
Amber Forte pose devant l'hélicoptère lors du Red Bull Hardline. Photo Dan Griffiths / Red Bull Content Pool
La parachutiste de l'extrême Amber Forte, âgée de 34 ans, prépare un exploit inédit : traverser la Manche en wingsuit. Elle devra sauter à 10 000 mètres d’altitude, profitant de vents favorables dans le sens France-Angleterre, pour parcourir une distance de 34 km durant un vol d'une dizaine de minutes. L'atterrissage est prévu à proximité du phare des falaises de Douvres.
Texte par Bruno Passe, source Red Bull Content Pool
Avant de devenir athlète Red Bull UK, Amber Forte était une compétitrice de haut niveau. Originaire du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre, elle est la première femme sélectionnée dans l’équipe nationale norvégienne de wingsuit. C'était en 2018, et trois ans plus tard, elle remportait la médaille d’argent aux championnats du monde FAI (fédération aéronautique internationale) de wingsuit acrobatique. Elle est également détentrice du record du monde de vitesse féminin en wingsuit : 283,7 km/h établi en 2017 et qui tient toujours.
Amber Forte s’est installée à Voss, en Norvège, en 2016, et c'est à la soufflerie VossVind qu'elle a rencontré Espen Fadnes, qui allait devenir son mari.
En tant qu'athlète Red Bull, Amber Forte est aussi BASE jumpeuse et cascadeuse. Elle apparaît dans des films, publicités et documentaires : Race 3, une campagne Samsung/3mobile.se, le court-métrage primé Point of No Return, la série norvégienne Værdal’n karsk & BASE, Trustfall (présenté au Banff Film Festival), ou encore le documentaire FLY produit par National Geographic, dont elle est l’un des personnages principaux.
Pourtant, un accident de parachutisme survenu il y a six ans a failli mettre un terme à sa carrière. Amber Forte s'est blessée gravement à l'atterrissage durant un saut de démonstration sur une plage norvégienne : multiples fractures de la colonne vertébrale et au fémur. Le rétablissement lui a pris plusieurs mois et elle a dû réapprendre à marcher, avant de se remettre à sauter en parachute et notamment en BASE jump. En Norvège, les spots ne manquent pas et c'est en wingsuit BASE qu'elle avait commencé à apprécier le vol en combinaison ailée.
Que ce soit pour se former à cette discipline ou pour traverser la difficile épreuve de l'accident, Amber Forte a pu compter sur le soutien de son mari, Espen Fadnes. À 44 ans, le Norvégien est un parachutiste de l'extrême, BASE jumper, cameraman, compétiteur de haut niveau et coach en soufflerie, c'est un expert en wingsuit. Espen Fadnes a été nommé aux Emmy Awards pour son travail de prises de vue en chute, et plusieurs fois médaillé aux championnats du monde FAI. Il figure dans de nombreux documentaires, y compris le film Wingman (2015) sur Netflix.

Amber Forte et Espen Fadnes préparent leur saut et leur vol de proximité pour le Red Bull Hardline. Photo Dan Griffiths / Red Bull Content Pool

Amber Forte vient de s'élancer de l'hélicoptère pour rejoindre le vététiste Matt Jones au ras du sol lors du Red Bull Hardline. Elle est suivie et filmée par Espen Fadnes. Photo Dan Griffiths / Red Bull Content Pool
Amber Forte et Espen Fadnes vivent en couple à Loen, un village situé dans les magnifiques fjords norvégiens, et, pour le parachutisme, ils travaillent et s'entraînent en équipe. Espen était déjà très expérimenté lorsqu'Amber l'a rencontré et elle a pu bénéficier de son expérience. C'est encore le cas actuellement, tandis qu'elle s'entraîne pour son futur exploit de la traversée de la Manche en wingsuit.
Les difficultés de ce type de saut sont connues : emport d'oxygène, froid intense, risque de tomber en mer. À cela s'ajoutent celles d'un vol en wingsuit de longue durée, une dizaine de minutes.
Techniquement, ce projet de traversée de la Manche en wingsuit est proche de la mission Red Bull Starman et de son triple record du monde de vol en wingsuit réalisé aux États-Unis, le 22 mars 2025, par Sebastián Álvarez. Le célèbre parachutiste chilien et athlète Red Bull, a sauté en wingsuit à 12.640 mètres d'altitude, son vol a duré 11 minutes et 1 seconde, sur une distance de 53,48 km et il a atteint la vitesse de 550 km/h.
La distance de 34 km à parcourir par Amber Forte est bien inférieure à celle de 53,48 km réalisée par Sebastián Álvarez, mais la difficulté est tout aussi élevée. Tandis que le pilote de l'avion avait une certaine marge de manoeuvre pour larguer au mieux Álvarez dans le jet-stream, ce courant d'altitude où l'air se déplace rapidement et où la vitesse du vent s'amplifie, celui qui larguera Amber Forte n'en aura pratiquement aucune. Il devra la larguer dans le sens de la traversée, en respectant le point de départ.
De plus, les vents dominants sont plutôt dans la direction opposée à celle qui a été choisie. Historiquement, les traversées parachutistes non motorisées (voir en bas de cette page) ont toutes été faites dans le sens Douvres-Calais.

Le 31 juillet 2003, parti à la verticale de Douvres, Felix Baumgartner se pose au cap Blanc-nez, près de Calais, 94 ans après Louis Blériot. Photo Red Bull / Bernhard Spöttel
Mais le choix de partir de France a été fait pour des raisons stratégiques de communication, afin que l'arrivée se fasse en Angleterre. Car Amber Forte est anglaise et son sponsor est RedBull UK.
Et l'autre difficulté à laquelle Amber Forte devra faire face, c'est bien sûr la présence de la mer et le risque de noyade en cas d'échec. Pendant tout le vol, Amber Forte devra conserver une position de gainage et une précision, ce qui exige un entraînement très sérieux : gymnastique, endurance et vol en soufflerie. Évidemment, une partie de l'entraînement se passe aussi dans le ciel et cette partie-là a déjà commencé en Espagne.
Car le projet existe depuis plusieurs mois, il était déjà annoncé officiellement en 2024. Une des difficultés à surmonter est de trouver un avion largueur adéquat et disponible. Pour Red Bull Starman, Sebastián Álvarez a utilisé le Cheyenne 400LS, un turbopropulseur au taux de montée parmi les plus rapides au monde (12.500 mètres en 17 minutes environ) et certifié pour les records FAI. L'appareil est utilisé régulièrement la DZ de West Tennessee Skydiving, près de Memphis, lors de sauts HALO pour les parachutistes civils, en solo et en tandem.
Mais il n'existe pas d'avion de largage opérationnel pour ces altitudes en Europe, il a donc fallu en trouver qui soit adaptable. Cela a pris du temps, mais c'est désormais chose faite : l'avion et son pilote ont été identifiés, il reste à modifier la machine pour répondre aux conditions de largage d'une telle traversée. Cela va prendre plusieurs mois et le projet est remis à l'année prochaine.
À suivre…
Épilogue
Les photos d'Amber Forte qui illustrent cet article ont été prises le 24 juillet 2025, lors du Red Bull Hardline à Dinas Mawddwy, au Pays de Galles. Amber Forte a volé en proximité avec le vététiste britannique Matt Jones et elle était filmée en wingsuit par Espen Fadnes.
Une action qui lui a certainement rappelé des souvenirs d'enfance, car Amber est la benjamine d'une fratrie de quatre enfants, et ses trois frères aînés étaient férus de BMX. Et son père, fan inconditionnel de motocross et de BMX, a entraîné ses trois fils. Amber Forte s’émerveillait notamment devant les prouesses de l’aîné Kye, pilote professionnel de BMX et de VTT.

Photocomposition du vol de proximité d'Amber Forte avec le vététiste britannique Matt Jones. Photo Dan Griffiths / Red Bull Content Pool
Traverser la Manche, vraiment ?
Et la mer du Nord alors ? La Manche et la mer du Nord sont deux mers distinctes qui diffèrent non seulement par leur position et leur géographie, mais aussi par leur climat, leur rôle économique et historique et même leur salinité !
La Manche (superficie ~75 000 km²) est considérée comme un bras de mer entre la France et l’Angleterre, reliant l’océan Atlantique (à l’ouest) à la mer du Nord (à l’est) via le détroit du Pas-de-Calais.
La mer du Nord est une grande mer ouverte, stratégique pour la pêche, l’énergie et le commerce maritime. Avec une superficie d'environ 575 000 km², elle est 8 fois plus grande que la Manche. Elle borde le Royaume-Uni, la France (au nord), la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark et la Norvège.
La distance la plus courte entre l’Angleterre et la France se trouve au détroit du Pas-de-Calais, entre Douvres (Dover) et le Cap Gris-Nez (près de Calais). C'est là où la Manche se resserre fortement avant de s’ouvrir vers la mer du Nord et c'est généralement entre ces deux sites que se font les traversées, avec des variantes sur Calais ou le Cap Banc-Nez (situé entre le Cap Gris-Nez et Calais).
La ligne bleue continue sur la photo aérienne ci-dessus ne représente pas la trajectoire d'une traversée, mais la limite de la mer du Nord dans le secteur de Calais, selon l'O.H.I. (organisation hydrographique internationale). Il s'agit d'une ligne virtuelle joignant le phare de Walde (à l'est-nord-est de Calais) et la pointe de Leathercoat (au nord-est de Douvres). La ligne blanche pointillée (dans la carte en cartouche) représente la distance la plus courte entre l’Angleterre et la France.

26 septembre 2008 : Yves Rossy vient de quitter le Pilatus vertical les côtes de la Manche (à gauche de la photo, on distingue la commune de Wissant, au sud du Cap Gris-Nez), il va mettre plein gaz vers Douvres ! C'est à peu près au même endroit, mais d'une altitude beaucoup plus élevée, qu'Amber Forte s'élancera pour tenter sa traversée en wingsuit non motorisée. Photo National Geographic Channel - Bruno Brokken
Histoires de traversées de la Manche en parachute : Calais-Douvres ou Douvres-Calais ?
Le 7 novembre 1999, Thierry Demonfort et son passager navigateur Bertrand de Gaullier des Bordes ont réussi la traversée de la Manche en tandem dans le sens Douvres-Calais. Bénéficiant d'un vent fort favorable, ils ont sauté à 8200 mètres vertical Douvres, en Angleterre, ouvrant leur parachute rapidement pour naviguer sous voile et se poser en France, au Cap Gris-Nez (voir article "La traversée de la Manche en tandem" paru dans le ParaMag n°151 de décembre 1999).
Le 31 juillet 2003, Félix Baumgartner a réussi la traversée la Manche dans le sens Douvres-Calais, équipé d’une aile rigide non motorisée. Bénéficiant d'un vent fort favorable, il a sauté à 9000 mètres à la verticale de Douvres pour un vol de 34 kilomètres au-dessus de la mer avant d’ouvrir son parachute à 1000 mètres et se poser au cap Blanc-Nez, à l'ouest de Calais (voir article "La traversée de la Manche en aile rigide", paru dans le ParaMag n°196 de septembre 2003).

Double page 18-19 du ParaMag n°196 de septembre 2003 (cliquer sur l'image pour accéder au magazine).
Le 26 septembre 2008, Yves Rossy effectuait la traversée de la Manche dans le sens Calais-Douvres équipé d'une aile rigide motorisée de type FusionMan, ancêtre de Jetman. Après un vol de 34 kilomètres au-dessus de la mer, il a ouvert son parachute largement au-dessus des terres pour se poser près du phare de South Foreland, à l’est de Douvres (voir article "35 km à vol d'oiseau" paru dans le ParaMag n°258 de novembre 2008).
Mais les histoires de traversées de la Manche en parachute sont aussi vieilles que les premiers parachutes ! Nous en avons déjà raconté quelques-unes dans ParaMag. Avant l'invention des ailes (souples ou rigides), c'est en parachute hémisphérique que les traversées se tentaient, soit en ouvrant haut et en utilisant le vent pour dériver sous voile, soit en parachute ascensionnel, tracté derrière un bateau.
Le 9 septembre 1937, le parachutiste Étienne Denois effectuait une semi-traversée de la Manche en parachute. Il a sauté à 4000 mètres d'altitude, en pleine mer et à environ 20 km des côtes françaises, et il a amerri sur une plage du cap Gris-Nez à 150 m des côtes françaises. C'était un coup d'essai en vue de son projet de tentative de traversée complète de la Manche en parachute.
À la fin de l'été 1962, Gil Delamare traversait la Manche en partant de Calais, tracté par un bateau, avec un des premiers parachutes Lemoigne à tuyères. Il était en compétition avec un autre parachutiste cascadeur de l'époque : Jean-Claude Dubois. Et son concurrent a fait la traversée le même jour, mais en partant de Douvres. Ils se sont croisés en mer, sans même se voir.
Il faut lire ces deux étonnantes histoires, racontées par Francis Heilmann dans son article
"Histoires…De traversées (1937, 1962)", paru dans le ParaMag n°271, page 28.
Le saviez-vous ?
Ça saute régulièrement à Calais !
La DZ est située sur l'aérodrome de Calais-Marck, et elle n'est ouverte que six week-ends par an, l'activité y est gérée par le club "Para Groupe Jean Bart" (PGJB), basé à Dunkerque. Nous avons déjà eu l'occasion de publier des articles à ce sujet, dont celui-ci : "C'est où...?"