"Un jour j'ai eu le déclic : pourquoi ne pas concevoir une aile en pression avec un extrados et un intrados, épousant la forme du corps. Et ça a marché !"
(Extrait d'une interview de Patrick de Gayardon, en 1998, au sujet de la wingsuit)

Par Bruno Passe

C’est pour préparer un dossier spécial à paraître dans l’édition ParaMag n°129 de février 1998 que nous avions interviewé Patrick de Gayardon, dit "Deug". L’article, intitulé "Wing Flight", expliquait cette nouvelle technique mise au point par le parachutiste français, devenu internationalement célèbre.

Médiatisé par le sponsoring de la marque Sector, le terme Wing Flight était utilisé pour décrire les exploits que Patrick de Gayardon était alors le seul à réaliser, équipé d'une combinaison ailée : voler à proximité du relief, rentrer dans un avion en vol, effectuer de longues trajectoires…

"J'ai aussi pensé aux hommes oiseaux des générations précédentes, en me disant "surtout ne fais pas ce qu'ils ont fait" !" expliquait Patrick de Gayardon en 1998, durant cette interview.  "Beaucoup ont utilisé des parties rigides alors que, dès mes premiers sauts, mes instructeurs m'ont enseigné "pas de parties rigides, c'est dangereux, ça accroche". J'ai gardé ça bien en tête. Ensuite la plupart n'avaient que des ailes monosurfaces ; or une aile de parachute (ou de parapente) doit avoir un intrados et un extrados pour voler. C'est ce que j'ai mis en application sur les ailes de ma combinaison. Le seul qui était arrivé aux ailes bi-surface était Léo Valentin, mais c'était un modèle rigide et cela lui fut malheureusement fatal."

Les vols en wingsuit à proximité des reliefs du Grand Canyon (photo ci-dessus) et à Chamonix ont largement contribué à rendre célèbre Patrick de Gayardon. Photo Philippe Fragol

Quelques semaines plus tard, le destin attendait Patrick de Gayardon au coin d‘un mauvais détour. Malgré toutes les précautions qu’il prenait à concevoir et à mettre au point ses idées géniales, c’est l’installation d’un déflecteur, une pièce semi-rigide sur son parachute "spécial winguit", qui s’est transformée en piège mortel.

Le 12 avril 1998 au soir, une faute d’inattention de quelques secondes allait lui coûter la vie, dès le lendemain matin. C’était une belle journée de sauts qui démarrait dans le ciel d’Hawaï, avec ses ami(e)s et collègues Wendy Smith, Katarina Ollikainen, Patrick Passe et Adrian Nicholas, une journée qui allait se transformer en cauchemar.

Tout ce que ParaMag a publié sur Patrick de Gayardon avant et après ce lundi 13 avril 1998 est désormais disponible sur Internet grâce au projet l'Intégrale. Et ce n’est qu’une petite partie de l’ensemble des publications internationales concernant Patrick de Gayardon, qui comprennent également une présence sur les réseaux sociaux.

Dans son numéro spécial n°132 de mai 1998, contenant plusieurs articles en hommage à Patrick de Gayardon, ParaMag a écrit : "Le 13 avril 1998, une légende est née, et elle n’est pas près de s’arrêter !"

Cela se vérifie encore aujourd’hui, le 13 avril 2023, soient 25 ans plus tard.

Deug aurait eu 63 ans cette année…

Né le 23 janvier 1960, s'il avait vécu jusqu'à l’âge de 63 ans, Patrick de Gayardon aurait certainement adoré :

● Voir tout ce qu’il est possible de faire, de nos jours, avec une wingsuit. Et notamment les photos qui illustrent cet article commémoratif, ce vol relatif hybride entre un pilote de voile haute performance et un groupe de wingsuit, réalisé en 2022 au-dessus de Tallard, là où il résidait.

● Constater que, depuis 2006, la pratique de la wingsuit est enseignée officiellement par la FFP, via un encadrement réglementé, en suivant une formation documentée, avec délivrance de brevets, etc. Une démarche similaire à celle qu’il avait entamée pour le skysurf, avec la FFP.

● Constater également que, depuis 2015, la wingsuit est devenue une discipline de compétition reconnue par la FAI, avec des rencontres nationales et internationales, des titres de champions du monde, etc.

● Observer les déclinaisons de la combinaison ailée en dizaines de modèles différents, classés par type, pour le débutant comme pour l’expert, et fabriqués en milliers d’exemplaires, via diverses marques de fabricants internationaux.

Vol relatif hybride entre un pilote de voile haute performance et un groupe de wingsuiteurs, réalisé en 2022 au-dessus de Tallard, là où résidait Patrick de Gayardon. Cette pratique est courante de nos jours. Photo Appel d'Air Wingsuit - Stéphane Zunino

● Se voir élu, en 2019, premier Français à l'International Skydiving Museum and Hall of Fame, le musée international du parachutisme, basé sur le sol américain.

● S'amuser à pratiquer la ressource en wingsuit, pas forcément pour battre des records ou faire des exploits (à son âge !), "juste pour kiffer", dixit les Soul Flyers.

● Aller voler avec des potes dans la soufflerie Indoor Wingsuit à Stockholm, en Suède. Elle semble être devenue the "place to be" pour beaucoup de wingsuiteurs du monde entier.

● Visionner durant des heures, les jours de mauvais temps, ces innombrables vidéos de vol de proximité, en analyser les moindres détails pour partager ses connaissances et faire évoluer, encore et encore, la technique et le matériel.

● Savoir que depuis 2022, une I.A., intelligence artificielle, le reconnaît publiquement  comme l’inventeur de la wingsuit moderne et qu'elle connait (en partie) sa carrière.

Il aurait certainement adoré plein d’autres choses qui se produisent de nos jours dans plein d’autres disciplines du parachutisme, car il en pratiquait plusieurs : pionnier français du BASE jump, il était aussi compétiteur de haut niveau en vol relatif, en skysurf, en voile contact, moniteur breveté d’état PAC et tandem, breveté parachutiste professionnel, parapentiste, etc.

Parmi toutes ces disciplines, la wingsuit reste celle dans laquelle il est le plus identifié. Pratiquant(e), futur(e) pratiquant(e), ex-pratiquant(e)s ou simple admirateur(trice), ayons une pensée aujourd’hui pour Patrick de Gayardon !

Patrick de Gayardon, un homme volant heureux, à l'époque de sa remontée dans le Pilatus en vol, à Chambéry, en 1997. Photo Philippe Fragol

À lire également

Article "Patrick de Gayardon au Skydiving Hall of Fame" paru dans ParaMag n°391 de décembre 2019.

"Patrick de Gayardon, 10 ans de légende", article commémoratif publié en avril 2008, dans le ParaMag n°251 (voir page 30).

Dossier spécial "Wing Flight, l’homme oiseau" publié en février 1998 dans le ParaMag n°129 (voir page 24).[/lettrine]

En mai 1998, après l’accident du 13 avril, c’est une édition spéciale qui était publiée en hommage à Patrick de Gayardon, le ParaMag n°132.

Record officieux

Parmi les records auxquels il a participé, il y en a un – toute proportion gardée, car sans autre valeur que celle qui lui est attribuée par les parachutistes, du débutant au champion – dont il était fier… Celui d’être le plus grand nombre de fois à la Une* de ParaMag. 11 fois de son vivant, et une triste 12° fois.

Liste des numéros de ParaMag avec Patrick de Gayardon en couverture :
PM n°132 - PM n°129 - PM n°12 - PM n°95 - PM n°68 - PM n°54 - PM n°45 - PM n°36 - PM n°34 - PM n°28 - PM n°10 - PM n°5 - PM n°3

(*) Ce record officieux a ensuite été battu par Vincent Reffet, dit "Vince". Voir l’article "Vince, intégralement".

DEUG SUR INTERNET

De nos jours, le meilleur moyen de mesurer l’ampleur de la légende est de lancer le nom de Patrick de Gayardon sur les moteurs de recherche d’Internet.
Le résultat est sans équivoque : des centaines de liens, dans toutes les langues… Des articles (Wikipédia ou L’Équipe), des photos, des vidéos, etc. Comme il s’agit d’Internet, on y trouve de tout, du bon et du moins bon. Pour le meilleur, il s’agit le plus souvent d’extraits d’émissions de télévision (parfois l’émission est téléchargeable en intégralité, c’est le cas de l’excellente "Chute à l’extrême" de la chaine Odyssée) ou encore de la célèbre publicité Reebok.
Sur notre site Paramag.fr, dans la rubrique Archives, un dossier spécial Deug contient l’intégralité de quelques articles publiés en ligne dès les années 1997/98, ParaMag étant une des premières entités parachutistes à avoir ouvert un site Internet, en 1996.
Sur les réseaux sociaux, une page Facebook ouverte à son nom comporte 17.000 followers.
Cette liste est non exhaustive !

Et elle continue d'évoluer, avec par exemple cette "pépite" qui a ressurgi en septembre 2022. Ces images d'archives uniques ont été tournées en 1997 par Joe Jennings (USA), pour le DVD "Good Stuff". Elles ont été restaurées en 4K et stabilisées par Jarno Cordia qui les a publiées sur sa page YouTube :

Ces images savoureuses, accompagnées d'une douce musique au piano, remémorent une partie du texte écrit par Françis Heilmann pour l'article commémoratif "Patrick de Gayardon, 10 ans de légende" publié en avril 2008 par ParaMag :
".../...Après ses vols, Patrick parlait beaucoup, mais l'essentiel est dans ce qu'il ne disait pas. Oui, nous n'avons découvert qu'après ce que lui vivait au quotidien. Le vol en wingsuit est LE vol, la jouissance sublime du désir aérien, le reste n'est qu'utilisation et conduite d'une machine plus ou moins complexe. Les ailes additionnelles au corps de chair sont et resteront l'essence même du vol de l'homme-oiseau, sa capacité à planer générée par l'intégration du corps humain dans l'espace et la matière de l'air. Les autres formes de vol, plus performantes, mais mécanisées, ne sont qu'artefacts, artifices de la pensée, rêves déchus et pis-aller de l'âme.
70 ans après les premiers pionniers, les démonstrations en wingsuit sont fulgurantes, évidentes, le public hurle, crie et s'extasie parce que là, au-dessus de sa tête, des hommes tracent un sillon horizontal dans le ciel. Ces hommes volent de leurs propres ailes, et rien ne peut le nier."

Depuis ces publications texte et images, Jarno et Francis ont rejoint Deug au paradis des hommes volants. Respect & Rest in Peace.