C’est en mode "arrêt sur images" que ParaMag revient sur le "Summerfest", un des fameux événements de l’été dernier aux États-Unis. L’occasion de faire une pause sur une série de photos qui attire l’attention : celles de "The Magic Carpet Ride" (voir ci-dessus). De quoi vous donner de nouvelles idées pour vos futurs sauts de Skyvan !
Texte Bruno Passe, photos Norman Kent
Cela fait plus de 20 ans que Skydive Chicago organise ce grand rassemblement international, le Summer Festival. Cette année, il s'est déroulé du 29 juillet au 6 août, dans l'Illinois.
À Ottawa, à 100 km au sud de Chicago, on dit de Skydive Chicago qu’elle est la plus belle drop zone du monde. Elle a été créée de toutes pièces, piste y compris, en 1993, par Roger Nelson, un des pionniers des grands boogies à l’américaine.
Depuis 2003, la gigantesque drop zone est dirigée par son fils Rook, qui en hérita après le décès accidentel de son père, suite à une collision sous voile. Et cette année encore, c’est Rook qui était aux commandes du Summer Festival.
Festival… ou boogie…. Ce n’est pas par hasard si l’événement porte le nom de "festival" et pas celui de Summer Boogie 2023. Qu’est-ce qu’un boogie ?
Les boogies sont des rassemblements parachutistes ouverts à tous, contrairement aux skill camps, par exemple, où il faut un niveau technique minimum dans le thème de l’événement. En France, les boogies se mettent en place autour d’un ou plusieurs avions de capacité importante (14 à 24 places environ).
Ils se déroulent généralement sur plusieurs jours et proposent des sauts organisés, mais il n’y a pas d’objectif de compétition, la performance technique prévaut autant que la bonne ambiance et l’esprit loisir.
L’origine du boogie remonte aux années 70, et c'est aux États-Unis que l'idée a commencé à germer. Il s’agissait alors de rassembler des centaines de parachutistes autour d'une flopée d'avions pour sauter dans une ambiance détendue et faire la fête le soir : style hippie, camping sur place, chapiteau géant, sauts délirants et priorité au fun.
Nous avons déjà eu l’occasion de publier un article détaillé sur cette époque et sur l’origine de ces premiers grands boogies : "Freak Brothers, L'histoire atypique des inventeurs du boogie", à retrouver dans le ParaMag n°333 de février 2015.
Dans cet article, Patrick Passe explique qu’en 1986, à Quincy, dans l'Illinois, le World Skydiving Convention marqua un tournant dans le gigantisme du boogie : "Pour cette édition-là, Roger Nelson avait loué un Hercules C-130 d'Afrique du Sud pour compléter une flotte d'avions constituée déjà de 6 DC-3, un Beech 99 et un Skyvan.
Cet Hercules, c'était un délire, une folie… 2000 skydivers étaient présents à ce boogie démesuré durant lequel Roger Nelson organisa avec succès un record du monde de grande formation à 120, battant ainsi le record à 100 qui avait été établi cinq semaines plus tôt."
Rebaptisé World Freefall Convention, l’événement s’est perpétué jusqu’au début des années 2000. Et puis les temps ont changé, sur le plan social et économique, et de nos jours la taille des boogies est bien plus modeste. Mais à Chicago, on continue de voir les choses en grand !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, chaque année ce sont largement plus de 10.000 sauts qui sont effectués par des centaines de parachutistes, dirigés par des dizaines d’organisateurs de saut dans diverses disciplines, freefly, vol relatif, wingsuit. Un village d’exposants est mis en place avec une vingtaine de marques et des records de grande formation sont parfois battus dans certaines disciplines.
En 2017, A.J. Johnson, directeur marketing à Skydive Chicago, présentait ainsi l’événement : "Nous ouvrons nos portes aux skydivers du monde entier pour leur participation à ce grand boogie annuel. Neuf jours à fond dans les sauts organisés, dans toutes les disciplines, c'est tout simplement la source du fun. Des activités nocturnes sont aussi proposées pour les sautants."
Dans le langage courant, les parachutistes ont rebaptisé l’événement "Summerfest", pour Summer Festival, mais pourquoi ne pas l’appeler tout simplement un boogie ? Sans doute parce que cet événement a une connotation particulière.
D’abord parce qu’il se déroule dans l'environnement moderne de Skydive Chicago, avec ses installations haut de gamme, dans un site privé, et à proximité des restaurants, des hôtels, etc. Sur place, il y a un bar où sont organisées des soirées à thème, avec DJ, sono, et des lots à gagner, etc.
Et puis au Summerfest, on peut faire des sauts un peu plus techniques que sur certains autres boogies. Durant l’édition 2017, par exemple, un record du monde de 3 points à 111 en vol relatif a été réussi et aussi record d'état à 29 en wingsuit.
C’est donc ce mélange très particulier qui donne des couleurs singulières à cet événement, couleurs que le célèbre cameraman américain Norman Kent ne se lasse pas de capturer à chaque édition. C’est à travers une large sélection de ses photos que nous retournons au Summerfest 2023, pour des sauts techniques, du vol en wingsuit ou dans l’angle, ou pour des sauts plus déjantés comme celui du "tapis magique" : "The Magic Carpet Ride", sur lequel nous revenons plus en détail ci-dessous.
Cette année encore, malgré une météo moyenne, l’activité du Summerfest a été bonne : 593 décollages, dont une journée record à 123 décollages le lundi, pour un total de 12500 sauts depuis trois Twin Otter et un Skyvan.
Ce succès a un inconvénient : comme pour tout boogie, l’événement est ouvert à tous, mais il faut se préinscrire et le nombre de places est limité. Le Summerfest se déroule généralement à "guichet fermé" et l’ouverture des inscriptions pour l’édition 2024 est d’ores et déjà prévue à partir du 1er février prochain.
GALERIE PHOTOS
Retour en images sur le déroulement du Summerfest 2023, avec une large sélection des photos de Norman Kent.
(Cliquer sur une des photos pour l'agrandir et afficher la galerie en mode diaporama)
THE MAGIC CARPET RIDE
Témoignage de Rob Jonson
Parmi la variété de photos réalisées par Norman Kent au Summerfest 2023, il y en a une qui attire particulièrement l’attention… Il s’agit de cette sortie accrochée à 15 depuis la tranche arrière du Skyvan. Une sortie accrochée peu ordinaire, dans une formation inhabituelle, avec des tenues originales et colorées. Nous rencontrons Rob Jonson, l’organisateur de ce saut hors du commun.
Rob Jonson est un relativeur anglais, amateur de séquences en grande formation. Il est aussi le créateur du logiciel Skydive designer, qui permet – entre autres - de composer des sauts de séquences en vol relatif, dans toutes les tailles de formation, et d’en produire une animation au format GIF.
Rob est donc un passionné de vol relatif séquenciel, on le croise régulièrement sur des rassemblements en Europe, mais il ne manquerait pour rien au monde le Summer Festival qui se déroule au mois d’août, à Skydive Chicago.
Rob a connu l’époque de la World Freefall Convention, ce grand boogie à l’américaine qui rassemblait plusieurs milliers de parachutistes. C’est durant ce boogie qu’il a fait la connaissance de Johnny Gates, un organisateur légendaire des Muff Brothers.
Dans la lignée des Freak Brothers, les Muff Brothers constituaient une sorte de club, presque une confrérie, dans laquelle les sauts étaient axés sur le plaisir, l'absence d'égo et le partage de sourires avec des amis du monde entier. À la même époque, et dans la même lignée, il y avait aussi les Rodriguez Brothers, les Flying Hellfish, les Team Dirty Sanchez, etc.
Sur un "forum para" (ancêtre des réseaux sociaux), un membre expliquait l’origine du nom Muff Brothers (en anglais, le mot "ear muff" signifie "cache-oreilles") : "Nous sautons avec des cache-oreilles sur la tête afin d'obtenir un numéro, et puis régulièrement par la suite, si nous en avons envie. Les Muff Bro's, c'est un groupe de parachutistes décontractés, qui s'amusent, qui se réunissent lors de soirées, qui font la fête et qui sautent ensemble".
C’est là où se trouve l’origine du saut "Magic Carpet" et sans doute aussi celle des "sauts bateau", "sauts crocos" et autres sauts avec des objets de piscine ou de plage.
"Johnny était un organisateur légendaire des Muff Brothers, et il avait l'habitude d’organiser ce genre de sauts amusants et extravagants toute la journée" explique Rob Jonson.
"Mon numéro de Muff est le 2690, je l'ai obtenu en l'an 2000, lors de la World Freefall Convention à Quincy, en Illinois. C’est là où j’ai fait mon premier saut de Magic Carpet Ride et Johnny Gates (Muff Brother n°65) en était l'organisateur".
Quand la World Freefall Convention s’est arrêtée, je suis resté fidèle au Summerfest de Skydive Chicago. Et depuis 2009, j'y organise des sauts de fin de journée, les "No Jumpsuit Big F****** Round". Et chaque année ou presque, j'ajoute un saut de Magic Carpet Ride."
Nous avons demandé à Rob Jonson de nous donner des explications, et quelques conseils, sur la façon d’organiser ce saut au nom évocateur. "The Magic Carpet Ride" que l’on peut traduire par "un tour de manège en tapis magique" (ou plus simplement par "tapis volant") est assez explicite… Bien sûr, il faut disposer d’une tranche arrière pour pouvoir le tenter, le Skyvan est idéal.
"Mon premier conseil est bien sûr que tout événement devrait m'inviter en tant qu'organisateur et je serai heureux d’instruire personnellement les participants !
Mais même sans cela, la technique est simple. Alignez-vous en rangs de trois. Tenez-vous par les bras dans chaque rangée de trois. Ensuite, chaque personne s'accroche aux deux cuissardes de la personne qui se trouve juste devant elle.
Nous tentons régulièrement de prendre jusqu’à 15 personnes, mais il est difficile de rester accroché à l'arrière. Et il y a un risque pour la dernière rangée de heurter la tranche arrière, au moment du départ de l’avion...
Mon conseil est de ne pas être dans la cinquième rangée, mais je suis toujours content quand trois âmes courageuses décident de l'ignorer !
L'astuce consiste à sortir proprement de l'avion. Il faut courir depuis le milieu de la carlingue, la première rangée temporisant juste un peu avant le bord, pour la grappe s'agglutine en se compressant.
Cette année, le saut était vraiment génial. Nous avons perdu les trois derniers, mais tous les autres sont sortis proprement, ce qui nous a donné une formation à 12 (4x3). Une fois passée la porte, la formation a tendance à rouler vers l’avant et à piquer vers le sol. Le caméraman doit faire preuve d’une compétence de vol impressionnante pour réussir à la suivre.
Parfois, il y a un moment magique où la formation s'aplatit et vole dans le ciel. C’est ce qui s’est passé cette année et ce saut est l'un des meilleurs auxquels j'ai participé, et c'est certainement celui qui a été le mieux filmé.
Norman Kent participe à ces sauts avec moi depuis plus de dix ans maintenant, et il a clairement pris la mesure de la bête !
Je mentionne toujours Johnny Gates dans mes briefings, et j'aime à penser que ces sauts transmettent un écho de son état d’esprit, à une nouvelle génération de parachutistes."
À lire également
● "La saga du Boogie de Vichy", article à lire dans le ParaMag n°365 d'octobre 2017.
● "L'histoire des Muff Brothers", via un site Internet dédié en leur souvenir.