La terre qui a vu les équipes de France de parachutisme sacrées championnes du monde en 2008 va-t-elle être sacrifiée ? L'aviation légère ne pèse pas lourd face à 3000 emplois, même s’ils n’existent actuellement que dans l’imagination de quelques élus.
Par Bruno Passe
La rumeur selon laquelle l'aérodrome de la Salmagne serait prochainement fermé pour laisser la place à des entreprises circulait depuis quelque temps. Elle est si terrible que l’on espérait que ça en soit bien une !
Mr. Bernard Baudoux, président de la communauté d'agglomération Maubeuge - Val de Sambre (plus familièrement appelée "agglo") y a mis fin le 27 novembre dernier lors d'une réunion officielle avec le comité des usagers de l'aérodrome, et en présence de Mr. Laurent Breton, délégué à la Direction de la sécurité de l’Aviation civile nord (DSAC).
Du côté des "usagers", le parachutisme était représenté par Mr. Patrice Maigrot, président de la ligue de parachutisme des Hauts de France, et par Mr. Christophe Chekroun et Mr. Olivier Levon, respectivement président et membre du comité directeur du CERPM.
Les autres activités en place sur l’aérodrome, aéro-club, planeurs, aéromodélistes, ULM, paramoteurs, restaurateurs, etc. étaient aussi représentées. Cette réunion avait pour objectif d’informer les "usagers" du devenir de la plate-forme, et elle n'augurait rien de bon.
"La décision est prise de changer l’usage de l’aérodrome pour en faire un site industriel pouvant accueillir une méga usine, comme par exemple une fabrication de batteries automobiles" nous rapporte un des participants à la réunion.
Il poursuit : "Cette démarche s’inscrit dans le sillage des directives gouvernementales visant à réindustrialiser notre territoire et avoir une indépendance d’approvisionnement pour ce type de produit. À la clé, 3000 emplois sont espérés dans un bassin où le taux de chômage est le double de la moyenne nationale. La saison 2024 est assurée, mais les travaux devraient commencer dès 2025".
La fin serait donc proche pour l’aérodrome de Maubeuge - La Salmagne, et pour le CERPM, connu aussi sous le nom de Skydive Maubeuge. CERPM, cela signifie "centre école régional de parachutisme de Maubeuge". Et il fut un temps, dans les années 70/80, où la dénomination de "centre école régional" portait une valeur ajoutée. Car à cette époque, il était généralement dirigé par un CTR, conseiller technique régional, qui portait avec lui des gages de compétences et de moyens. À Maubeuge, c’était "une" CTR, en la personne de Micheline Violin, pionnière du parachutisme et championne du monde.
Un centre chargé d’histoire
"L’école de parachutisme de Maubeuge est un peu la vitrine de l’aérodrome de la Salmagne", ce n’est pas ParaMag qui le dit, c’est notre confrère La Voix du Nord.
"En 2022, celle-ci a recensé 13.395 sauts et le nom de Maubeuge est connu dans le milieu".
Vers la fin des années 70, lorsque le "centre école régional" a été déménagé de Lille-Bondues pour être implanté à Maubeuge, les détracteurs du projet disaient que cela revenait à "construire un supermarché dans le désert". Dans les décennies qui ont suivi, c’est incroyable ce que les parachutistes ont réussi à faire pousser dans ce soi-disant désert !
Il y a d’abord eu un avion de type Pilatus, le CERP de Maubeuge était un des premiers et rares centres à en avoir un. Ce qui a amené des relativeurs venant de partout, y compris de la Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne, ...
Non contraints par une réglementation aussi stricte qu’en France, les Belges venaient régulièrement sauter à Maubeuge avec les parachutes américains dernier cri. Comme l’explique Yves-Marie Guillaud, président de la FFP, dans son récent Bulletin officiel du 4° trimestre 2023 :"C’est dans les années 70/80 que le matériel a considérablement évolué, s’éloignant de son origine militaire, de même que les techniques de chute, avec par exemple le dorsal-ventral remplacé par le tout-dans-le-dos, l’hémisphérique par l’aile à drisse ou l’aile à glisseur, et l’extracteur à ressort par le pull-out ou le hand-deploy".
Maubeuge, où venait s’entraîner Icarius, l’équipe de France de vol relatif dans les années 80, était à l’avant-garde de ces évolutions. Micheline Violin, à la fois CTR et cheffe de centre à Maubeuge, faisait partie de (dixit Yves-Marie Guillaud) : "La génération de parachutistes qui a vécu et accompagné ces évolutions radicales en forme de rupture".
C’est cette histoire-là qui risque de s’éteindre à Maubeuge, tandis que, comme l’explique aussi Yves-Marie Guillaud :"Il est temps de rendre hommage à celles et ceux qui ont bâti le parachutisme d’aujourd’hui en prenant souvent bien des risques, car la fiabilité n’était pas toujours au rendez-vous."
Flash-back : Les "Maubeuge"
À Maubeuge, cet avant-gardisme a amené une nouvelle génération de relativeurs, soutenue aussi par les élus de l’époque. Au début des années 90, l’équipe de France qui fut quadruple championne du monde de vol relatif à 4, en 1987, 1989, 1991 et 1993, raccroche et laisse la place aux jeunes.
Ces jeunes sont basés à Maubeuge : Marin et Martial Ferré, Davide Moy, Thierry Boitieux constituent la nouvelle équipe de France de vol relatif à 4. Leur ambition : devenir eux aussi champions du monde de vol relatif à 4. Car il faut le reconquérir le titre perdu en 1995.
Ils vont y parvenir en 1999, année durant laquelle ils sont sacrés champions du monde à Corowa, en Australie.
Deux ans plus tard, ils réalisent le doublé avec une nouvelle victoire pour le VR-4 France en 2003 à Gap, en France. La nouvelle génération est féroce, et bientôt l’équipe de France de vol relatif à 8 rejoint le VR-4 à Maubeuge.
En parachutisme, les équipes championnes du monde se construisent un nom : les "Icarius", les "Coca", les "Tag", les "Airspeed", les "Babylon", … Dans la communauté parachutiste internationale du début des années 2000, on ne parle plus des "champions du monde" ni de "l’équipe de France", on dit les "Maubeuge".
En 2006, à Gera, c’est au tour des "Maubeuge" à 8 de devenir champions du monde : Guillaume Bernier, Mathieu Bernier, Julien Degen, Clément Martin Saint-Léon, Bruno Périn, Jeremie Rollett, Emmanuel Sarrazin, Damien Sorlin et Alexandre Pereira (vidéoman).
Ils ont soif de victoire, encore et encore. À Stupino (Russie) en 2007, ils s’attaquent à la double appartenance VR-4 et VR-8 lors de la coupe du monde. Les "Maubeuge" gagnent l’or une deuxième fois à 8 et l’argent à 4.
Leur nouvelle ambition : réaliser un doublé historique en gagnant le titre de champion du monde deux fois consécutives ! Dans cette aventure, le quatuor composé de Guillaume Bernier, Mathieu Bernier, Julien Degen et Jeremie Rollett est engagé en double appartenance VR-4 et VR-8. Pour les "Maubeuge", ces médailles en coupe du monde augurent bien pour les prochains championnats du monde qui vont se dérouler en 2008 à… Maubeuge !
Avant cela, le 17 décembre 2007, c’est à Maubeuge que Zinédine Zidane vient faire son baptême de chute libre. Il est emmené par le directeur technique national de la FFP, Jean-Marc Seurin, dans le cadre d’une grande opération médiatique en faveur de l’association E.L.A. Ils sont accompagnés en chute libre par les équipes de France de parachutisme, championnes du monde en titre.
Le saut est filmé pour l'émission "Les stars se dépassent pour Ela" et, le samedi 12 janvier 2008, les images sont projetées et commentées en direct sur TF-1, en présence de toute l’équipe.
Les "Maubeuge" sont partout et en août 2008, c’est donc chez eux, à Maubeuge qu’ils vont tenter un coup de maître en championnats du monde : le doublé 2006-2008 à 8 et la double appartenance VR-4 et VR-8.
La France entière soutient ses équipes et aussi le CERPM qui organise, en collaboration avec la région et la FFP, cette grande compétition internationale. Les équipes du monde entier défilent dans la ville de Maubeuge pour la cérémonie d’ouverture !
L’organisation de ces championnats du monde, mise en place par la France, sur l'aérodrome de la Salmagne, est un véritable succès. L’équipe de France à 8 y est sacrée une deuxième fois consécutive championne du monde, et ça se passe sur sa terre, à Maubeuge.
Les équipes de France de freestyle (Frédéric Nenet et Cyril Colin) et de freefly (Cathy Bouette, Fred Fugen, Vincent Reffet) gagnent également. À Maubeuge, les compétiteurs français placent la France sur tous les podiums, et plutôt deux fois qu'une dans certaines disciplines. La presse régionale dit d’eux qu’ils sont les "Bleus du ciel".
En quatre décennies, les parachutistes maubeugeois sont donc parvenus véritablement à faire pousser de l’or, dans un soi-disant "désert".
Sur les combinaisons des équipes de France, le nom de la ville de Maubeuge est brodé de fil blanc, mais à chaque fois c’est de l’or ou de l’argent qu’elles gagnent. Et cela se produira encore aux championnats du monde en 2010 à Menzelinsk (Russie), puis en 2012 à Dubaï (UAE). En c’est sans compter les coupes du monde, et ces nombreux pays où le nom de Maubeuge a été brillamment représenté.
Avis de tempête
C’est aussi cette histoire-là qui risque d’être balayée à Maubeuge, en fait c’est un pan entier de l’histoire du parachutisme français qui menace de s’effondrer. Car au-delà des rumeurs qui circulaient déjà, il s’avère que les articles parus dans la presse locale et régionale sont fondés sur de vraies informations.
Christophe Chékroun, président du CERPM et membre de l’association depuis 2002, s’est ainsi exprimé récemment dans la Voix du Nord : "Ce n’est pas la première fois que l’on entend parler d’un projet sur la Salmagne. Il y a eu des rumeurs pour un centre commercial, un hub, un transporteur, une usine de traitement de déchets… Mais cette fois-ci, les rumeurs étaient de plus en plus présentes depuis deux ou trois mois".
Il semble qu'il faille aller vite, comme l'explique un sympathisant de l'ADDAS (l’association de défense et de développement des activités de la Salmagne, voire ci-dessous) sur la page Facebook de l'association :
"Après de multiples articles, conférences de presse et publication Facebook du président de l’agglomération, les élus sont enfin informés officiellement…
On apprend donc que le 20 décembre prochain (pourquoi perdre du temps) les maires de l’agglomération vont voter pour ou contre le lancement des études qui conduiront à la fin de l’existence de l’aérodrome.
On apprend qu’à part quelques touches et absolument rien de concret, on est prêt à sacrifier les terres agricoles qui nous nourrissent, l’avenir des agriculteurs et de leurs enfants, la biodiversité, l’environnement, les impacts sur le climat, la qualité de vie des habitants qui ont choisi de vivre à la campagne, les nombreuses associations utilisatrices de l’aérodrome…, pour aller à la pêche à l’industriel, sans aucune certitude, mais en assénant qu’à coup sûr tout cela créera de l’emploi et beaucoup d’emploi.
Un vote le 20 décembre actera la fin de l’aérodrome.
Cette date, bien choisie à l’approche des fêtes de fin d’année, met les élus au pied du mur et leur donne comme choix d’hypothéquer la vie de milliers d’habitants.
À la question de savoir combien coûteront les études : «je n’en sais rien.»
Pour autant, le sort de l’aérodrome Maubeuge La Salmagne est-il scellé ? Le vent tourne sur les aérodromes et il a tourné sur celui de Le Blanc, où une autre menace plane toujours.
Rappelons que le centre de parachutisme de Le Blanc (36) n'a pas ouvert en 2023. C'est en raison de la difficulté d’approvisionnement de carburant et de la forte probabilité de pose de panneaux photovoltaïques sur le terrain qu'il a été décidé de mettre en sommeil l'activité de l'école.
Aujourd’hui, qu'en est-il de ce projet de centrale photovoltaïque sur l'aérodrome de Le Blanc ?
L’enquête publique s’était soldée par un avis défavorable, en juillet 2023, et l'installation des panneaux solaires semblait donc compromise. Mais le dossier a finalement été accepté par le préfet, qui a pris ses fonctions récemment dans le département.
Dans quel sens le vent va-t-il tourner à Maubeuge ? Les pétitions en court et la récente constitution de l’ADDAS vont-elles réussir à insuffler une direction propice à éviter que la terre sur laquelle les équipes de France ont été sacrées championnes du monde ne soit sacrifiée ?
Visiblement, l'aviation légère ne pèse pas lourd face aux 3000 emplois espérés, mais pèseront-ils vraiment un jour dans la balance ? "Gigafactory", le mot est lancé, et s’il le faut, en préemptant, en plus, plusieurs hectares de terres agricoles autour de l’aérodrome. Et si ce projet était cousu de fil blanc ?
Des droits et des devoirs
Ce qui est certain, c’est que "l’agglo" a des droits et aussi des devoirs, comme le rappelle Patrice Maigrot, le président de la ligue de parachutisme :
"J’ai rappelé l’obligation de proposer une solution de relocalisation. Promesse nous a été faite de nous «accompagner» dans cette démarche. …/….
Mr Breton (DSAC) nous a clairement indiqué qu’une solution globale était inimaginable et que chaque structure allait devoir trouver une solution adaptée à son activité et à sa taille."
Ceci signifie que, en cas de fermeture de l’aérodrome, le CERPM va devoir se délocaliser sur un autre aérodrome de la région. "Cette démarche sera d’autant moins aisée à réaliser que peu d’aérodromes sont en mesure d’accueillir une activité parachutiste nouvelle ou complémentaire", poursuit Patrice Maigrot.
Il explique également que : "Un comité de liaison va être constitué pour négocier avec l’agglo l’évolution du dossier et surtout les mesures d’accompagnement et de dédommagement… rude tâche à venir !"
Avant de conclure : "Les dirigeants du CERPM sont donc en réflexion sur la stratégie à adopter pour faire face à cette terrible situation. Ils savent qu’ils peuvent compter sur mon engagement à leur côté pour relever ce défi majeur".
Pour être tout à fait clair, fermer l’aérodrome sans mettre en place un plan viable et concret de relocalisation pour ses utilisateurs reviendrait à les expulser !
D’ores et déjà, les annonces de fermeture portent préjudice à l’association, comme l’expliquait Christophe Chékroun (président du CERPM), récemment dans la Voix du Nord : "Depuis les annonces parues cette semaine, le téléphone de l’école n’arrête pas de sonner. On a beaucoup de gens qui nous demandent pour annuler leur saut, parce qu’ils pensent que nous allons fermer. Mais nous, on sera encore là en 2024, l’agglomération s’y est engagée !"
Alors que faire ? Commencer par signer les pétitions (voir liens ci-dessous), par suivre la page Facebook de l’ADDAS (elle contient des informations très intéressantes, comme les conséquences du projet sur l’environnement, la biodiversité, les riverains, la façon dont il a été monté par les élus concernés, etc.) et ainsi soutenir les pratiquants et utilisateurs de l’aérodrome !
Comme l’écrit Yves-Marie Guillaud dans le récent bulletin fédéral : "Des écoles de parachutisme vont disparaître sous la pression foncière curieusement alliée à la pression écologique qui transforment des terrains d’aviation, souvent entièrement en herbe, en de magnifiques bâtiments industriels ou commerciaux, ou en des champs (sic) de panneaux solaires. Comprenne qui pourra, le consumérisme capitaliste cheminant parfois par des chemins détournés.
…/… Ayons foi et confiance. Nous pouvons parfois douter de notre avenir, mais n’ayons jamais la faiblesse, ne faisons jamais l’erreur, n’ayons jamais la certitude de croire notre fin arriver."
Alors… Allons sauter à Maubeuge, en 2024 ! Et pourquoi pas en y organisant un championnat de France... Chiche ?
Et pendant ce temps-là, en haut lieu...
Le mercredi 6 décembre, la fédération avait rendez-vous avec le ministère de tutelle pour faire le point sur le contrat annuel de délégation. Étaient présentes (entre autres) la cheffe du bureau adjoint des fédérations et la responsable écologie et développement durable de l'ANS. À cette occasion, Yves-Marie Guillaud, président de la FFP, a exposé le cas de Maubeuge, photos à l'appui, et demandé du soutien. Il est bien sûr impossible de savoir si cette action sera suivie d'effet, mais dans un tel cas, il faut savoir saisir la moindre opportunité. Et c'est ce qu'a fait la fédération.
L’ADDAS
L’association de Défense et de Développement des Activités de la Salmagne a ouvert sa page Facebook le 5 décembre 2023 sur le thème : "Touche pas à notre aérodrome de la Salmagne !"
Ce nouveau collectif, mis en place comme son nom l’indique, pour la défense de l’aérodrome, a aussi pour but de diffuser de l’information et donc de lutter contre la désinformation orchestrée par les instigateurs du projet de fermeture.
Bernard Lachapelle et Christian Boulanger en sont les porte-paroles :
"Personne ne conteste l’urgence de prendre en compte la réalité de l’emploi dans le val de Sambre. Mais le projet avancé aujourd’hui n’est encore qu’hypothétique. Mr Baudoux évoque 2000, puis 3000 et même 5000 emplois, mais il n’a aucun candidat en réalité aujourd’hui. De plus les grandes entreprises n’embauchent plus autant. Elles sont souvent automatisées. …./…
De plus il est venu nous dire (N.D.L.R. : Lors de la réunion du 27 novembre) qu’il avait tranché, comme s’il avait décidé seul. Il n’en a visiblement pas parlé aux élus communautaires, comme si ces derniers n’avaient rien à dire. Rien n’a été voté pour l’instant. …./…
Des questions doivent se poser avant une construction. Le terrain est marécageux, situé pile sur une nappe phréatique. Rien ne dit que ce sera possible. Préparer un terrain sans savoir quels seront les besoins, c’est dépenser des sommes extravagantes sans certitude. Et condamner la Salmagne sans savoir si ce sera utile."
Lien vers la page Facebook de l'ADDAS
Liens vers les pétitions
● Pérenniser les activités aéronautiques de l’Avesnois
● Protégeons la sérénité de nos campagnes, sauvons l'aérodrome de la Salmagne !