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Les 100.000 tandems d’Abeille Parachutisme

En Normandie, au Havre (76) et au Val Saint-Père (50)

Janvier, c’est une période transitoire, certains dirigeants sont encore dans le bilan de la saison qui vient de s’écouler, d’autres (ce sont souvent les mêmes !) préparent déjà la saison prochaine. Chez Abeille Parachutisme, entreprise «para-pro» basée au Havre, la saison 2022 a vu l’alignement de quelques chiffres significatifs.

Interview de Pierre Lhopitalier,
par Bruno Passe

[2/09/2022] [25] [100.000] [13.000 (3000)] [60] [7536] [C208] [14]

Ce n’est pas une formule magique ni un code secret pour réussir dans le parachutisme ! Mais mis bout à bout, ces chiffres représentent la réussite d’une entreprise qui continue de marquer son chemin dans l’histoire du parachutisme, entre vents et marées.

Décodage

Le [2/09/2022], soit [25] ans après sa création, la société Abeille Parachutisme, fondée et dirigée par Pierre Lhopitalier, accueillait son [100.000°] passager tandem.

Quelques jours auparavant, soit le 15 août 2022, Pierre Lhopitalier avait effectué son [13.000°] saut, dont 10.000 en tandem, et «seulement» (3000) en solo.

Quelques semaines plus tard, il fêtait son [60°] anniversaire, c’était lors du dernier week-end de la saison, le samedi 28 octobre. Une saison 2022 qui se clôture en tant qu’année record pour Abeille Parachutisme avec un total de [7536] sauts en tandem.

Son entreprise utilise un avion [C208], plus connu sous le nom de Cessna Caravan, qui peut emmener à son bord [14] parachutistes.

En sortie du Caravan à la verticale de l'aéroport du Havre-Octeville, la vue est magnifique. Photo Abeille Parachutisme

Le saviez-vous ?

C’est Abeille Parachutisme qui a été le premier centre de parachutisme en France à utiliser un Caravan 14 places ? Et ça a bien failli ne jamais se produire…

Nous avons interviewé Pierre Lhopitalier, un «drôle de zèbre», afin qu’il nous explique comment tout cela a été rendu possible. Mais en préambule, une large parenthèse s’ouvre sur Pierre Venier, pilier du parachutisme associatif au Havre durant exactement 60 ans.

Vue tout aussi magnifique, à Avranches, dans la baie du mont Saint-Michel. Photo Abeille Parachutisme

Le parachutisme au Havre… Une longue histoire !

L’aéroclub du Havre est un des premiers de France puisque sa création date de 1919, année des premiers décollages, dans un «champ d’aviation» à la sortie de la ville, sur la route d’Étretat.

En 1956, après la guerre, c’est la création de la section para. Déjà elle se distingue des autres, car elle est intégrée à l’aéroclub et il en sera ensuite de même pour les autres activités : section construction amateur, section U.L.M., section modèle réduit, etc.

C’est certainement unique en France, en tous les cas, c’est très rare : tout ce qui vole se regroupait dans une même association. La tendance nationale était plutôt à l’inverse.

Certes le parachutisme ne représentait au début qu’une faible activité.

Le «stick» de 3, après l’atterrissage sur l’aérodrome d’Octeville-sur-Mer, à la fin des années 70, à une époque où l’infrastructure était encore sommaire. Le hangar qui abrite Abeille Parachutisme se dresse maintenant devant les immeubles en arrière-plan. Photo collection privée Pierre Venier

Jusqu’en 1997, année du début de l’activité parachutiste d’Abeille Parachutisme, la section para du Havre ne réalisait en moyenne que 500 sauts par an, et bien que référencée au sein de la F.F.P., elle n’était pas très connue.

Pierre Venier fût un des principaux acteurs de la section para de l’aéro-club du Havre. C’était aussi un des rares parachutistes à avoir pris sa licence à la F.F.P. durant 60 ans, sans aucune interruption. Sans lui, le parachutisme n’aurait vraisemblablement pas survécu sur ce site. Il avait fêté ses 60 ans de parachutisme en 2016, et nous lui avions rendu hommage à l’époque dans ParaMag (voir en bas de page).

Pierre Venier (à gauche) et Pierre Lhopitalier : «asso» et «pro» main dans la main ! La photo a été prise en 2006 devant le Cessna 185. Photo Abeille Parachutisme

Sur le magnifique site du Havre, à 193 kilomètres de la porte d’Auteuil, au sud la Côte d’albâtre, deux hommes, Pierre Venier et Pierre Lhopitalier, pourtant identifiés dans deux milieux différents - associatif et para pro – ont travaillé main dans la main durant 25 ans. C’est de cette entente qu’est venue la hausse de l’activité parachutiste au Havre et la mise en place, depuis 2006, et pour la première fois en France, d’un Cessna Caravan 14 places.

En septembre 2016, un rassemblement était organisé au Havre, chez Abeille Parachutisme, pour célébrer l’anniversaire des 60 ans de parachutisme de Pierre Venier. Photo Abeille Parachutisme

Interview de Pierre Lhopitalier
L’arrivée d’Abeille Parachutisme au Havre

ParaMag : Quand et comment as-tu décidé de t’installer au Havre ?

Pierre Lhopitalier : Lorsque je suis venu m’installer au Havre, en 1997, j’avais déjà 15 années de bénévolat derrière moi, et j’ai été président de ligue les 3 dernières années. Avant j’étais un bénévole pur et dur, comme beaucoup, j’ai donné de mon temps pour aider l’association dans laquelle je sautais. Je suis devenu président de ligue un peu par la force des choses. Sur un des centres où je pratiquais avant mon arrivée au Havre, l’ambiance était exécrable entre les dirigeants de club. Certains allaient même jusqu’à se traîner en justice, on voyait alors arriver des huissiers relevant des preuves contre la «structure adverse»…, et d’autres «joyeusetés» inacceptables pour moi dans un milieu associatif. C’est un peu par la force des choses, pour calmer le jeu, que j’ai pris la présidence de la ligue.

Sur le plan professionnel, je dirigeais un cabinet d’assurance depuis près de 12 ans. J’avais envie d’autre chose et j’ai alors décidé d’essayer de gagner ma vie dans le parachutisme. Je me disais que cette activité professionnelle pourrait aussi bénéficier au centre dans lequel je sautais habituellement. Dès la première année, mon activité a totalisé plus de 300 tandems.

J’ai pris l’option para-pro afin d’être complètement indépendant. Dans le contexte des années 1990, tout restait encore à faire dans le cadre d’une structure exclusivement tandem para-pro : seuls Christian Bontet avait ouvert à Tours (O.A. et saut d’initiation essentiellement) et Erich Nehls à Vesoul (école U.F.O.L.E.P.).

C’est donc en 1996 que j’ai essayé de fondre mon activité tandem para-pro dans ce centre associatif où j’étais bien connu. Pour faire face aux à priori, j’ai mis en avant le côté l’humain par rapport à la structure, j’y croyais et je pensais sincèrement qu’on aurait jugé l’homme plutôt que le titre, vu mes antécédents. Mais c’était mal vu, ça a tenu un an et puis, sous la pression fédérale de l’époque, le président et son bureau m’ont demandé de partir.

Au départ, je voulais prouver qu’il était possible de fonctionner en tant que para-pro dans une association, tout en lui apportant quelque chose. Ça n’a pas marché.

À cette époque, j’ai mesuré rapidement que l’esprit associatif n’était pas prêt à accueillir un para-pro. J’ai donc cherché un endroit pour m’installer et être indépendant.

Il n’y avait que 3 zones de sauts en Normandie. Bien que j’habite Honfleur et que le Havre est tout près, et je n’avais jamais eu l’occasion de sauter sur cette plateforme (!). Je dois même avouer que j’avais un apriori car, à première vue, le Havre n’est pas très attirant pour faire un baptême de découverte. Mais je connaissais son dirigeant, Pierre Venier, je me suis tourné vers lui et j’ai été bien accueilli. Et dès mon premier saut sur la zone, j’ai été surpris par la beauté du décor et immédiatement séduit.

Au Havre, le paysage se dévoile sur les falaises de la côte d’Albâtre. Photo Abeille Parachutisme

Pierre Venier n’a pas montré d’esprit partisan en regard de la spécificité de mon activité para-pro. Bien au contraire, il s’est décarcassé pour que ça se passe bien. La flotte avion de l’aéro-club comportait un Cessna 172 qui servait pour les baptêmes de l’air, les ballades, et occasionnellement pour le largage des parachutistes.

Depuis l'avion en montée, la vue sur les falaises d’Etretat et la "grande muraille cauchoise" est magnifique. Photo Abeille Parachutisme

J’ai commencé par louer le Cessna 172 de l’aéro-club, puis j’ai loué d’autres avions : un C-182, puis un C-185, un C-206, un C-207, puis un C-210, et enfin un Cherokee 6. C’était les «années locations», car tant que l’activité n’était pas économiquement équilibrée, ça n’était pas la peine de demander un crédit à la banque pour acheter un avion. C’étaient des années difficiles à cause des convoyages et des locations, car il n’y avait pas moyen de louer un avion à l’année et il fallait que je me débrouille. J’ai fonctionné comme ça pendant 3 ans.

Quel était ton volume d’activité durant ces premières années ?

360 tandems la première année, puis 800, puis 1254 et enfin l’équilibre financier au bout de 4 ans avec 2241 tandems exactement, c’était en 1999. J’ai démarré absolument seul, j’avais même du mal à avoir un videoman et j’ai bricolé une vidéo embarquée que je tenais à bout de bras, la création de cette technique date au moins de cette époque !

Je faisais tout : le commercial, l’accueil, les sauts, la vidéo, le montage, le pliage. J’arrivais à passer 8 tandems par jour et mon record est même de 10 en été.

Océane Thomas, Miss Aéronautique France 2018, a effectué son baptême de chute libre chez Abeille Parachutisme.

C’était la fusion totale avec le Havre et durant 4 ans, l’association profitait des avions que je louais ; au départ c’était celui du club (qui était content que l’avion vole davantage). Plus tard, la venue des Cessna 206, 207, etc., était forcément bien vue par les paras du Havre.

La progression a été constante jusqu’à atteindre un niveau moyen de 6000 annuels. L’activité est restée stable à ce niveau jusqu’en 2013. C’est alors que le passage à un taux de TVA supérieur a déclenché une décroissance non négligeable de notre activité.

L’achat de ton premier avion, c’était une étape importante dans l’augmentation de ton activité ?

C’était en 2001, un Cessna 185, acheté à la société Aéro Granville Sud Manche, basée à Granville, où je sautais déjà régulièrement à cette époque, avec des avions de location. Depuis plusieurs années, je venais à Granville une semaine par mois, et pendant 5 mois, de mai à octobre. Aujourd’hui encore, mon activité principale est centrée au Havre, mais un volume important se fait à Avranches, à proximité de Granville.

Au fur et à mesure des années, j’ai fait appel à des collègues indépendants qui venaient faire du tandem, puis un salarié, puis un deuxième, un pilote salarié, une secrétaire, puis mon épouse qui m’avait aidé depuis 20 ans. Au bout de 7 ans, l’entreprise individuelle est devenue une E.U.R.L. qui a employé 5 personnes en C.D.I. plus des C.D.D. durant la saison, auxquels s’ajoutaient des indépendants.

Et en 2006, c’était l’arrivée du Caravan version court. Comment t’es venue l’idée d’acheter cet avion, qui était très peu connu en France à cette époque ?

Oui c’est vrai, cette sorte de petit Twin Otter n’intéressait personne en France ! Il était pourtant déjà utilisé un peu partout pour le parachutage, et notamment en Belgique et en Allemagne. Mais il y avait un inconvénient de taille : en France, il n’était autorisé qu’avec 9 paras à bord, alors qu’il peut en contenir 14.

En tant que professionnel, et bien que la tendance aurait voulu que je me tourne vers le Pilatus, j’ai tout de même étudié les possibilités du Caravan. J’étais attiré par son confort et par son prix, proche de celui d’un Pilatus, alors qu’il pouvait embarquer (en théorie…) plus de personnes. J’ai réalisé aussi que son envergure, d’un bout à l’autre des ailes, était identique à celle d’un Pilatus, un «détail» non négligeable.

En 2006, l’activité parachutiste débutait au Havre avec le Caravan D-FROG, de son immatriculation allemande. Photo Abeille Parachutisme

Dès le départ, je savais que j’allais devoir me lancer dans une bagarre administrative avec l’Aviation civile pour faire approuver le S.T.C.* allemand du Caravan, dans le but de l’autoriser à voler en France avec 14 paras à bord.

Mais même avec 9 places «seulement» et moins de performance sur les temps de descente, étant donné le confort supplémentaire à bord, le prix d’achat similaire et le coût d’entretien moins élevé, l’option du Caravan était intéressante.

J’ai donc décidé d’acheter la machine et de me lancer dans la bagarre administrative, et non pas l’inverse. Le Caravan D-FROG (de son immatriculation allemande), est devenu la propriété d’Abeille Parachutisme à l’automne 2005. C’était le premier appareil de ce type implanté de façon permanente en France dans le cadre du parachutage, il a ensuite reçu l’immatriculation F-GPHO. La bagarre administrative ne faisait que démarrer et elle a duré jusqu’en 2006.

Pourquoi une telle bagarre administrative ?

C’était les débuts de l'Union européenne, et la création de l'E.A.S.A. (European Union Aviation Safety Agency), l’Agence européenne de la sécurité aérienne.

Chaque pays européen s'était vu attribuer la gestion d'une grande marque d'aviation, et pour la France c’était Cessna.

J'ai donc monté un dossier pour l’approbation du Caravan en France avec le S.T.C. allemand à 14 parachutistes. J’étais assez confiant, car l’Allemagne avait validé ce S.T.C. depuis une dizaine d'années, et il était déjà reconnu en Belgique. C’était sans compter sur la lourdeur de l’administration française.

Un des fonctionnaires de l’Aviation civile s’est montré immédiatement favorable au projet, un de ses confrères était défavorable et leur chef de service était complètement indécis. Je me suis dit que c’était reparti pour un tour !

À l’époque c’est Philippe Hoeppe qui était le patron de la M.A.L.G.H.** (Mission de l'aviation légère, générale et des hélicoptères). Il a estimé que mon dossier tenait la route, d’autant que l’Allemagne était un des pays piliers de la fondation de l’Europe, et il a émis un avis favorable.

Malheureusement son supérieur direct, le directeur de l’Aviation civile, a refusé de signer…En fait, il ne voulait plus signer aucun document.

Pourquoi un tel blocage de la part du directeur de l’Aviation civile ?

Parce qu'il était amené à comparaître devant le tribunal correctionnel de Colmar, de même que 5 autres dirigeants - dirigeants d'Air Inter, d'Airbus et un contrôleur aérien - dans le cadre du procès de la catastrophe du mont Sainte-Odile***, survenue en 1992. Une procédure qui était donc en cours 14 ans après les faits.

Malgré le blocage, Philippe Hoeppe a tout de même décidé de poursuivre la démarche du S.T.C. Caravan 14 places auprèsde la communauté européenne, et même si personnellement je n’y croyais plus. Et heureusement qu’il a fait cette démarche, car six mois plus tard, l’Europe a exigé que la France valide le S.T.C. allemand. Malgré cela, malgré les 6 mois de procédure, le directeur de l’Aviation civile a persisté dans son refus de signature.

Nous n’avons jamais baissé les bras et nous y sommes arrivés, avec l’aide de Philippe Hoeppe, qui a pris sur lui, ce qui n’a pas du arranger sa fin de carrière.

Pour l’anecdote, durant cette année 2022, nous avons eu le plaisir d’accueillir, parmi nos clients, sa petite fille qui est venue sauter en tandem et qui a donc pris place dans le Caravan F-GPHO, en tant que passagère tandem.

Elle nous a informés que son père est maintenant en retraite, il est donc temps de saluer publiquement le courage d’un vrai fonctionnaire, qui s’est davantage occupé de l’avancement de ses dossiers plutôt que de celui de sa carrière. Son courage et notre persévérance ont fait qu’aujourd’hui, en France, le Caravan est un avion utilisé couramment dans le parachutisme, ce qui a évité à notre pays de rester «à la traine» derrière les autres pays d’Europe.

Comment est-ce que l’arrivée du Caravan a influencé l’activité chez Abeille Parachutisme ?

L’arrivée du Caravan a été évidemment positive en termes de confort, de volume et de qualité de travail, elle a aussi largement contribué à diminuer les nuisances pour les riverains.

En 2006, les membres de la section para de l’aéro-club du Havre se réjouissaient de l’arrivée du Caravan sur la drop zone.

F-GPHO, dit «Hôtel Oscar», équipé de sa turbine de 675 chevaux, a donc été le premier Caravan en France à emporter 14 paras à 4000 mètres dans un confort quasi exceptionnel. À mes yeux, le Caravan est certainement le plus confortable de tous les avions monomoteurs. Lorsque nous l’avons acheté, il était déjà équipé d’une porte-rideau électrique, d’une rampe extérieure, d’un marchepied et d’une poignée vidéoman permettent des sorties groupées.

Dans un premier temps nous avons conservé le Cessna 185 des débuts, avec ses 5 paras, il servait d’appoint en cas de nécessité.

L’année 2006 a été meilleure que les précédentes, voici quelques chiffres : 3374 tandems qui, avec les vidéos, représentaient environ 8500 places avions. À cela s’ajoutait environ 500 sauts loisirs et ce sont près de 9000 sauts effectués au Havre en 2006, un record ! Le Caravan a totalisé 350 heures de vol et le Cessna 150 heures.

Dans le Caravan d’Abeille Parachutisme, à l’occasion de l’anniversaire de ses 60 ans de parachutisme, Pierre Venier est accompagné de ses deux petits enfants : Romane (en combinaison bleue) est assise derrière Pierre (au premier plan), au fond Pierre Lhopitallier emmène Nicco, le frère de Romane, en tandem. Photo Abeille Parachutisme

Parlons maintenant de l’infrastructure dont dispose Abeille Parachutisme, le centre étant implanté sur un aéroport contrôlé, à quelques mètres de la tour...

Au Havre, les parachutistes disposent d’un hangar de 1000 m2, une cible en gravier, une salle vidéo, et une cafétéria dans l’aérogare.

La proximité de la tour ne pose pas de problème, c’est surtout la confiscation du hangar, au moment du changement de propriétaire de l’aéroport, qui nous a posé un gros problème.

Le hangar ne vous appartenait donc pas ?

Si, je l’ai acheté quelques années après l’implantation d’Abeille Parachutisme au Havre, mais il est bâti sur le terrain de l’aéroport.

Depuis sa création, au début du siècle dernier, et jusqu’à il y a une dizaine d’années en arrière, c’est l’État français qui était propriétaire de l’aéroport.

En 2007, la loi française a transféré environ 150 aérodromes et aéroports appartenant à l’État au profit des collectivités ou de leurs groupements. Diverses catégories étaient concernées par ce transfert, allant de petits aéroclubs à des aéroports dont le trafic dépasse le million de passagers annuels.

Sur certains endroits, il y a eu des grands bouleversements.

Un des milliers d’atterrissages en tandem sur la zone du Havre. Le hangar d’Abeille Parachutisme est visible à droite de la photo, avec la soufflerie qui se dresse à sa gauche. Photo Abeille Parachutisme

Certains se sont vu confisquer leur bien immobilier, construit sur ces aéroports ou aérodromes, d’autres ont eu la chance de se voir confortés dans leur bien, d’autres ont carrément pu privatiser leur bien et le racheter aux domaines.

Il y a eu tous les cas de figure et Abeille Parachutisme s’est retrouvé dans le pire des scénarios, celui où l’entreprise était devenue «squatter» de son propre hangar. Et cela a duré 3 ans et demi, le temps qu’une procédure politique nous permette de récupérer notre A.O.T.**** (autorisation d’occupation temporaire) constitutif de droits, merci Mr Édouard Philippe.

Un autre des milliers d’atterrissages en tandem sur la zone du Havre. Le hangar d’Abeille Parachutisme est visible à droite de la photo, avec la soufflerie qui se dresse à sa gauche, derrière le pilote tandem.

Une petite anecdote concernant le hangar et l’arrivée du Caravan… J’ai fait remarquer précédemment que l’envergure du Caravan est identique à celle d’un Pilatus, un «détail» non négligeable que j’avais pris soin de vérifier avant l’achat de l’appareil. Car évidemment, il fallait que la nouvelle machine, Caravan ou Pilatus, entre dans notre hangar.

L’ancien propriétaire, à qui j’avais racheté le bâtiment, y exploitait un bimoteur Beechcraft. Je me suis dit que si un bimoteur y rentrait, un monomoteur y rentrerait aussi. Je n’ai donc pas pensé à vérifier la taille de l’écartement des portes… Et lorsque le Caravan est arrivé, nous n’avons pas pu le rentrer… Il manquait 1 mètre ! J’ai dû faire appel un homme de l’art qui a déplacé un poteau, bien sûr en faisant les renforts nécessaires pour que ça tienne bien.

Une autre étape importante dans l’évolution d’Abeille Parachutisme a été l’achat de la soufflerie en décembre 2018. Comment t’est venue cette idée ?

À cette époque, les petites souffleries à ciel ouvert de type Tornado commençaient à arriver sur le marché. De mon côté, je savais que chaque client passager tandem amène sur place une moyenne 3,3 visiteurs. Je me suis dit que ces accompagnants seraient autant de clients potentiels pour une soufflerie implantée sur place.

J’ai donc demandé un devis à l’importateur exclusif de l’époque, afin de faire mes calculs. Et là, surprise : il m’a opposé un refus de vente catégorique au motif que j’étais basé à moins de 100 kilomètres d’une des souffleries du même type qu’il exploitait dans le département voisin.

En décembre 2018, Abeille Parachutisme a fait l’achat de la soufflerie Venturizone. Elle est entrée en service dès l’ouverture de la saison 2019.

Nous étions effectivement à 95 kilomètres, mais avec la Seine à traverser et un changement de département important sur le plan géographique. Je ne représentais donc pas une grosse concurrence, d’autant que je ciblais sur ma propre clientèle. À noter également que notre proximité ne dérangeait pas cet importateur à l’époque où il faisait du tandem chez moi, en indépendant, et qu’il venait s’asseoir à 5 cm de moi, dans mon avion, avec ses clients à lui…

Quelque temps plus tard, j’ai tout de même pu acheter une soufflerie de type Tornado, mais en me tournant vers un modèle d’occasion qui était implanté à Arcachon.

N’était-ce pas risqué d’acheter une machine d’occasion ?

Je n’avais pas eu le choix et effectivement, j’ai eu un problème de malfaçon sur les pales. Ce n’était pas détectable sur les vols standards, nous ne nous en sommes donc pas rendu compte immédiatement. C’est lorsque nous avons fait voler régulièrement des proflyers, donc à des vitesses plus élevées que celle des baptêmes, que nous nous en sommes rendu compte. Il y avait un déséquilibrage dans les pales et une d’entre elles s’est déformée à l’usage.

Je me suis débrouillé seul en faisant construire un moule, des pales, etc. chez un hélicier (fabricant d’hélices pour l’aviation). Ce qui a aussi permis, par la suite, de rendre service à d’autres collègues français qui avaient également des soucis de pale. Et cela sera certainement encore utile dans le futur, étant donné la situation actuelle avec la Russie.

Comment est-ce que l’arrivée de la soufflerie a influencé l’activité chez Abeille Parachutisme ?

Sur le plan matériel, une fois réglées les difficultés évoquées ci-dessus, il a fallu surmonter les difficultés réglementaires. Car nous sommes en France, et c’est donc forcément compliqué... Même les petites souffleries de type Tornado sont soumises à la réglementation sportive française qui impose les mêmes qualifications que pour les grandes souffleries dont l’activité est chapeautée par la FFP.

Pour pouvoir former un nouveau moniteur, il en coute 18.000 euros et six mois de formation, pour leur inculquer une pédagogie surdimensionnée à notre pratique. Alors qu’on n’évolue pas du tout dans le même domaine et pas dans les mêmes dimensions.

Pourquoi sommes-nous soumis à la réglementation d’une fédération sportive alors que notre soufflerie est réglementairement trop petite pour pouvoir pratiquer la compétition ?

Est-ce que tu es tout de même parvenu aux résultats escomptés ?

La première année (2019) était à l’équilibre, mais nous avons ensuite été ralentis par la crise sanitaire. Il a fallu aussi faire face aux difficultés à conserver le personnel d’encadrement.

Je garde l’espoir qu’un jour la soufflerie sera rentable sans avoir à compenser par l’activité parachutiste.

La majorité des souffleries est installée à proximité de lieux de passage, centres commerciaux ou de loisirs, comme à Montpelier, à Toulouse, à Lyon, etc. Elles peuvent donc compter sur un bon volume de clientèle de proximité ou de passage. Chez nous c’est différent, on ne vient pas sur l’aéroport du Havre spontanément.

Actuellement, la soufflerie est un essai réussi, mais qui reste à transformer dans le temps.

L’alignement de ces quelques chiffres significatifs [2/09/2022] [25] [100.000] [13.000 (3000)] [60] [7536] [C208] [14] dans l’activité parachutiste de la saison 2022 est-il positif en final ?

C’est une saison record puisque notre meilleur volume était de 6460 tandems en 2012 et, en 2022, nous sommes à 7536, c’est 1000 de plus. C’est grâce à la météo exceptionnelle de l’été dernier où il a fait aussi beau que dans le sud de la France. C’est la première année où nous avons pu bénéficier d’autant de temps d’ensoleillement.

Pierre Lhopitalier – le «drôle de zèbre» au centre de la photo – est entouré d’une partie du staff de pilotes tandems, et de la championne Déborah Ferrand. C'était après un saut à Avranches, le jour de la Saint-Michel. (De gauche à droite : Mario Gervasi, Deborah Ferrand, Vincent Robieux, Pierre Lhopitalier, Patrick Chavanon et Christian Dessaint.) Photo Abeille Parachutisme

Un dernier mot pour conclure cet interview sur le parcours d’Abeille Parachutisme… ?

Tout cela est aussi rendu possible grâce aux 30 abeilles qui travaillent sans relâche chez nous durant toute la saison, ce sont elles qui font bourdonner la ruche !

Épilogue

Les chiffres, même bien alignés, ne doivent pas estomper la beauté des sites d’activité d’Abeille Parachutisme.

Photo Abeille Parachutisme

Au Havre (voir photo ci-dessus), la piste est située sur la falaise de la côte d’Albâtre. Après le décollage, la montée se fait à la verticale de la mer avec vue sur les falaises blanches, survol du cap d’Antifer, Étretat, le port du Havre, les ponts de Normandie et de Tancarville, Honfleur, Trouville, Deauville, les plages de débarquement… La vue est magnifique, il s’agit d’un des plus beaux sites de France.

Photo Abeille Parachutisme

Et le dernier week-end de chaque mois, l’activité se déplace à Avranches (voir photos ci-dessus et ci-dessous), dans la baie du mont Saint-Michel, tout aussi magnifique. Sauter en vue du Mont-Saint-Michel, notre saint patron, est un «must» pour les parachutistes !

Photo Jean Simone

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Notes en bas de page

* S.T.C. "Supplemental Type Certificate", c'est un document, délivré par l'administration aéronautique américaine, qui formalise l'autorisation de modifier un aéronef (ou un équipement d'aéronef). Les autorités communautaires européennes emploient une terminologie similaire, par extension.


** La M.A.L.G.H. (Mission de l'aviation légère, générale et des hélicoptères) est un point d'entrée privilégié pour les usagers et leurs associations représentatives. Directement rattachée au directeur général de l'aviation civile, elle joue un rôle d'interface et de conseil, s'assurant en son nom de la mise en œuvre des politiques publiques dans ce domaine.


*** La catastrophe du mont Sainte-Odile est un accident aérien survenu le 20 janvier 1992 sur le vol Air Inter 148.  Il a causé la mort de 87 passagers et membres d'équipage, dont les deux pilotes, seuls neuf occupants de l'avion ont survécu. L'avion, un Airbus A320-111 en provenance de Lyon, était en approche de l'aéroport de Strasbourg, lorsqu'il s'est écrasé sur les hauteurs boisées de La Bloss, près du mont Sainte-Odile, en Alsace. Dans un faisceau de circonstances, une confusion entre les pilotes et la machine et une désactivation des systèmes d'alerte de proximité du sol ont contribué à l'accident.


**** Un A.O.T. est une autorisation d’occupation temporaire du domaine public qui permet au titulaire de cette autorisation d’occuper un espace qui ne lui appartient pas, pour une durée déterminée, et de façon professionnelle ou associative.

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Liens Internet
● Article "Pierre Venier, un Monsieur du parachutisme" paru dans le ParaMag n°238 de mars 2006 (page 44)
● Article "Pierre Venier, au Havre, la révérence d’un Monsieur du parachutisme" paru dans le ParaMag n° 360 de mai 2017.
● Le site abeilleparachutisme.fr

Avec Abeille Parachutisme, on saute en tandem de 7 ans… (Photo Alain Cruteanski, dit Skygod)

…à 77 ans ! Photo Abeille Parachutisme

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