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Réflexions de l'iconoclaste

Article paru dans ParaMag n°382 de mars 2019

LES ROBOTS-ARBITRES

 

Dans un article au titre sans équivoque, «Les robots mettent les arbitres hors-jeu», publié dans le JDD le 13 janvier dernier, le journaliste Anicet Mbida a développé l’idée qu’aux prochains Jeux olympiques les gymnastes «pourraient être notés par des machines». «La technologie pourrait-elle finir par remplacer les arbitres ?», interroge-t-il.

La pertinence de la question s’éclaire lorsqu’on sait qu’en décembre dernier deux joueurs professionnels de Starcraft 2 ont perdu contre une intelligence artificielle (IA) dont le développement par une filiale de Google a débuté il y a deux ans seulement. Score sans appel du 1er match: 5-0 en faveur de l’algorithme. La raclée a été du même ordre lors de la 2nde partie avec l’autre joueur.

«Il n’y a aucun joueur au monde qui peut contrôler ces unités d’une telle façon avec ce genre de précision», a déclaré un commentateur spécialisé. Un autre ajoutait : «C’était surhumain». Lors d’un match exhibition fin janvier, l’un des joueurs a pris sa revanche: 10-1. L’honneur est sauf. Quoique ! Pour cette exhibition, l’algorithme avait été légèrement changé pour le rapprocher d’un jeu humain…

Pour en revenir aux robots-arbitres, après avoir rappelé la photo-finish en athlétisme, l’assistance vidéo en tennis, football, rugby et le transpondeur en triathlon, le journaliste expose que «on envisage de les utiliser pour attribuer des notes techniques et artistiques lors des compétitions de gymnastique ou de patinage artistique». Diantre ! Les algorithmes jugent même l’artistique… !

«Il faut reconnaitre qu’il est de plus en plus compliqué pour l’œil humain de repérer certains mouvements avec des athlètes qui exécutent de plus en plus vite des figures de plus en plus complexes», constate le responsable des robots-arbitres chez Fujitsu. Sans compter que la note peut varier selon la fatigue ou la sensibilité du juge, alors que la machine est infatigable et impartiale.

Le système a été inauguré aux championnats du monde de gymnastique au Qatar fin 2018 et sera utilisé aux prochains à Stuttgart fin 2019, pour être prêt pour les JO de Tokyo en 2020. Et pour être étendu au patinage, au plongeon, au dressage…

Des réserves sont émises par des détracteurs, dont la championne olympique (Montréal 1976, Moscou 1980) Nadia Comaneci dans The Gardian : «Que se passera-t-il quand quelqu’un réalisera une figure non référencée par l’ordinateur ?». La réponse est peut-être, sans doute, dans la capacité d’adaptation de l’intelligence artificielle.

Conclusion de l’article : «Il risque d’y avoir de moins en moins d’hommes et de plus en plus de machines pour surveiller les sportifs», ce qui fait écho avec le reportage publié dans les présentes colonnes en janvier dernier au sujet du projet de soufflerie aux JO de Paris en 2024.

Il était en effet écrit dans ce reportage : «Concernant le jugement en direct, deux juges étaient perchés sur un échafaudage pas très stable afin d’avoir une vue par-dessus, ou presque. Manu Ars a expliqué que pour les JO, une nacelle serait installée, ce qui parait opportun... Peut-être, soyons fous, pourrait-on imaginer des images vidéo multi-angles?»

Le principe du jugement par un robot-arbitre est décrit dans l’article du JDD : «Utiliser des caméras 3D, repérer la position de chaque membre dans l’espace, pour ensuite décomposer les mouvements de l’athlète. Cela permet de mesurer précisément le placement des épaules par rapport au corps, la vitesse de rotation, l’angle exact que fait la jambe… Ces informations sont ensuite compilées et comparées aux critères de référence de la discipline».

Juger du VR-4, discipline sans critère artistique, avec juste des prises de mains simultanées selon des figures prédéterminées s’enchainant dans un ordre prévu d’avance le plus rapidement possible, serait pour un robot-arbitre d’une facilité qu’on ne peut même pas qualifier de déconcertante puisqu’un robot ne peut pas être déconcerté. Sans parler du dynamic où on se demande comment l’œil humain arrive à capter les enchainements ultra-rapides sans contact et en trois dimensions.

Ce qui est dit pour le VR en tube peut être transposé au VR en plein air et au VRV, semble-t-il. En PA, il y a belle lurette que le jugement est électronique, les juges se bornant à surveiller le carreau électronique et certains critères annexes. À quoi sert de laisser des juges en bord de cible si un robot-arbitre intègre les données de l’anémomètre, apprécie le contact du corps avec le sol, etc. ?

En voltige ? Un robot-arbitre est capable en gymnastique de «repérer la position de chaque membre dans l’espace, pour ensuite décomposer les mouvements de l’athlète..., de mesurer précisément le placement des épaules par rapport au corps, la vitesse de rotation, l’angle exact que fait la jambe…». Ne s’agit-il pas de critères proches de ceux qui composent une voltige, un tour-tour-salto ?

Serait-ce plus problématique dans les disciplines artistiques ? Certes, ce serait plus délicat, le critère artistique pouvant être considéré comme plus subjectif. Cependant, il est annoncé que «ces dispositifs ne ciblent plus uniquement les décisions binaires : but ou pas but, premier ou deuxième d’une course… On envisage de les utiliser pour attribuer des notes techniques ou artistiques».

Que dire de la wing-suit où l’électronique est quasi indispensable pour apprécier la vitesse, l’angle, la trajectoire, etc. ? Le cas le plus problématique est celui du voile-contact pour l’appréciation de la prise de pied dans les suspentes. Mais est-ce une discipline d’avenir ?

L’arbitre pourrait ne servir qu’à vérifier que le robot-arbitre est bien alimenté en électricité, quoiqu’avec l’intelligence artificielle, il le fera lui-même. Qu’on le veuille ou non, la part humaine dans le jugement sportif va continuer à s’amenuiser. Faut-il le regretter au nom de l’histoire, du passé encore présent, des habitudes, au risque de conclure avec Laurent Baffie que «Mon passé très présent rend mon futur imparfait» ?

L’olympisme peut-il accepter un jugement par des juges penchés sur le tube ? Le parachutisme peut-il rester figé dans des pratiques ancestrales avec des juges cloitrés dans un bocal de jugement ? L’usage de robots-arbitres en soufflerie n’est-il pas inéluctable ? Et ensuite en parachutisme ?

Le développement de robots-arbitres a un coût. Les retombées attendues de l’olympisme sont inégalement partagées : la gloire pour la FFP, les bénéfices pour les multinationales  de soufflerie. Qui est prêt à investir ?

Après la révolution hémisphérique-aile, voici celles de l’indoor et de l’électronique. «Il est possible que le Progrès soit le développement d’une erreur», a dit Jean Cocteau. Sa phrase contient la possibilité inverse...

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