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La Saint-Michel 2024

Une édition "sucrée-salée" dans la baie du mont Saint-Michel

Photo D'jack ! Djopter.com

S'il y a bien un sujet qui fait l'unanimité dans le milieu parachutiste, c'est celui de "la Saint-Michel, fête des parachutistes". Mais pour certain(e)s, mis à part de savoir que ça tombe vers la fin du mois de septembre, et que c'est une des dernières occasions festives de la saison para, les connaissances sur le sujet s'arrêtent là. Alors, la Saint-Michel… Quésaco ?

Par Bruno Passe

Samedi 28 septembre, 8 heures du matin, à proximité de l’Auberge de la Baie : la température est fraîche, l'humidité est pesante et le soleil est à peine levé sur la baie du mont Saint-Michel. Que sont venus faire 81 parachutistes, serrés comme des moutons entre le bord de la route et l'entrée boueuse d'un pré salé ?

Et pourquoi ces parachutistes sont-ils déjà tout équipés : combinaison, casque, altimètre, et bien sûr… vidéo(s) ! Tandis que le soleil s'élève à l'horizon, et que ses rayons prennent de l'intensité, une première partie de la réponse apparaît dans la lumière, à l'horizon opposé… Il est là, et il est bien là : le Mont !

Photo Jean-Charles Cousin

Il faut tout de même davantage d'explications pour comprendre les raisons de cet attroupement parachutiste, dont la "biodiversité" est bien visible à travers les combinaisons de vol relatif, de freefly, de vidéoman, etc. Il y a même des wingsuit ou "pas de combinaison du tout", juste jean et sweat-shirt. Leur provenance est également très variée : Bretagne, Normandie, Laval, Cognac, Hauts de France, Nice, Belgique, Rochefort, Nigéria, et Région parisienne.

Idem pour leur âge : la plus jeune, 22 ans, c'est Elise, elle est suivie de près par Marie-Elisabeth, Victor, Lou…, et 75 ans pour le plus âgé. Grande variété aussi dans les pratiques, du simple saut de loisir à la compétition, il y a des compétiteurs/trices fraichement médaillé(e)s aux championnats de France, en vol relatif (Les Hermines de Vannes), en wingsuit (Flying Penguin), une membre de l'équipe de France de PA, etc.

S'ils sont à l'unisson de bon matin, c'est – entre autres - pour s'apprêter à fêter la Saint-Michel, fête des parachutistes !

8 h 20 : Tandis que le berger ouvre la clôture pour faire entrer les moutons dans le pré salé, deux bus arrivent et ils portent une pancarte affichant le logo Kesa'co Parachutisme. C'est en troupeau, eux aussi, que les parachutistes se dirigent vers ces bus qui vont les emmener sur l'aéroport de Pleurtuit-Dinard, là où les attend la troisième explication de ce regroupement matinal : le Noratlas, un avion légendaire.

Après plusieurs mois de préparation, voilà donc le triptyque mis en place par Arnaud Couturon et son entité Kesa'co Parachutisme : (1) une DZ dans la baie mythique du mont Saint-Michel, (2) durant le week-end de la Saint-Michel, fête mythique du saint patron des parachutistes, (3) avec le légendaire Noratlas.

La Saint-Michel… Quésaco ?

Savez-vous précisément pour quelle raison les parachutistes fêtent la Saint-Michel ?

La fête de la Saint-Michel, célébrée le 29 septembre, date de 530 après J.-C. et elle commémorait la consécration d'une basilique en l'honneur de l'archange à Rome. Liée à l'équinoxe d'automne, elle était devenue un jour saint majeur, repris pour célébrer les trois saints archanges – Michel, Raphaël et Gabriel - tandis que la tradition orthodoxe célébrait la Saint-Michel le 8 novembre à Constantinople.

Au Moyen Âge, une seconde fête est apparue, le 8 mai, elle était liée à des victoires militaires et à une vision de l'archange qui serait apparu au mont Gargano. Ces fêtes étaient déclinantes, avant de renaître au XXe siècle grâce aux parachutistes français qui adoptèrent saint Michel comme leur patron.

Photo Vincent M.

Un renouveau qui s’ancre dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'aumônier du 2e SAS a distribué des médailles bénies de saint Michel aux parachutistes, avant leurs sauts en France. Le lien entre saint Michel et les parachutistes s'est renforcé en 1948, lors d'une messe à la cathédrale de Hanoï. À cette occasion, le père Jégo, aumônier du III° bataillon du 1er RCP en Indochine, consacra officiellement l'archange comme patron des parachutistes, marquant cette reconnaissance par la phrase : "Et par saint Michel, vive les parachutistes", une formule toujours utilisée aujourd'hui dans les discours des chefs militaires.

En 1951, ce lien spirituel s'est consolidé par un saut symbolique des parachutistes sur le Mont-Saint-Michel. Depuis, la fête de Saint-Michel est célébrée chaque 29 septembre au sein des unités parachutistes françaises, dans des lieux emblématiques comme l'ETAP, l'École des troupes aéroportées, basée à Pau. Pour les parachutistes, saint Michel incarne à la fois la protection divine et la cohésion militaire, unissant leur engagement dans l’action et la foi dans leur saint patron.

OK, ça, c'est pour les parachutistes militaires… Mais pour quelle raison est-ce que les parachutistes civils fêtent eux aussi la Saint-Michel ?

La loi du 28 octobre 1997 annonçait l'abolition du service militaire obligatoire chez les jeunes civils, appelés à servir sous les drapeaux, mais les derniers conscrits n'ont fêté la "quille" qu'en 2002. Avant l'abolition du service militaire et jusque son application effective, de nombreux "appelés" faisaient leurs premiers sauts dans l'armée, et ils passaient par l'ETAP pour y être brevetés. Une fois revenus à la vie civile, certains se mettaient ensuite à pratiquer le parachutisme sportif. Et c'est ainsi que cette coutume s'est répandue dans le civil et le milieu sportif, en plus du fait que bon nombre de parachutistes militaires d'active ou en retraite pratiquent également dans le civil.

C'est comme un rituel, le 29 septembre, jour de la Saint-Michel, tous les paras militaires et certains paras civils se souhaitent une bonne fête. Quoi de mieux que de sauter ce jour-là, ou durant le week-end qui est le pus proche de cette date, dans le calendrier ? Et pourquoi pas en vue du mont Saint-Michel ?

Photo D'jack ! Djopter.com

8 h 30 : C'est exactement ce que viennent faire ces 81 parachutistes, réunis ce samedi 28 septembre sous la bannière Kesa'co Parachutisme à proximité de l’Auberge de la Baie. Mais tandis que nos bus se mettent en route vers l'aéroport de Dinard, situé à environ trois quarts d'heure de route, une pluie battante se met à tomber.

Un dernier coup d'œil sur le mont Saint-Michel nous laisse apparaître celui-ci à travers un double arc-en-ciel, comme une lueur d'espoir.

Photo D'jack ! Djopter.com

Le mont Saint-Michel

Faut-il le présenter ? Alors qu'il est un des pôles d'attraction de cet évènement, bien que l'on trouve facilement des informations à son sujet, quelques mots s'imposent pour lui dans cet article !

Classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO, il est le site le plus visité de France, en dehors de la région parisienne, avec près de trois millions de visiteurs par an, venant du monde entier, et jusqu'à 30.000 visiteurs par jour pendant les week-ends de mai ou durant l'été. Il y a un certain nombre de jours dans l'année où les parkings sont pleins, alors qu'ils comportent 5.000 places.

Sur ce célèbre îlot rocheux se trouve l’abbaye du Mont-Saint-Michel, classée monument historique depuis 1874. L'abbaye a produit et conserve de nombreux manuscrits et elle est devenue un haut lieu de pèlerinage.

Pour les parachutistes, la présence de l'archange saint Michel, à 160 mètres au sommet de la célèbre abbaye, est primordiale. Tout un symbole, devenu celui de la fête religieuse de la Saint-Michel, elle-même devenue, comme expliqué ci-dessus, la fête des parachutistes. Il n'est donc pas étonnant qu'ils soient attirés par ce site.

Sur le plan aéronautique, le site du mont Saint-Michel est une zone vaste, mais peu accessible. Le secteur est référencé en tant que "zone LF-R12". Le survol de cette zone est réglementé par un arrêté préfectoral, complété par un arrêté ministériel. Qu'il s'opère par avion, ULM, hélicoptère ou drone, le survol du mont Saint-Michel fait donc l'objet de demandes d'autorisations spécifiques auprès de la préfecture.

Dans la vaste baie, la zone d'atterrissage est fléchée par Kesa'co Parachutisme. Photo Jean-Charles Cousin

Voilà une raison supplémentaire parmi celles qui rendent ce saut exceptionnel : le site est classé et protégé, inaccessible en voiture, seulement à pied, en vélo ou en navette, son survol est limité. Pour autant, ce n'est pas la première fois, tant s'en faut, que des parachutistes sautent sur le mont Saint-Michel. Durant des décennies, c'était généralement l'apanage des parachutistes militaires : pour célébrer la Saint-Michel, des largages de troupes étaient organisés à proximité.

Car le site offre une vaste zone d'atterrissage : des hectares "d'herbus" s'étendent à quelques centaines de mètres du Mont. Et c'est ainsi que l'image du Transall C-160, ancien avion gros porteur militaire français, larguant des grappes de coupoles kaki à proximité du mont Saint-Michel, est devenue célèbre. Malheureusement, elle devient peu à peu obsolète, réduction de budget oblige : les largages de troupes pour la Saint-Michel se sont faits de plus en plus rares ces dernières années.

L'âge d'or des chuteurs,
de 2000 à 2007

Pour les parachutistes sportifs civils, le mont Saint-Michel est resté longtemps inaccessible, à part de rares exceptions pour quelques locaux ou athlètes de haut niveau qui avaient tout de même réussi à obtenir des autorisations et à se glisser entre les largages militaires : commémorations, tournages de télévision, etc.

Le groupe de Jeff Ronzevalle ouvrit les rassemblements annuels Boogie Performance avec de la belle séquence à 18, dès la première année, en 2000, sur le mont Saint-Michel. Photo Jean-Pierre Roy

Puis, de 2000 à 2007, c'était une sorte d'âge d'or avec un rassemblement annuel de grande envergure, organisé conjointement par Boogie Performance avec son Casa 212, ou son Skyvan, et la société Abeille Parachutisme avec son Caravan. Des tandems largués en nombre jusqu'aux sauts de grandes formations en vol relatif sur le mont Saint-Michel, le concept connut un succès franc et durable. Tout le monde se posait près du vaste parking qui n'était qu'à une centaine de mètres de l'entrée du Mont.

Il semble que le titanesque chantier visant à combattre l’ensablement du mont Saint-Michel a contribué à mettre un terme à cette réussite. Après des années de tergiversation, les importants travaux commencèrent vraiment en 2011. Il s’agissait de préserver le caractère insulaire du mont Saint-Michel, dont les alentours sont envahis par le sable. Il s’agissait de construire un barrage sur le Couesnon, de construire un nouveau parc de stationnement, et aussi de remplacer la route d’accès par le système de pont-passerelle et navettes que l’on connaît aujourd’hui, une modernisation indispensable de ce site hautement touristique.

L'amorce du grand chantier a concordé avec la fin du rendez-vous annuel de Boogie Performance. En dehors des sauts de démonstration, organisés presque chaque année à la demande d'associations locales, par quelques parachutistes locaux, le ciel du mont Saint-Michel s'était donc largement refermé aux parachutistes civils.

Il demeurait tout de même, et demeure encore aujourd’hui, une belle opportunité de sauter en vue du mont Saint-Michel, les quatre derniers jours de chaque mois, avec Abeille Parachutisme qui dé-base son activité du Havre sur le petit aérodrome du Val-Saint-Père, situé au bord de la vaste baie. Dressé sur l'horizon, et généralement bien visible en vol, le mont Saint-Michel s'offre de loin aux passagers tandem et à leurs porteurs, qui ne s'en lassent pas. En 2022, Abeille Parachutisme fêtait son 100.000ème saut en tandem, et sur ces 100.000, une bonne partie a été effectuée "en vue du mont Saint-Michel".

Atterrissages tandem d'Abeille Parachutisme, qui dé-base régulièrement son activité du Havre sur le petit aérodrome du Val-Saint-Père, situé au bord de la vaste baie. Photo Ulysse Lefranc (2023)

C’est en 2017 que Patrick Carré a annoncé l'organisation d’un événement que l’on attendait plus : des largages civils de DC-3 (Dakota), vertical le mont Saint-Michel, le lendemain de la Saint-Michel. Patrick possède une longue expérience de ce genre de sauts : durant plusieurs décennies, il s'est impliqué dans l'organisation de sauts de démonstration, de commémorations et de rassemblements sur les plages du débarquement.

La manip Saint-Michel de 2017 fut un succès (voir article ParaMag "Le survol de l'Archange, au plus près du Mont-Saint-Michel", avec une centaine de parachutistes ayant eu la chance de sauter sur le Mont, et pour certains de se poser sur la toute nouvelle esplanade, au pied des remparts, et donc au plus près du mont Saint-Michel.

Atterrissage sur le parvis du mont Saint-Michel, en 2017, à l’époque où c’était encore autorisé . Au centre de la photo, Pierre Lhopitallier porte le drapeau anglais. Photo Vincent M.

La manip fut reconduite l’année suivante avec le même succès (voir article ParaMag "Une galette au pied du mont Saint-Michel"), pour une centaine de parachutistes et avec, en parallèle, le retour des troupes aéroportées dans les "herbus", sur la zone de sauts militaire proche du mont Saint-Michel. Cette année-là, les militaires de la 11ème brigade parachutiste étaient présents pour des largages en masse depuis le Transall C-160, pour fêter la Saint-Michel 2018 tout en marquant le soixante-dixième anniversaire de leur patronage.

Puis est arrivée la crise sanitaire, avec son lot de restrictions. Il a fallu attendre 2022 pour voir réapparaître l’organisation de sauts ouverts aux civils, mais dans un contexte privé, hors "sauts de démonstration". Les atterrissages près du Mont n’étant de toute façon plus autorisés.

Parmi ces organisations privées, celle qui revient régulièrement est organisée par Kesa'co Parachutisme, d'abord avec un Antonov 2 en 2022 et puis avec le Noratlas de Provence en 2023. Kesa'co Parachutisme assure aussi la relève de Patrick Carré dans l'organisation de sauts de démonstration, de commémorations et de rassemblements sur les plages du débarquement (voir article ParaMag "80° anniversaire du D-Day").

9 h 00, dans la navette : Ce même Patrick Carré, qui est présent avec nous dans le bus, profite maintenant d'une retraite bien méritée pour sauter en simple participant, et en famille, car il est accompagné de sa fille Hélène. Les soucis, désormais, c'est pour Arnaud Couturon, de Kesa'co Parachutisme ! Et pour l'heure, Arnaud est "scotché" au téléphone pour régler les derniers "détails", entre la météo, la mise en place de l'équipe sol et celle de l'équipage du Noratlas…

9 h 45, aéroport de Dinard : Il est bien là ce Noratlas légendaire ! Nous pouvons le voir dès l'arrivée des bus sur l'aéroport de Pleurtuit-Dinard. Le fameux triptyque composé par Kesa'co Parachutisme a pris forme, mais dans ce genre de manip, tant qu'on a pas sauté…on n'a pas sauté ! Et la suite de l'aventure va le prouver une fois de plus. Pour le moment, les parachutistes sont pressés de sortir du bus pour admirer ce pour quoi, en grande partie, ils sont venus : l'avion.

Photo D'jack ! Djopter.com

Le Noratlas de Provence

Le Nord 2501 "Noratlas" est avion de transport militaire, familier de la deuxième moitié du vingtième siècle, il appartient au souvenir de plusieurs générations de Français. Entre 1954 et 1986, il était utilisé pour les largages des troupes et des chuteurs, que ce soit à l’entraînement ou en mission opérationnelle. Il est ainsi devenu "l'avion de tous les paras", et aussi des plus jeunes ayant effectué leur "service militaire" au cours d’une de ces trois décennies. Un peu comme la Saint-Michel est devenue la fête de tous les parachutistes (voir ci-dessus).

Tout comme en 2023, pour la Saint-Michel, Kesa'ko Parachutisme a donc mis en place cette année un Noratlas. Il est plus convenable d’écrire LE "Noratlas", puisqu’il s’agit du dernier appareil de ce type en état de vol, immatriculé F–AZVM, il porte le numéro 105. Ultime survivant de la longue lignée des Nord 2501, le 105 a été restauré, classé "monument historique", il est maintenu en état et en activité par des passionnés regroupés dans l’association "Le Noratlas de Provence".

Autant dire que sa présence pour les célébrations de la Saint-Michel 2024 était très attendue par certains, et tout comme l'an dernier, les places disponibles se sont remplies très rapidement. Une présence d'autant plus attendue que le Noratlas aurait dû arriver dès le mercredi pour des largages militaires prévus le jeudi et le vendredi. Mais cela ne s'est pas produit, suite à l'annulation pour cause de mauvaise météo durant ces deux jours.

Sur le tarmac trempé de l'aéroport de Dinard, le Dakota et le Noratlas sont prêts. Photo D'jack ! Djopter.com

9 h 50 : Dans l'enceinte de l'aéroport de Dinard, nous cherchons tous à approcher le fameux Noratlas. Une photo de l'avion - déjà présent sur place depuis la veille - nous avait été envoyée sur les téléphones portables, mais certains le découvrent dans le monde réel, tandis que d'autres le retrouvent, après une période plus ou moins longue.

Car le 105 a été remis en service en 1995, et il a recommencé à larguer en 1998. Depuis cette époque, nous publions de temps en temps des articles sur certains des événements, rassemblements ou sauts de démonstration, auxquels il participe.

Outre le fait qu'il vole et largue encore aujourd'hui, le Nord 2501 n°105, comme tous les Noratlas, est surprenant à plus d'un titre.

Surnommé parfois "La Grise", c'est d'abord sa forme qui est étonnante : une espèce de grand cigare sur pattes, avec un empennage arrière "bi poutre", utilisé sur certains avions-cargo pour faciliter l'intégration d'une "tranche arrière". Celle du 105 n'est plus utilisée, et c'est par les deux portes latérales que se font les largages, une autre originalité !

Son bruit est aussi très caractéristique, avec ses deux moteurs Bristol "Hercules" de 2040 cv, 14 cylindres, en double étoile, sans soupape et refroidis par air. Un bruit qui ne va pas tarder à se faire entendre, sur le tarmac de l'aéroport de Dinard. Mais pour ce genre de saut, il faut être armé de patience…

Les reconstituants d’abord

10 h 30 : Il nous faut attendre encore pour approcher le 105 sur le tarmac, car peu de temps après notre descente des bus, le premier groupe de "reconstituants" était déjà prêt à embarquer. C'est ce qui était prévu : deux largages de reconstituants avant les trois largages de chuteurs. Mais il nous fallait tous être présents au même moment sur l'aéroport, en cas d'inversement de l'ordre des largages, pour cause météo (vent) ou autre.

Les reconstituants (ou "reconstitueurs"), sont des fans de l’histoire des parachutistes militaires, des civils, débutants ou confirmés, voulant connaitre les sensations d’un saut militaire en parachute hémisphérique et en OA (ouverture automatique), ou des anciens brevetés parachutistes militaires français ou étrangers, souhaitant retrouver ces sensations. Ils sont réunis au sein d'associations comme Airborne Command, Airborne Center ou Airborne School.

Le premier avion de reconstituants va embarquer. Photo Bruno Passe

Leur but est aussi de commémorer les sauts historiques, sur les hauts lieux de parachutages militaires de la Deuxième Guerre mondiale, un peu partout dans le monde, et si possible avec des avions d'époque ou s’en rapprochant. Ils rendent ainsi hommage aux soldats alliés pour la libération de l'Europe, parachutistes combattants de toutes armes et armées. Ces parachutistes, ou parachutistes en herbe, s'entraînent à sauter à basse altitude, en tenue d'époque, avec des reproductions du matériel, donc des parachutes hémisphériques. Les voiles principales sont tout de même un peu plus grandes et un peu plus dirigeables que celles du siècle dernier !

Initié il y a une quinzaine d'années, le phénomène se porte bien, il est mondial et nous l'abordons régulièrement dans ParaMag, via nos articles qui concernent les sauts de commémoration, lors du D-Day ou autres événements de ce genre.

Sur l'aéroport de Dinard, les parachutistes sportifs côtoient les reconstituants. Photo Jean-Charles Cousin

10 h 45 : Sur l'aéroport de Dinard, les parachutistes sportifs côtoient les reconstituants. Idem pour les équipements, du kaki avec du multicolore, des parachutes "tout dans le dos" avec des "dorsaux ventraux".

Trois entités de reconstituants sont présentes : Airborne Center, qui va occuper deux rotations de Noratlas (soit une cinquantaine de parachutistes), Airborne School et RCPT (Round Canopy Parachute Team) qui vont utiliser le C47 Dakota, un autre avion mythique, garé à coté du Noratlas.

10 h 59 : Conformément au planning annoncé, le deuxième avion de reconstituants décolle.

Largage des reconstituants dans les herbus. Photo Michelle Passe

Le Noratlas peut emporter 24 parachutistes en OA et trois largueurs. Après un vol d'une vingtaine de minutes, en direction de la baie du mont Saint-Michel, les reconstituants vont sauter en ouverture automatique à 300 mètres, largués en deux passages dans les herbus. Chaque rotation Dinard / Le mont Saint-Michel / Dinard prend environ 40 minutes.

11 h 20 : Les chuteurs restés à Dinard sont en place et ils attendent. Ceux qui ont des proches restés au Mont les appellent par téléphone, et nous avons ainsi la confirmation que les largages d'OA se déroulent bien, pour le moment, mais aussi que la météo semble se gâter là-bas.

Kesa'co Parachutisme

Kesa'co Parachutisme a tout organisé et parfaitement planifié en amont, via une mailing-list et des groupes Whats'app, un pour chaque avion. Le Noratlas peut emporter 27 chuteurs et chacun des 81 participants a déjà reçu les informations nécessaires : composition des groupes, chefs d'avion, zone d'atterrissage, etc. Le dernier briefing des chuteurs à Dinard n'a donc pas pris énormément de temps. Tant mieux, car il s'y est mis à pleuvoir aussi.

Le premier avion de chuteurs est prêt à embarquer. Photo D'jack ! Djopter.com

11 h 40 : Le Noratlas revient du mont Saint-Michel, sa soute est vide, il ne reste que les largueurs qui vont décharger un gros sac rempli de SOA (sangles d'ouverture automatique). Ça y est, c'est notre tour ! C'est sous une petite pluie et sur un tarmac trempé que nous nous approchons enfin de l'avion, tandis que son bruit si caractéristique nous envahit, tout comme l'excitation à l'approche de l'embarquement. Mais l'équipage stoppe les moteurs… Est-ce un "souci mécanique", comme l'année dernière ? Certes, sur un tel avion, cela fait partie du charme, mais l'inquiétude est de mise.

Photo D'jack ! Djopter.com

11 h 45 : Arnaud nous annonce qu'il pleut sur le mont Saint-Michel. Il espère que cette pluie sera passagère et il nous demande d'embarquer tranquillement, de s'asseoir sur les banquettes et d'attendre. On ne se fait pas prier, d'autant que ça nous laisse le temps d'admirer de près le "monument historique" et de faire des photos.

Photo Bruno Passe

11 h 50 : L'équipage, qui a déjà effectué deux rotations sur le mont Saint-Michel, soit une 1 heure 20 de vol,  profite de cette pause pour bouger un peu. Il distribue des autocollants à l'effigie du 105 et de son association. L'un d'entre eux se positionne au milieu de la soute, et il prend la parole pour nous donner des explications sur l'historique du Noratlas en général et du 105 en particulier. C'est une chance : il s'agit de Daniel Chevalier, ancien officier militaire, parachutiste confirmé et juge fédéral : il connaît bien son sujet !

Daniel Chevalier prend la parole pour nous donner des explications historiques sur le Noratlas. Photo Jean-Charles Cousin

Durant une quinzaine de minutes, l'ambiance dans la soute va ressembler à celle d'une salle de classe…

Nous commençons par apprendre que c'est à la demande du Général de Gaulle, en 1947, que le Noratlas a été conçu. Il voulait que l'armée de l'air soit dotée de son propre avion de transport, car après la guerre, la France ne disposait que d'avions américains ou des "Junkers" allemands. Daniel nous explique que le Noratlas a été construit en 432 exemplaires, dont 130 en Allemagne de l'Ouest. Et que l'armée a cessé de l'utiliser à partir de 1986. Etc.

L'exposé de Daniel Chevalier est si clair, raconté avec tellement de passion que nous le diffusons en intégralité dans la vidéo ci-dessous. C'est à ne pas manquer, surtout si vous vous intéressez à ce sujet.

 

12 h 10 : Le moment historique étant terminé, Daniel Chevalier enchaine sur le briefing parachutiste. Cinq sonneries successives en provenance de la cabine de pilotage, c'est l'ordre d'évacuation d'urgence de l'avion en plein vol. Daniel précise : "Pas de panique à bord, on ne se précipite pas comme des malades vers la sortie ! À la 5° sonnerie, vous vous levez tranquillement sur deux files, vous vérifiez votre équipement, et vous attendez sagement l'ordre d'évacuation du largueur devant vous. À son signal, vous sortez par les deux portes, à droite et à gauche". Un ordre jamais donné, précise-t-il, l'avion a toujours été parfaitement fiable.

Daniel nous donne des conseils pour la sortie : "Soyez dynamiques, éjectez-vous de la carlingue en prenant appui de la main sur le côté de la porte, si nécessaire. Avec un largage à 55 m/s, ça pulse fort derrière l'hélice ! Pour les VR, vous pouvez sortir par les deux portes en même temps. Et pour tous, surtout en position de sortie stable, les bras en bas, en flèche vers l'arrière. Les bras en haut, et vous vous retrouverez instantanément en chute sur le dos, comme une tortue".

Daniel termine son briefing avec encore une pointe d'humour : "Vous pouvez continuer d'utiliser vos téléphones portables, ils ne gênent pas l'électronique du 105 !"

12 h 15 : La météo ne s'arrange pas sur le mont Saint-Michel, nous sommes autorisés à sortir et descendre de l'avion, surtout pour celles et ceux qui ont besoin de se soulager, ou pour se dégourdir les jambes tout en admirant le Dakota, garé tout à coté.

Le premier avion de chuteurs est en attente à Dinard. Photo Bruno Passe

12 h 50 : Ça se dégage sur le Mont ! Cette fois nous embarquons "pour de bon" dans la soute de La Grise. C'est dans un bruit sourd si caractéristique que les moteurs du 105 se remettent en route, crachant un bref nuage de fumée noire et d'huile. Puis les hélices quadripales commencent à battre l'air sous un rythme de plus en plus soutenu, l'empennage oscille.

12 h 55 : Au roulage, la carlingue vibre sous les moteurs, le Noratlas s'aligne sur la longue piste de l'aéroport de Dinard et rapidement ses roues quittent le sol. Nous sommes comme propulsés dans un autre monde. Et puis il y a cette odeur si particulière à l'échappement des moteurs "Hercules" et de l'essence 100LL, je l'avais oubliée et voilà que la mémoire olfactive fait remonter les souvenirs, comme une madeleine de Proust.

À l'arrière de l'avion, Arnaud Couturon est au largage durant la prise d'axe sur le Mont. Au premier plan : Laurent Rouanne. Photo D'jack ! Djopter.com

En montée vers le Mont

Ce voyage en Noratlas replonge certains dans leur jeunesse, une période militaire en tant que simple "appelé" ou en tant que militaire de carrière. Mais pour ma part, je retourne dans les années 1980, à une époque où l'armée mettait un Noratlas à disposition des parachutistes sportifs pour les championnats de France, à Vichy. Il était utilisé prioritairement pour les disciplines à 8, vol relatif ou voile contact, et parfois pour le 4. Nous sautions de la tranche arrière, c'était fantastique à cette époque où même les Pilatus étaient encore rares. En 1985, avec l'équipe de France de vol relatif à 8, cette tranche arrière avait boosté nos performances en sortie d'avion et nous avait préparés pour les championnats du monde à venir, en ex-Yougoslavie, où nous allions sauter d'hélicoptère MI-8, tranche arrière également.

13 h 10 : Comme il y a 40 ans, je me laisse surprendre par le taux de montée de cette vieille machine, presque aussi rapide qu'un Pilatus, mais qui consomme 600 litres à l'heure !  Après le décollage de Pleurtuit-Dinard, puis le survol de Saint-Malo, nous avons longé le littoral pour le restant de la montée. Nous arrivons à 3200 mètres, l'altitude de largage prévue, et les largeurs commencent à s'agiter à l'arrière de La Grise. La fameuse sirène retentit, en continu. Les 13 chuteurs du premier passage se lèvent et se préparent. Il a des petits groupes de 2 à 5, et des solos. Les premiers passent la porte, ou plutôt les portes, puisqu'il y en a deux.

Un mode de sortie très rare en parachutisme : depuis deux portes. Photo Arnaud Couturon

13 h 14, sur un nuage : C'est mon premier saut par la porte latérale de cet avion, un simple VR 2 avec Victor, qui passe par l'autre porte. C'est vrai que le souffle est puissant, mais il est "domptable", avec un bon briefing, une bonne impulsion et les derniers conseils de Daniel Chevalier. Victor et moi nous retrouvons tous les deux face moteur, chacun le sien, à la fois hilares et impressionnés par la vision de La Grise, qui s'éloigne. Appontage, rires encore et… Où est le Mont ? Nous avons été largués au-dessus d'une fine couche nuageuse, on ne le voit pas, pas encore. Soudain il apparaît juste en dessous de nous, presque à la verticale et toujours aussi imposant, même vu de 3000 mètres de haut ! Victor est scotché… Notre petit programme VR 2 tourne en boucle avant de tourner court : nous avions décidé d'ouvrir haut pour profiter de la vue.

Depuis le Noratlas, au-dessus du Mont Michel, un simple saut à deux au départ des deux portes procure de bonnes émotions. Photos Bruno Passe

13 h 15 : C'est une chance, nous avons gagné à la "loterie" du largage et nous évoluons sous voile presque à la verticale du Mont. La zone de saut est immense, mais mieux vaut se poser au bon endroit pour éviter la vase et les criches. En descendant sous nos voiles, nous jetons encore des petits coups d'œil au Mont, tout en gérant le trafic. Puis c'est l'atterrissage, la zone est parfaitement balisée avec un grand repère rouge et un fumigène : merci Olivier et Didier. On se pose face au Mont : la cerise, bien sucrée, sur le gâteau, au beau milieu d'un pré salé !

Photo D'jack ! Djopter.com

13 h 23, baie du mont Saint-Michel : Les 14 chuteurs du deuxième passage ont sauté et il se sont bien posés, retrouvailles, embrassades, on se tape dans les mains, on exulte, on fait des photos de groupe : ça fait toujours cet effet là, un saut sur le mont Saint-Michel.

Photo D'jack ! Djopter.com

13 h 30 : Le ciel s'est bien dégagé, l'après-midi s'annonce magnifique dans la baie. Les largages continuent sur la DZ avec maintenant le Dakota et les reconstituants qui sautent à 300 mètres en OA et parachutes hémisphériques. C'est un joli spectacle, même si les grappes d’une quinzaine de voiles par passage ressemblent plus à du saupoudrage, en comparaison avec les largages de masse, depuis les avions gros porteurs français ou américains. Dans une quarantaine de minutes, le Noratlas enchainera avec le deuxième avion de chuteurs, puis le troisième…

Photo D'jack ! Djopter.com

Photo D'jack ! Djopter.com

Il va encore se passer une heure et demie avant la fin des largages pour les 81 chuteurs de Kesa'co Parachutisme. Après leurs atterrissages respectifs, chaque petit groupe, chaque individuel vaque à ses occupations. Par exemple, certains retournent à Laval où un saut de nuit est prévu, les veinards ! Le saut de nuit aura bien lieu, quelle belle Saint-Michel.

Photo D'jack ! Djopter.com

D'autres rentrent chez eux, mais pour la plupart ils vont profiter de cette magnifique fin de journée au Mont-Saint-Michel, d'abord en se baladant dans la quiétude de la baie, avant de se mêler à la foule des touristes. En ce week-end de la Saint-Michel, il sont venus nombreux et de l'étranger, pour beaucoup, visiter la célèbre abbaye, à moins que ce ne soit, à leurs yeux, qu'une attraction de plus sur leur "to do list"…

Pour les parachutistes, le rendez-vous est fixé à 16 heures sur le parvis pour la montée traditionnelle à la mairie du Mont-Saint-Michel, au son de la cornemuse, et la remise d'un diplôme et d'une médaille souvenir.

Cette tradition est maintenue par l'association des Amis du souvenir et de la Liberté, elle a logiquement une connotation militaire, mais reste ouverte aux parachutistes civils qui souhaitent s'y joindre.

Pour la partie "chuteurs", le mot de la fin revient à Arnaud Couturon, principal organisateur pour Kesa'co Parachutisme :  "On observe que les participants viennent de plus en plus par groupe, ou en équipe, en plus des solos. Par exemple, nous avons eu cette année deux membres de l’équipe Flying Penguin, équipe de wingsuit venue de Dieppe, deux membres de l’équipe VR 4 Les Hermines de Vannes (toutes et tous et médaillé(e)s sur le podium du championnat de France N2) et d'autres compétiteurs, ça fait plaisir. Nous avons pu faire sauter un tandem un élu local et membre de l'équipage du Noratlas. Je conclus par un remerciement particulier à l'équipage du Noratlas, les pilotes et l'équipe de soute pour leur professionnalisme et leur partage d'expérience. Et par un grand merci à tous les passionnés qui ont rendu possible cette formidable journée... À l'année prochaine !"

Photo Flying Penguin

 

GALERIE PHOTO

Encore plus d'images de la Saint-Michel 2024, avec des photos en chute et au sol. (Cliquer sur une des photos pour l'agrandir et afficher la galerie en mode diaporama).

Épilogue

Cette année, la fête de la Saint-Michel tombait un dimanche et les évènements décrits dans cet article se sont produits la veille, le samedi. Heureusement, car la météo était défavorable le dimanche 29, complètement "bâchée" le lundi 30, tout comme le jeudi 26 et le vendredi 27 où aucun saut, de quelque nature soit-il, n'a pu être effectué dans la baie du mont Saint-Michel.

Photo Abeille Parachutisme

Au nord-est de celle-ci, sur le petit aérodrome du Val-Saint-Père, l'activité d'Abeille Parachutisme, qui propose à tous des sauts en tandem en vue du mont Saint-Michel, les quatre derniers jours de chaque mois, a été perturbée également par la météo, avec seulement une journée et demie d'activité possible. La Saint-Michel 2024 a donc été marquée par une météo très contrastée, avec alternance de pluie, de vent fort et d'une seule journée de samedi ensoleillée.
Elle a tout de même permis aux parachutistes de sauter durant ce fameux week-end et de conclure de façon traditionnelle : "Par Saint Michel, vivent les paras !"

Photo Jean-Charles Cousin

 

 

GALERIE VIDÉO

Résumé en images avec les montages de Jacques Desbois, Laurent Rouanne et Arnaud Couturon.

 

 

 

Lien vers le site de l’association "Le Noratlas de Provence"

 

Cliquer sur l'image pour voir le livre.

 À lire également :
● Article "Mont Saint-Michel 2023", paru en octobre 2023.
● Article "Sauts d'Antonov 2 dans la baie du mont Saint-Michel - Aux alentours de la Saint-Michel", paru en octobre 2022.
● Article "Sauts d'Écureuil B2 dans la baie du mont Saint-Michel - Aux alentours de la Saint-Michel", paru en octobre 2022.
● Article sur l'édition de 2020, avec le Cessna Caravan d'Abeille Parachutisme
● Article sur l'édition de 2018, article "Une galette au pied du mont Saint-Michel" paru dans ParaMag n°378.
● Article sur l'édition de 2017, article "Le survol de l'Archange, au plus près du mont Saint-Michel" paru dans ParaMag n°366.

En novembre 2000, ParaMag faisait sa couverture sur les premiers sauts de grande formation au-dessus du Mont Saint-Michel. Cliquer sur la couverture pour accéder directement au magazine.

En novembre 2022, ParaMag faisait sa couverture sur les premiers vols de formation en wingsuit au-dessus du Mont Saint-Michel. Cliquer sur la couverture pour accéder directement au magazine.

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