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SI J’ÉTAIS PRESIDENT

Face au Covid-19 : Quelles solutions pour les écoles de parachutisme ?

«Les comptes d’exploitation des entreprises en 2020 vont être catastrophiques : elles vont toutes enregistrer des pertes» a déclaré* François Ecalle, magistrat de la Cour de comptes, spécialiste des finances publiques. Les écoles de parachutisme sont-elles concernées ? Dans l’affirmative, quelles solutions peuvent-elles espérer ou trouver pour en compenser les conséquences ?

Par Yves-Marie Guillaud

Éliminons d’emblée toute interrogation à ce sujet : les écoles de parachutisme sont des entreprises, quelle que soit leur forme sociale. Elles emploient souvent des salariés, font appel régulièrement à des travailleurs indépendants professionnels, exploitent des machines-avions qui valent des centaines de milliers d’euros, et ont parfois des chiffres d’affaires de plus d’un million d’euros.

Elles sont toutes totalement fermées depuis le dimanche 15 mars et ne fournissent plus aucune prestation, ni l’enseignement ni la pratique du parachutisme ne pouvant être réalisés par télétravail. Il faut néanmoins saluer quelques initiatives locales qui honorent leurs auteurs. Par exemple, Gilles, le directeur technique adjoint de l’EPLC (École de Parachutisme de Lyon Corbas), dispense des cours hebdomadaires dématérialisés par téléconférence interactive.

Il n’empêche que, pour admirables qu’elles soient sur le plan humain et technique, ces actions n’apportent aucun chiffre d’affaires notable. En outre, la pratique du parachutisme en France est une activité saisonnière et le chiffre d’affaires non réalisé est définitivement perdu : il ne sera jamais réalisé en différé. «Le chiffre d’affaires ne se rattrapera pas… Et rien pour combler le trou» explique** Natacha Polony.

«Qui pourrait prétendre s’en sortir avec un chiffre d’affaires voisin de zéro ? Beaucoup d’entrepreneurs ont du talent, mais ils ne sont pas magiciens. Certains analystes envisagent un triplement des faillites» déclare*** l’économiste Jean-Yves Archer. «Une entreprise restée sans activité pendant trop longtemps est susceptible d’être criblée de dettes et de perdre sa valeur économique», ajoute* son collègue Jean Pisani Ferry.

«Sur le plan économique, la priorité consiste à organiser la survie des entreprises», avertit* l’essayiste Nicolas Baverez. Il ajoute que :«La pandémie du coronavirus constitue un test impitoyable pour les dirigeants comme pour les institutions des nations». Un test pour les dirigeants et les institutions ? Que propose la FFP pour organiser la survie des écoles de parachutisme ?

Elle leur a écrit une lettre le 10 avril, quatre semaines après leur cessation totale d’activité pour leur dire qu’elle «a commencé à réfléchir aux dispositions futures concernant nos écoles de parachutisme et leur hypothétique reprise». Quatre semaines pour commencer à réfléchir ! À ce rythme, il est juste d’évoquer une reprise «hypothétique», car, faute d’aide urgente, il est possible sinon probable que certaines écoles auront déposé le bilan avant la reprise.

Dès la première semaine, tout le monde avait déjà compris que le confinement serait long et que la reprise serait encore plus longue, surtout pour une activité de loisirs qui représente peu d’emplois à l’échelle de la catastrophe sanitaire, peu de chiffre d’affaires dans le PIB de la France, et très peu d’impôts pour l’État puisqu’une partie non négligeable d’entre elles n’est pas fiscalisée, tandis que la promiscuité dans les avions est extrême. En conséquence, la FFP aurait pu annoncer très vite trois mesures concrètes pour aider les écoles et les clubs affiliés ou agréés.

La FFP aurait pu annoncer très vite trois mesures concrètes pour aider les écoles et les clubs affiliés ou agréés.

La première mesure aurait été à effet immédiat : une annulation totale et définitive pour toute l’année 2020 des cotisations payées annuellement par les écoles à la FFP. Avec en conséquence un dégrèvement total pour les écoles qui ne l’ont pas encore payée et un remboursement immédiat de celles qui l’ont déjà payée. Et comme il faut aussi aider les clubs, ligues et comités, la même mesure devrait leur bénéficier. Il n’est malheureusement pas possible de rembourser les licences. Vu l’ampleur de la catastrophe annoncée, il faut choisir des priorités et cibler les efforts sur les lieux de la pratique sportive.

Selon les bribes d’informations sur son compte de résultat (la FFP n’en fournit plus le détail lors de son AG, contrairement à autrefois), ces cotisations représentent une somme de l’ordre de 190.000 euros (190.641 euros en 2019 et 200.447 euros en 2018), soit environ 10% de 2 millions d’euros d’excédent que détient la FFP selon son président dans sa lettre du 3 octobre 2019. La FFP peut donc supporter sans risque un tel effort si c’est pour tenter de sauver ce pour quoi elle existe : le parachutisme.

Elle ne ferait alors que s’inspirer par exemple de la CPME (Confédération de Petites et Moyennes Entreprises) dont le président, François Asselin, a annoncé que, pour aider les petits patrons et les indépendants dont les revenus personnels s’évaporent, la CPME propose de leur restituer jusqu’à 2.500 euros de cotisations retraite.

Une seconde mesure aurait pu être décidée très rapidement par la FFP : la création immédiate d’un fond de solidarité afin de pouvoir financer des plans de sauvegarde ou de relance d’activité des écoles en difficulté. «Il faudra des liquidités pour financer le fonds de roulement des entreprises», analyse*** l’économiste Jean-Yves Archer. Pour abonder ce fonds de solidarité, plusieurs pistes peuvent être explorées, sans que la liste soit limitative.

La suppression d’une partie, voire de la totalité selon la tournure des évènements, des compétitions fédérales, coupes de France et championnats de France, va entrainer des économies substantielles de frais pour la FFP. Frais liés au déplacement de juges, de techniciens, de dirigeants, de secrétaires. Dans le compte de résultat 2019, le détail des frais de déplacement n’apparait pas. Ils sont noyés dans le poste «autres charges» d’un montant de 827.190 euros, environ 30% du total des charges d’exploitation (2.825.353 euros), une paille, dont personne à l’AG ne demande le détail.

On pourrait ajouter les économies liées aux déplacements à l’étranger par allègement du nombre de participants lors de réunions, colloques, compétitions. Est-il nécessaire qu’assistent aux compétitions en Australie ou en Afrique du Sud le président et la vice-présidente ?  Ont-elles lieu dans des déserts médicaux tels qu’il faille un médecin fédéral sur place ? Les équipes de France ne peuvent-elles pas s’entrainer plutôt en France pendant quelques temps ? Ajoutons le soutien de la FFP à la fédération portugaise de parachutisme pour le développement du parachutisme au Portugal où vont sauter de plus en plus de Français : est-ce dans les missions de la FFP financées par les licenciés français ? La FFP devrait s’appliquer un plan de rigueur en éradiquant les dépenses superflues qui seraient réaffectées au fonds de solidarité.

Ces économies automatiques, ajoutées à un usage drastique des moyens de transport les moins onéreux (voitures de location de bas ou moyenne gamme, covoiturage, hôtels plutôt modestes, avions low cost…) seraient directement affectées au fonds de solidarité. Ajoutés à la réorientation budgétaire des 50.000 euros prévus pour financer le soutien aux Jeux Olympiques d’Atlanta (idée déjà exprimée dans le ParaMag de mars dernier, article de Bruno Passe sur l’AG de la FFP) et à l’économie de mise en place d’avions à Vichy (le Caravan de Pamiers, et d’autres), c’est déjà une somme non négligeable qui pourrait être facilement mise à disposition des écoles en difficulté.

N’oublions pas l’assureur.

Début avril, la MAIF a annoncé la rétrocession à ses assurés d’une partie des primes de sa branche automobile, le nombre de sinistres à indemniser ayant chuté de 75% en raison de la baisse considérable de la circulation, donc des accidents de circulation, due au confinement. Les autres assureurs ont été priés par le gouvernement de faire de même. L’interdiction de pratiquer le parachutisme a une conséquence encore plus marquée pour l’assureur fédéral : non pas la diminution, mais la suppression pure et simple de tout risque d’accident de parachutisme à indemniser.

Il serait judicieux que la FFP négocie une baisse de prime pour la période considérée, d’autant que la pratique du parachutisme n’est pas linéaire durant l’année et que sont supprimés les mois de plus grande pratique donc de plus grand risque d’accident-sinistre. Sachant que les primes sont versées par les licenciés (la part assurances dans la licence) et les structures, écoles ou clubs, cette baisse de prime ne doit pas représenter un gain pour la FFP, mais pour les pratiquants. Elle devrait donc intégralement abonder au fonds de solidarité. Et l’image commerciale de l’assureur en serait valorisée.

Rappelons enfin que la FFP est dotée d’un fonds d’aide sociale créé par Monique Laroche Machavoine, ancienne championne du monde, qui nous a quittés en 2016, et qui est abondé par une cotisation spéciale incluse dans la licence. Tombé dans l’oubli depuis le décès de Monique en 2016, son fonctionnement devrait être réactivé pour affectation des fonds disponibles au profit des parachutistes en situation personnelle difficile, car il y a des fonds qui dorment, sans doute quelques dizaines de milliers d’euros, mais on ne sait pas combien, faute de comptes détaillés.

Enfin, après avoir calculé la somme qu’elle doit conserver en réserve pour faire face à ses propres charges, notamment salariales, avec une perspective de diminution des ventes de licences en 2020 et peut-être 2021, le surplus de l’excédent de 2 millions d’euros pourrait être affecté au fonds de solidarité.

Une troisième mesure aurait pu être annoncée par la FFP en même temps que les deux premières : la mise en place d’un comité de pilotage directement accessible par les écoles et les clubs pour aider et conseiller celles et ceux qui en éprouveraient le besoin. Ce comité serait composé d’avocats pour l’aspect juridique, d’experts-comptables pour l’aspect gestion, de techniciens pour l’adaptation au parachutisme, et d’élus de terrain et d’élus fédéraux pour leurs connaissances pratiques. On pourrait envisager deux groupes de cinq personnes, une personne de chaque catégorie, décidant à la majorité sans voix prépondérante, joignables en direct pour plus de fluidité et de réactivité, mais aussi pour assurer le respect du secret professionnel des professions réglementées le composant. Ses préconisations seraient obligatoires pour éviter de sombrer dans l’inefficacité d’un comité Théodule.

Ce comité de pilotage aurait une mission d’information et de conseil, et une mission de validation des plans de continuation, de sauvegarde ou de sortie de crise, qui lui seraient présentés par des écoles ou des clubs. Il aurait ainsi la responsabilité d’engager les sommes affectées au fonds de solidarité, bien entendu dans le respect des sommes disponibles. Il pourrait déjà donner deux conseils qui apparaissent nécessaires, eu égard à ce qu’on peut lire par-ci par-là.

Le premier conseil concerne les modalités de reconstitution d’une trésorerie limitée ou défaillante. On voit apparaitre sur les réseaux sociaux l’idée de vendre des sauts d’avance, par paquets de 50 ou 100, voire plus, moyennant un rabais de 5 à 10%. Il y a deux objections à cette pratique.

La vente avec un rabais est une promotion commerciale.

La première objection ne concerne que les associations non fiscalisées. La vente avec un rabais, le treize à la douzaine, est une promotion commerciale. Cet acte commercial entraine obligatoirement et automatiquement une fiscalisation de l’activité, une imposition aux impôts commerciaux, TVA à 20% comprise. Un contrôle fiscal porte sur trois ans plus l’année en cours. C’est le coup de grâce prompt à achever définitivement l’association déjà malade de sa trésorerie, le médicament qui tue le malade en le guérissant.

La seconde objection concerne toutes les structures, associatives fiscalisées ou non, comme commerciales. Cette manière de reconstituer une trésorerie défaillante en raison d’une inactivité prolongée consiste à payer les charges actuelles avec des ventes de prestations futures. Mais quand il faudra servir les 100 sauts achetés d’avance, avec quoi payer le kérosène, le pilote, l’entretien de l’avion et les autres charges si l’argent correspondant a déjà été dépensé ? C’est une problématique bien connue de la presse, et de ParaMag en tête : les abonnés achètent 12 numéros d’avance et il s’agit de répartir la somme reçue sur 12 mois.

Si le moment venu, les sauts précédemment vendus sont financés avec la vente de nouveaux sauts futurs, c’est une fuite en avant, un engrenage infernal. Et c’est une faute de gestion qui pourrait voir le président et le trésorier, ou le gérant, contraints d’en payer les conséquences avec leurs biens personnels dans le cadre d’une action en garantie de passif.

C’est ce qui s’est passé avec feu le CPS de Brienne en 2010: «Lier le dumping à l’achat groupé d’un grand nombre de sauts est un leurre, car la perte devrait être compensée par le placement financier de la trésorerie ainsi obtenue, et il faudrait un taux irréaliste de 10% (pour récupérer le rabais de 10%). Plus grave : Brienne a vendu des sauts pour 2011, pendant l’hiver, à un prix attractif comme s’il n’était pas déjà en cessation des paiements, alors que les faits prouvent qu’ils l’étaient déjà», était-il écrit dans ParaMag en mai 2011. Résultat : présidente et trésorier ont dû éponger une partie du passif à hauteur d’un total de 150.000 euros payables sur leurs biens personnels (ParaMag, mai 2019).

Le second conseil concerne les modalités de gestion avec une trésorerie limitée ou défaillante. À cet égard, partageons l’expérience qu’un gérant de société a racontée dans le quotidien régional Le Progrès le 11 avril «On est une entreprise très saine (5.000 collaborateurs), résultat 2019 positif, visibilité de trésorerie sur 12 mois, comptes certifiés sans réserve, mise en place des dispositifs du gouvernement. Néanmoins, au vu d’une crise économique qui s’aggrave et parce qu’on n’a aucune visibilité sur la reprise, j’ai décidé d’un acte de gestion en plaçant l’entreprise en sauvegarde. Elle est sous protection du tribunal. Toutes les dettes sont gelées».

La procédure de «sauvegarde de justice» est destinée à aider les entreprises saines financièrement à passer le cap de difficultés passagères. Elle permet de geler les dettes, le temps de trouver une solution pérenne permettant un retour de l’entreprise à une situation de gestion normale. Cette procédure ne peut pas être mise en œuvre si la situation financière de l’entreprise est déjà trop dégradée. Elle doit donc être mise en œuvre avant les difficultés prévisibles. C’est pourquoi il est nécessaire que des professionnels spécialisés, avocats et experts-comptables participent au comité de pilotage.

Voilà donc quelques décisions qui auraient pu être prises très vite par la FFP. Puisse ce texte l’aider à accélérer sa réflexion tout juste entamée.

«C’est pendant l’orage qu’on connait le pilote», a écrit Sénèque. Si j’étais président…, mais je ne le suis pas.

*Le Point
**Marianne
***Valeurs Actuelles

Article d'Yves-Marie Guillaud à paraître dans le ParaMag n°396 de mai 2020

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