 4 ans en cochant les items annuellement et en annonçant le pourcentage du programme réalisé. Une mécanique de fonctionnement bien huilée, bien léchée, bien maîtrisée, bien exécutée. Un mode fonctionnement pour temps calme, lorsque l’avenir est prévisible pour les quatre ans à venir.

Lorsque l’avenir est incertain, voire totalement imprévisible comme actuellement, les items ne servent à rien. Il faut un cap, une idée directrice, des lignes de force, des mises en perspective. Savoir où en va sans en connaître le chemin parfois tortueux et rude. Face aux vents contraires, l’humilité est nécessaire. La FFP n’est pas faiseuse de miracles et il serait présomptueux d’en promettre, sauf à commencer par déverrouiller la chape de plomb mortifère du secret. La crise économique est profonde, protéiforme, imprévisible. Les leviers d’action se trouvent aux niveaux nationaux et internationaux.

Au niveau d’une fédération sportive, le seul programme envisageable s’intitule AAA : assister, accompagner, aider. Son titre : Autonomie et confiance. Son but : être prêt le jour d’après « le jour d’après » pour que le regard puisse se projeter à nouveau au loin, se répandre dans l’espace.

 

Article d'Yves-Marie Guillaud paru dans le ParaMag n°404 de mars/avril 2021

 

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