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Réflexions de l'iconoclaste sur les fantaisies de pilotage

Extrait du ParaMag n°374 de Juillet 2018

Premier jour de la saison d’été, jour de la fête de la musique, le 21 juin est d’abord le jour du solstice d’été, c’est-à-dire le jour où le jour est le plus long. Pour les parachutistes, c’est l’occasion unique de réaliser le saut de sunset le plus tardif de l’année.

Le Pilatus décolle avec un excellent pilote et dix parachutistes : deux groupes de trois freeflyers (dont moi-même), un initiateur VR et son élève, et deux jeunes individuels. Vers 2.000 mètres, tout le monde se vérifie. Vers 3.500 mètres, tout le monde se souhaite un bon saut avec force tapes dans les mains. Vers 3.700 mètres, les lunettes et casques sont mis. Tous pensent à leur programme de saut.

Alors que les altimètres indiquent «4.000», il ne reste plus qu’à attendre que l’avion passe en vol en palier (c’est-à-dire à plat), que le pilote reçoive l’autorisation de largage du contrôle aérien, puis donne le feu vert pour l’ouverture de la porte. Chacun se concentre sur sa proche sortie d’avion.

Le nez de l’avion baisse, l’arrière se lève, ça y est : il passe en mode de vol en palier. Mais, mais… ! Il se met en légère descente, puis se cabre sur une pente de montée plus forte qu’avant… Et là, il fait un petit vol parabolique tendance «zéro G». Le poids des corps des parachutistes s’allège avec les transferts de pression sanguine afférents.

Puis l’avion se stabilise en palier. Ouverture illico de la porte et saut dans le foulée, sans que personne n’ait eu le temps de se reconcentrer sur son saut après la petite fantaisie «zéro G» du pilote qu’il semble être de bon ton de trouver cool (le pilote et la fantaisie). C’était le 21 juin 2018, mais c’était aussi d’autres fois auparavant, dans des circonstances totalement identiques.

Flashback. En 2013 à Namur, le pilote du Pilatus PC6 a lui aussi fait une petite fantaisie zéro G, dont il était coutumier. Mais cette fois-ci, il a perdu le contrôle de l’avion qui s’est retrouvé en piqué dos. Sa tentative d’en reprendre le contrôle, avec une charge maximale et des transferts de masse, a soumis les ailes à un effort dépassant leur capacité de résistance. L’aile gauche s’est cassée. Onze morts…

Ce même 21 juin 2018, même endroit, même pilote, autre fantaisie : juste après que les roues aient quitté le sol au décollage avec dix parachutistes à bord, l’avion fait un petit virage à gauche puis un virage à droite engagé pour survoler le bâtiment et la terrasse des paras. C’était le 21 juin 2018, mais c’était aussi d’autres fois auparavant, dans des circonstances totalement identiques.

Flashback. En 2011, à Lyon-Bron, le pilote d’un T6 de collection en parfait état de vol a fait un virage engagé en bout de piste pendant le décollage pour revenir survoler des amis devant l’aérogare. Bien que qualifié voltige et ayant plus de 4.000 heures de vol, il a perdu le contrôle de l’avion qui est tombé comme une pierre. Deux morts, lui et sa fille de 20 ans…

Les fantaisies d’un pilote sont désagréables. De quel droit un pilote se croit-il autorisé à secouer ses passagers sans leur consentement ? Mais elles sont surtout dangereuses et peuvent devenir mortelles. De quel droit un pilote se croit-il autorisé à jouer avec la vie de ses passagers qui jamais n’y consentiraient s’il le leur demandait ?

Flashback. En 1997, à Laon, le pilote du Pilatus PC6 fait une erreur de réglage de trim au décollage. L’avion se cabre de plus en plus et décroche. Neuf morts, aucun survivant. Les photos du rapport d’autopsie, vue par moi-même en qualité d’avocat du chef-pilote, reviennent en mémoire quand le pilote fait ses fantaisies de pilotage ce 21 juin 2018 : un buste par-ci, un bras par-là…

Et les souvenirs s’enchaînent. Fin des années 80 à Lyon-Corbas, le pilote du Pilatus PC6 fait lui aussi une erreur de réglage de trim au décollage, mais par chance (!!!) il décroche à basse hauteur. Les roues se retrouvent au niveau des ailes, mais les paras n’ont que quelques contusions. Moins de chance en 1987 à Lens : le Pilatus PC6 décolle réservoirs vides, malgré la remarque d'un moniteur au sol, remarque à laquelle le pilote a volontairement passé outre. Neuf morts, un seul survivant…

Si l’erreur est inhérente à toute activité, elle doit être réduite au maximum en respectant les règles d’un pilotage prudent. En revanche, la mise en danger lors d’une fantaisie de pilotage est inadmissible, intolérable, inacceptable. De quel droit un pilote se croit-il autorisé à mettre ses passagers en danger juste pour blaguer, pour rigoler ?

Il incombe aux dirigeants des structures exploitant des avions largeurs, directeurs techniques compris, de faire cesser toutes fantaisies de pilotage, faute de quoi leur responsabilité pénale peut être engagée. Il est ahurissant qu’un membre d’une école soit chassé sans ménagement pour suspicion de propos sexistes et que le pilote de cette même école y fasse ses fantaisies de pilotage en toute indifférence.

Dangereuses sur le moment, les fantaisies de pilotage le sont aussi à l’avenir. Car les surcharges à répétition imposées à la structure de l’avion affaiblissent petit à petit sa capacité de résistance. Un avion largueur est soumis à des conditions d’exploitation contraignantes : montées et descentes sans vol en palier, nombreux décollages, atterrissages et démarrages, puissance moteur au maximum, importantes variations de température. Il faut le préserver de toutes autres contraintes inutiles.

Flashback. En 1982 à Royan, le Pilatus PC6 décroche au décollage (comme plus tard à Lyon-Corbas). Témoignage : «J’ai à peine eu le temps de prendre la position de crash et de me dire «c’est pas vrai, on ne va pas mourir», que le Pil se fracassait au sol. À l’intérieur, neuf personnes vivantes. Mais le kérosène qui s’y était répandu s’enflamma. Véritable brasier. Et cette sacrée porte bloquée.»

«L’envie de survivre anesthésie les brûlures et les fractures. Une seule idée : ouvrir la porte. Épaisse fumée, on ne distingue même pas si tout le monde est encore en vie. Sortir d’ici avant de continuer à brûler. L’instinct de conservation décuple les forces. La porte ne peut résister, nous libérant d’une mort imminente. Notre ami Éric nous quittait 15 jours plus tard des suites de ses brûlures.»

«Pourquoi raconter cette histoire alors que le temps avait mis un flou sur ces images horribles ? Parce que ça continue. Parce qu’il y a encore des pilotes trop zélés, trop fatigués, trop énervés ou trop sûrs d’eux. Au bout, une belle frousse, mais aussi la mort. Parce qu’un pilote a pris certaines conditions trop à la légère.»

«Je maudis ceux qui prennent ces lignes à la légère. Flirter avec la mort quand on ne lui a rien demandé, ça laisse des cicatrices qui font tressaillir chaque fois qu’un Pilatus ne décolle pas bien à plat.» Le 21 juin 2018, et d’autres fois avant, le Pilatus n’a pas décollé à plat, 28 ans après ce témoignage de Patrick Passe publié dans le ParaMag n°37 de juin 1990.

 

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