Le 15 mars dernier, à Roswell au Nouveau-Mexique, Felix Baumgartner a effectué son premier saut test en conditions réelles dans le cadre de la mission Red Bull Stratos. Installé à bord de sa capsule spéciale, elle-même attachée à un gigantesque ballon d’hélium, le parachutiste autrichien a atteint l'altitude de 21.800 mètres et s'est élancé dans le vide stratosphérique.
Par Bruno Passe
La course aux records, ceux du saut le plus haut, de la chute libre la plus longue et à la fois la plus rapide, est de nouveau lancée. En fait, elle ne s'est jamais arrêtée.
C'est la FAI, la fédération aéronautique internationale, qui gère les records parachutistes quels qu'ils soient : records de compétition, de performance, en équipe ou individuel. Si l'on cherche l'actuel détenteur de record de distance en chute libre sur le site internet de la FAI, c'est le nom russe de Yevgeny Andreyev (ou Eugene Andreïev) qui apparaît avec une performance homologuée à 24.500 mètres et établie le 1er novembre 1962.
Et pourtant ce record de distance en chute libre est historiquement reconnu comme appartenant à l'américain Joe Kittinger pour son saut à 31.332 mètres réalisé le 16 août 1960. Ce même Joe Kittinger que l'on retrouve aujourd'hui, âgé de 82 ans, aux côtés de Felix Baumgartner, dans le cadre du projet Red Bull Stratos où il intervient en tant que membre de la mission de contrôle à Roswell.
Joe Kittinger fait partie d’une équipe de cent experts, recrutés spécialement pour la mission dans les domaines de la science, de l’aviation et de l’aérospatiale. Le directeur technique Art Thompson a, par exemple, participé à la construction du bombardier furtif B-2 tandis que le Dr Jon Clark a été chirurgien d’équipage lors de six missions spatiales.
L'histoire
Joe Kittinger est entré dans l'histoire en établissant 3 performances en une seule chute libre : la plus haute (31.332 m), la plus rapide (988 km/h) et la plus longue (4mn36 secondes). C'est dans le cadre de la mission Excelsior III que Kittinger a réussi cet exploit. Son ballon est monté à 103.000 pieds, 31.332 m. Kittinger s'est élancé dans le vide, et il atteint la vitesse de chute de 988 km/h avant d'ouvrir son parachute à 5.330 m. Il a touché le sol 13 minutes et 45 secondes après avoir quitté la nacelle. Depuis, jamais aucun homme n'a sauté en parachute d'aussi haut, n'a chuté aussi vite et aussi longtemps.
Si le nom de Kittinger n'apparaît pas dans les registres de la FAI, c'est qu'à l'époque l'US Air Force n'a pas jugé utile de proposer cette performance à l'homologation civile. Sa préoccupation principale était de savoir s'il était possible de survivre à une sortie d'urgence aux limites de l'espace et de l'atmosphère. Qui plus est, Kittinger a utilisé un parachute stabilisateur durant sa descente en chute libre, qui n'était donc pas totalement "libre". Ce qui explique que c'est le record d'Andreyev à 24.500 m qui est toujours le seul homologué par la FAI.
Et si, comme nous, vous êtes curieux, vous verrez que le nom de Felix Baumgartner vient d'être préinscrit dans les fameux registres de la FAI. Suite à son saut du 15 mars dernier, il vient de déposer une demande officielle pour un record de vitesse en chute libre sans parachute stabilisateur : 587 km/h.
Avec ce saut à 21.800 mètres, Baumgartner n'a pas sauté plus haut que ses prédécesseurs, mais il a chuté plus vite que certains d'entre eux. Les techniques de chute ont fortement évolué depuis toutes ces années, de même que les possibilités de mesure des vitesses. Même s'il s'agissait d'un saut d'essai, un premier record est toujours bon à prendre. En effet, malgré les moyens gigantesques déployés par la mission Red Bull Stratos, rien n'est jamais gagné d'avance en matière de records de sauts extrêmes.
Le danger
Ainsi Pyotr Dolgov, le parachutiste d'essai qui s'est envolé aux côtés d'Andreyev le 1er novembre 1962 pour le record à 24.500 mètres a eu moins de chance que lui : il n'en est pas revenu vivant. Les deux soviétiques se sont envolés à bord d'une capsule spatiale accrochée sous un ballon, pour tester un sauvetage en chute libre depuis un véhicule spatial. Ils devaient tenter une descente en parachute à haute altitude dans le but de tester des combinaisons pressurisées et le système permettant l'éjection des capsules spatiales Vostok. C'était en pleine guerre froide, la course à l'espace entre Soviétiques et Américains était engagée.
A 24 500 m, Andreyev s'est éjecté de la capsule spatiale, puis il s'est séparé de son siège éjectable et a commencé une chute libre avant d'ouvrir son parachute à 1200 m. C'est ce saut qui tient toujours actuellement en tant que record pour la FAI. Quand à Dolgov, il est resté accroché au ballon jusqu'à atteindre l'altitude de 28.642 m. Lui était plutôt spécialisé dans les ouvertures à haute altitude, il était détenteur d'un record mondial pour une ouverture du parachute à 14.835 m. Comme prévu, il a ouvert son parachute très haut, mais lors de la descente sous voile, sa combinaison s'est dépressurisée et il est mort. Pendu sous le parachute, son corps a mis 37 minutes à rejoindre le sol...
Un autre des records que Felix Baumgartner va tenter de battre est celui du record du monde d'altitude en ballon habité. Il est toujours détenu actuellement par l'américain Nick Piantanida, lui aussi un "chasseur de record" des années 60.
C'est presque involontairement que Piantanida a établi ce record, en février 1966, dans le Dakota du Sud. Il tentait lui aussi de battre le record de Kittinger. L'ascension de son ballon se déroulait comme prévu, et une fois arrivé à 37.185 m, bien plus haut qu'Andreyev et Kittinger, Piantanida s'est préparé à sauter. Il s'est déconnecté des installations de bord, mais la connexion de son tuyau d'alimentation en oxygène avait gelé. Pendant qu'il se battait contre sa combinaison pressurisée, le ballon continuait à monter et il s'est stabilisé à 37.642 m.
Les échanges radio avec le sol ont fait comprendre à Piantanida qu'il n'arriverait pas à se débrancher. La seule solution de survie était la séparation automatique du ballon en restant dans la nacelle et le retour sous le parachute de secours de celle-ci. L'Américain s'est posé indemne dans un champ et immédiatement, avec un canif, il s'est libéré de son entrave. Comme il l'a dit lui-même, dépité : "Si seulement j'avais eu à bord une simple clé à molette à 1,25 $..."
Nick Piantanida se tuera au cours de la tentative suivante : après une heure de vol et à une altitude de 17.556 m, il a lancé un cri d'alarme. L'équipe sol a activé la libération automatique de la nacelle qui s'est posée une demi-heure plus tard. Piantanida a été retrouvé vivant, mais dans un état critique : il venait de subir un grave accident de décompression explosive. Il décédait quelques semaines plus tard, sans sortir du coma et sans pouvoir expliquer ce qui s'était passé à 17.556 m...