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LE ROI EST-IL NU ?

Face au Covid-19 : Des solutions pour les écoles de parachutisme !

La catastrophe économique qui guette les écoles et DZ de parachutisme affecte également les professionnels indépendants et menace des emplois salariés. Dans le but de tenter de sauver ce qui peut l’être, il a été imaginé ici (cf. article Si j'étais président, paru dans le ParaMag n°396 de mai 2020 et sur Internet) une action immédiate de la FFP consistant en une exonération des cotisations écoles, une diminution de son train de vie et l’utilisation des 2 millions d’euros de réserves évoqués par le président dans une lettre du 3 octobre 2019.

Par Yves-Marie Guillaud

Dans un conte de Perrault publié en 1697, à une jeune épouse éplorée qui demande à sa sœur : «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?», celle-ci répond : «Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie». Cette adjuration d’anthologie vient à l’esprit car, sauf tractations secrètes, il ne semble pas à ce jour que la FFP ait décidé de mettre la main au portefeuille, ne serait-ce qu’en exonérant les écoles d’une cotisation que celles dont la trésorerie est exsangue ne pourront de toute façon pas payer. La FFP leur retirera-t-elle alors leur agrément-école, sanction prévue dans un tel cas, histoire d’achever les moribonds ?

Mais au fond, peut-être n’est-ce pas de la pingrerie fédérale, mais plutôt de la disette. La FFP a-t-elle les moyens d’aider les écoles et DZ, soit en renonçant à la recette de cette cotisation-école, soit en déboursant des subventions exceptionnelles ? Traîne-t-elle les pieds parce que derrière la façade de prospérité, la charpente serait vermoulue ? Telle la grenouille de la fable de La Fontaine, qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf et «qui s’enfla tant qu’elle creva», la FFP se mettrait-elle alors en danger ? Les 2 millions d’euros de réserves ne seraient-ils qu’une chimère ?

Dans un conte d’Andersen publié en 1848, un empereur aimait avoir un habit différent à chaque heure du jour. Il se fit confectionner un nouvel habit dans un tissu extraordinaire, un tissu transparent. Son peuple et ses ministres firent mine d’admirer, par flagornerie, ce nouvel habit qu’ils ne voyaient pas. Seul un petit garçon osa dire : «Le roi est nu». Le roi FFP serait-il nu ?

Première question : les 2 millions d’euros existent-ils ?

En vue de l’AG du 14 mars dernier, la FFP a envoyé son bilan et son compte de résultat 2019 aux associations et sociétés affiliées afin qu’il soit procédé à un vote de validation des comptes. Du moins un ersatz de compte de résultat, on le verra ci-après. À l’actif du bilan figure un poste «Valeurs mobilières de placement» et un poste «Disponibilités». Leur total est de 1.766.857 euros. Il augmente de plus de 100.000 euros par an puisqu’il était de 1.600.888 euros en 2018 et de 1.487.063 euros en 2017. Les 2 millions d’euros annoncés sont donc en grande partie réels.

Notons qu’il était de 908.849 euros en 2006 et que, pour faire face à une baisse des subventions ministérielles, la FFP avait su puiser dans cette réserve qui était descendue à 743.849 euros en 2008. Notons également que son augmentation de 165.969 euros entre 2018 et 2019 représente 12,76 euros pour chacun des 13.000 licenciés pratiquants qu’ils ont payés dans leur 95 euros de licence 2019. Est-il opportun des thésauriser tant d’argent qui leur appartient ? Est-ce la vocation de la FFP ? Ne faudrait-il pas que l’AG procède à une réflexion à ce sujet, par exemple en limitant la somme à 100 euros par licencié, soit 1.300.000 euros, quand elle valide le prix des licences ? Car, est-ce vraiment bien gérer que de fixer un prix de licence qui permet une telle accumulation dont la FFP est maintenant réticente à en restituer une partie aux licenciés pour sauver leurs écoles et DZ ?

La FFP dispose donc d’un trésor de guerre. Par temps de paix, ça ne sert à rien, mais par temps de guerre, puisque c’est le terme choisi par le Président de la République pour décrire la situation, c’est précieux. Mais qu’en faire ? «Touche pas au grisbi» (film de 1954) ou «Prends l’oseille et tire-toi» (film de 2009) ?

Seconde question : que faire du magot ?

Accumuler des réserves n’a de sens que s’il s’agit de les dépenser en cas de besoin. Comme la fourmi de la fable de La Fontaine, ça évite de se trouver fort dépourvu une fois l’hiver venu. Or, comme tous les acteurs du parachutisme, la FFP va voir ses ressources diminuer en 2020, et peut-être durablement.

En 2019, selon ce qu’on comprend de l’ersatz de compte de résultat rendu public, ses ressources d’un montant de 2.862.511 euros ont été constituées : 1) des licences pour 1.462.090 euros, soit 50% des ressources 2) des cotisations pour 190.641 euros, 3) des subventions pour 845.101 euros, 4) des autres produits (dont la provenance n’est pas indiquée) pour 255.212 euros, mais dont le montant les années précédentes était bien moindre (62.199 euros en 2018, 47.337 euros en 2017) et dont l’augmentation est sans doute purement comptable (reprise de provision, peut-être).

Concernant les licences, nul ne sait le montant encaissé avant le confinement ni celui qui sera encaissé après la reprise d’activité.  Mais pour limiter la perte et inciter ceux qui n’ont pas encore souscrit leur licence à le faire pour le reste de la saison, si elle a lieu, la partie cotisation fédérale de 95 euros pourrait être réduite de moitié au titre de la promotion du sport inscrite dans les statuts de la FFP. Mieux vaut en effet encaisser moins que pas du tout.

Il semble raisonnable, à ce stade, de tabler sur une baisse de moitié des ressources provenant des licences, ce qui représenterait une baisse de l’ordre de 700.000 euros.

Par ailleurs, l’État distribue en ce moment des milliards comme s’il en pleuvait. Mais vu l’ampleur du désastre économique qui débute, il n’est pas certain que, dans un second temps, il ne cherche pas à réduire les dépenses partout où il le pourra. Le montant des subventions pourrait être écrêté en 2021. Du moins, la base de calcul des subventions de l’État devra être revue, au moins provisoirement, puisqu’elles sont notamment basées sur les titres internationaux obtenus en compétition et qu’il n’y en aura aucune en 2020. Dans ce cadre d’ailleurs, le nombre de fonctionnaires détachés au sein de la DTN de parachutisme ne sera pas forcément maintenu après la vague de départs en retraite qui a débuté avec celle de Jean-François Prunier.

Le montant des subventions reçues avait varié à la baisse entre 2017 (880.671 euros) et 2018 (828.803 euros) avant de remonter à 845.101 euros en 2019. Il faudra anticiper une baisse possible, qui pourrait être amplifiée par la nouvelle gouvernance du sport mise en place en début d’année dans le cadre d’un désengagement de l’État. Mais on peut espérer un maintien en 2020.

Quant aux cotisations des structures, elles risquent de fondre par les deux extrémités. D’une part, parce que l’assiette de la cotisation-école est basée sur le nombre de sauts annuel de l’école concernée. Avec un arrêt total d’activité pendant la période la plus favorable à la pratique du parachutisme, le nombre de sauts est déjà assuré d’être en chute libre, si l’on ose dire, ainsi que la cotisation associée. D’autre part, la trésorerie exsangue des écoles et la disparition vraisemblable de certaines risquent bien de rendre illusoire le paiement de leurs cotisations.

C’est pourquoi il aurait été si facile de prendre immédiatement, instinctivement, intuitivement, sans de savants calculs technocratiques, la décision d’annuler les cotisations-école pour l’année 2020. Perdu pour perdu, la perte qui aurait ainsi été comptablement constatée n’en aurait pas été vraiment une. Une occasion manquée pour la FFP de faire un geste de solidarité. La perte quasi certaine de cette cotisation représente 200.000 euros

Au final, l’estimation ci-dessus cumule à 900.000 euros de recettes en moins, soit environ la moitié des réserves... «Panique à bord» (film de 1960) ou «Faites sauter la banque» (film de 1964) ?

Troisième question : la FFP peut-elle dépenser moins ?

Pour compenser une baisse prévisible de ses recettes, la FFP peut-elle réaliser une économie équivalente sur ses charges ? «A riddle wrapped in a mystery inside an enigma», selon le dicton anglais (Une devinette enveloppée dans un mystère au sein d’une énigme). Mystère et boule de gomme.

Une seule personne peut répondre à cette question : le président de la FFP, puisque lui seul a accès aux comptes si l’on en croit l’ex-secrétaire général Jean-Louis Ganaye, jamais contredit, qui a déclaré dans sa lettre de démission adressée au président le 25 septembre 2019 : «Par une astucieuse méthode mise en place avec intelligence, vous vous êtes approprié la totalité des dossiers de la fédération, surtout celui de la comptabilité que vous détenez personnellement et qui est devenu strictement confidentiel au point que nul ne peut l’approcher, ni même demander des explications». Il ajoute : «Vous semblez diluer les chiffres des dépenses que vous intégrez dans différentes lignes budgétaires que vous aménagez avec minutie en supprimant quelques autres… Vous êtes allé jusqu’à imposer le secret à l’expert-comptable durant la période des bilans budgétaires».

L’ersatz de compte de résultat transmis par la FFP en vue de l’AG du 14 mars dernier le confirme. Le poste «Autres achats et charges externes» représente une dépense de 1.453.552 euros dont aucun détail n’est fourni. Le poste «Autres charges» représente une dépense de 827.190 euros dont aucun détail n’est fourni. Ce sont donc 2.280.742 euros d’autres achats et d’autres charges (autres par rapport à quoi ?) sur un total de charges d’exploitation de 2.825.353 euros qui sont dépensés sans que ni les représentants des écoles et des clubs à l’AG ni les licenciés ne puissent savoir la nature et la répartition de ces dépenses-là. Seuls les salaires (312.613 euros), charges sociales (115.930 euros), impôts (36.844 euros) et dotation aux amortissements (64.939 euros), pour l’essentiel, sont détaillés à part.

Le plus curieux, c’est le poste «Subventions accordées par l’association». Montant : néant. La FFP noie dans ces deux immenses postes «autres achats» et «autres charges» jusqu’aux subventions qu’elle distribue. Serait-ce parce que le montant des subventions accordées serait faible par rapport à des dépenses qui ne profitent pas aux structures affiliées ? On n’en sait rien, ce qui a fait écrire par Jean-Louis Ganaye : «Que ne doit-on pas savoir ?»

La FFP aura beau jeu de se réfugier derrière l’expert-comptable et le commissaire aux comptes. Que les comptes soient tenus selon les normes comptables, il n’y a pas à en douter. Et suite à un contrôle du ministère à l’automne 2019, on sait que les subventions pour le Haut Niveau sont bien affectées au Haut Niveau. Mais les choix politiques que recouvrent les dépenses sont soustraits au contrôle de l’AG, et peut-être même aussi du Comité Directeur. Pourquoi ? Culte du secret ?

À l’époque de la présidence de François Bouteloup (2005-2008), auquel sur ce point il faut rendre justice voire hommage quand on voit la situation actuelle, et de celle de ses prédécesseurs, la FFP fournissait son compte de résultat détaillé. Chacun pouvait savoir combien avait été dépensé et pour quoi faire. Par exemple et afin de montrer le degré de détail atteint, le compte de résultat détaillé pour l’année 2008 précise que la FFP a dépensé 512,33 euros en «Dons et pourboires» et 933,00 euros en «Fleurs et cadeaux». Et 81.277,65 euros en «Stages Free-Fly». Et ainsi de suite. Depuis, les chiffres ne sont plus dévoilés. Pourquoi ? Maladie du secret ?

Pour tenter d’en savoir plus, on peut se reporter à ce qui a été présenté, sans rire, à l’AG sous le titre «Budget prévisionnel 2020», si l’on ose parler ainsi d’un antique tableau comprenant sept postes, dont deux avec quelques sous-divisions. Mais, curieusement, les dépenses y sont légèrement plus détaillées que sur l’ersatz de compte de résultat.

On y découvre que les compétitions et championnats de France sont budgétisés pour 222.700 euros et le jugement pour 75.000 euros, soit un total de 297.700 euros qu’on peut arrondir à 300.000 euros. En l’absence vraisemblable de compétitions en 2020, la somme pourra être économisée, à laquelle s’ajoutent les 50.000 euros de soutien aux JO 2028 à Los Angeles. La promotion et la communication, ce sont encore 130.000 euros, légèrement plus que les 125.000 euros accordés aux ligues. Promotion et communication pour aboutir à un nombre constant de licenciés-pratiquants, environ 13.000, depuis 25 ans. On devrait bien pouvoir économiser, en cette période de vaches maigres, environ 100 .000 euros sur ce poste de dépense. Déjà 450.000 euros d’économies envisageables.

Dans ce budget prévisionnel figurent un poste «charges fédérales» pour 250.000 euros et un poste «fonctionnement fédéral» pour 168.000 euros, soit un total de 418.000 euros, hors salaires et charges sociales. En restreignant les dépenses, dont nul ne connait le détail, de 10%, ce qui semble raisonnable, une économie de 50.000 euros devrait pouvoir être trouvée rapidement, voire plus à terme. Car, tout de même, avec 390.000 euros de salaires et charges sociales budgétisés, le fonctionnement de la FFP coûte 808.000 euros. Un chiffre supérieur aux 610.750 euros consacrés aux Équipes de France compris dans les 848.250 euros pour le SHN (Sport de Haut Niveau), sans parler des 115.000 euros pour la formation ou les 20.000 euros pour la détection.

Au sujet du SHN (Sport de haut Niveau), en l’absence d’entrainements, des économies sur les sauts d’entraînement et les déplacements seront automatiquement réalisées. Sans doute plus de la moitié de la somme provisionnée, mettons 400.000 euros. Il faut néanmoins une autorisation du ministère pour réaffecter les subventions pour le SHN au sauvetage du parachutisme.

Quatrième question : La FFP peut-elle aider financièrement ses écoles affiliées ?

Selon les bribes de renseignements qu’on peut glaner et les supputations qu’on peut en extraire, une perte de recettes de 900.000 euros pourrait être compensée par des économies de charges immédiates ou à court terme d’un montant équivalent. La FFP devrait donc être en mesure (dans la novlangue technocratique, on dit «en capacité») d’aider les écoles et DZ en difficulté, lesquelles auraient été mieux avisées de s’intéresser plus tôt aux comptes de la FFP.

À part Daniel Grand, le dernier des Mohicans à poser des questions intrusives en AG et le seul parachutiste de 6.000 sauts interdit temporairement de saut par la FFP à l’automne 2019 pour une histoire de cornecul, pas une seule voix ne s’est élevée à l’AG du 14 mars pour protester contre cette confiscation du droit et du devoir de contrôle effectif des comptes qui incombe statutairement à l’AG. Les comptes ont été approuvés à l’unanimité. Et à main levée. Circulez, y’a rien à voir.

Pendant ce temps, on a pu lire (Le Figaro) début mai que la FFT (Tennis) «a approuvé le principe d’un plan de soutien et de relance pour l’ensemble de l’écosystème du tennis français et des disciplines associées», plan qui mobilisera 35 millions d’euros, à proportion des 8.000 clubs de tennis, soit une moyenne de 4.375 euros par club. Si la FFP mobilisait une moyenne de 4.375 euros par école, pour 56 écoles il lui en coûterait 245.000 euros. Elle en a parfaitement les moyens.

Dans le même temps, la FFR (Rugby) «a dévoilé un plan d’aide du même montant aux 1.900 clubs amateurs», soit une moyenne de 18.421 euros par club. Si la FFP mobilisait une moyenne de 18.421 euros par école, pour 56 écoles il lui en coûterait 1.031.576 euros. C’est beaucoup, mais elle aurait les capacités de le faire.

Et si la FFP (Parachutisme) mobilisait une moyenne de 10.000 euros par école, pour 56 écoles il lui en coûterait 560.000 euros. Prélevés sur les 1.766.857 euros de disponibilités, il lui en resterait 1.206.857 euros, soit largement plus qu’en 2006-2008. Et cette somme restante représente 92,83 euros par licencié pratiquant, ce qui rejoint l’interrogation ci-dessus sur l’opportunité le limiter la thésaurisation à 100 euros par licencié. Le roi FFP n’est pas nu. Aux trois décisions immédiates suggérées dans l'article Si j'étais président, une quatrième pourrait être annoncée rapidement : un plan d’aide, de soutien, de relance mobilisant d’ores et déjà 560.000 euros, qu’un Comité de pilotage serait chargé de mettre en œuvre afin d’éviter tout soupçon de favoritisme.

«Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie».

 

Article d'Yves-Marie Guillaud publié dans ParaMag n°397 de juin 2020

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