Le jeudi 24 octobre 2024, le parachutiste autrichien Peter Salzmann a réussi une première en wingsuit BASE au départ de la Jungfrau, en Suisse. Équipé de sa wingsuit et de son foil innovant, il a volé pendant près de six minutes, sans moteur, couvrant une distance de 12,5 kilomètres sur un dénivelé de 3.402 mètres.
D'après une interview de Peter Salzmann et Andreas Podlipnik, par Red Bull Content Pool
La Jungfrau, plus haut sommet de la région d'Interlaken en Suisse, est une destination réputée pour les experts en wingsuit BASE (BASE jump équipé d'une wingsuit). C'est notamment depuis la Jungfrau que les Soul Flyers ont réussi, en 2017, leur incroyable "coup double", une double remontée dans un avion en plein vol, après un départ en wingsuit BASE. Pour les alpinistes, la Jungfrau forme un triptyque avec ses voisins, l'Eiger et le Mönch, constitué d'un alignement de faces nord.
Tandis que la Jungfrau culmine à 4.158 mètres d'altitude, Peter Salzmann s'est élancé d'une corniche située en léger contre-bas, sur le versant nord de la montagne, à 4.063 mètres.
Il était équipé de sa wingsuit et d'un nouveau type de foil, construit spécialement pour lui. Ce foil représente une surface additionnelle de 2,1 mètres d'envergure, pesant 5,45 kg et fixée à l'avant du torse, en mode "biplan".
Le concept est inspiré de l'hydrofoil, améliorant l'efficacité du vol plané et la portance sans propulsion par moteur. Un concept qui ne semble pas encore avoir de nom officiel, ici nous l'appelons le "wingsuit foil".
Le jeudi 24 octobre 2024, Peter Salzmann a géré son départ en wingsuit foil dans des températures comprises entre -5 à +9°C et avec des vents atteignant 37 km/h. Il déclare avoir atteint une vitesse maximale de 200 km/h lors d'un vol d'une durée de 5 minutes et 56 secondes, avant de déployer son parachute de BASE jump et de se poser en sécurité entre Lauterbrunnen et Interlaken.
Peter Salzmann et son sponsor Red Bull revendiquent trois nouveaux records du monde sur ce vol :
- temps de vol le plus long en wingsuit BASE, soit 5 minutes 56 secondes,
- distance de vol la plus longue en wingsuit BASE, soit 12,5 kilomètres,
- dénivelé le plus haut en wingsuit BASE, soit 3.402 mètres entre l'altitude de départ et la zone l'atterrissage.
"Ce qui m'intéresse vraiment, ce ne sont pas les records", déclare Peter Salzmann. "Ce qui me passionne, c'est l'innovation et la découverte de nouveaux engins volants".
"Nous avons choisi la Jungfrau parce qu'elle procure un dénivelé important, plus de 3000 mètres, qui nous permet de démontrer les performances du foil" explique-t-il, "et aussi parce que cette montagne offre des paysages spectaculaires, entre sommets enneigés, forêts, chute d'eau, jusqu'à atteindre des vallées aux jolies couleurs automnales".
Peter Salzmann raconte son expérience : "C'était un vol extra-terrestre, un véritable défi. J'ai dû gérer ma fenêtre de départ dans des températures assez basses et avec un fort vent de travers, mais après trois minutes de vol, j'étais dans une configuration plus confortable. J'ai alors réalisé que je pouvais atteindre sans problème la zone d'atterrissage que je m'étais fixée et, au final, c'était une sensation incroyable. Dans l'ensemble, je suis très heureux que tout se soit bien passé et que j'ai pu réaliser le plus long vol non motorisé en wingsuit !"
Cette performance a été rendue possible grâce à la technologie du foil, nouvellement appliquée au vol en wingsuit. C'est le résultat d'une collaboration intensive entre Peter Salzmann, le pilote, Andreas Podlipnik, le développeur et l'équipe d'ingénieurs de Red Bull Advanced Technologies.
C'est en pratiquant le BASE jump et le vol en wingsuit que Peter Salzmann et Andreas Podlipnik se sont rencontrés, et qu'ils sont devenus de vrais amis. Peter Salzmann et Andreas Podlipnik ont déjà travaillé ensemble sur un concept de wingsuit à motorisation électrique, sponsorisé par BMW. En novembre 2021, ce projet de wingsuit électrique devenait officiellement un nouveau record Guinness.
Leur expérience en la matière les a amenés à se demander comment il serait possible d'augmenter encore les performances des wingsuit actuelles, alors qu'elles sont arrivées à un niveau si élevé au cours des dernières années, qu'il semble aujourd'hui difficile de les améliorer davantage.
"L'idée est venue de Peter" s'amuse à raconter Andreas Podlipnik. "Dès le départ, il savait que pour augmenter la portance et le planer en wingsuit, le concept nécessiterait une forme d'innovation et de réflexion entièrement nouvelle. C'est ce qui rend ce projet unique : nous avons essayé quelque chose qui n'existe pas encore sous cette forme" explique-t-il.
Une question était essentielle, en particulier pour Peter Salzmann, le pilote : la wingsuit et le foil seraient-ils compatibles en vol ? Non seulement la réussite du projet dépendait de la réponse affirmative à cette question, mais la vie du pilote était également en jeu. Y répondre n'a pas été sans difficulté. Avant les tests dans les airs, les premiers vols ont été effectués dans la soufflerie horizontale Indoor Wingsuit™ à Stockholm.
"Une fois que nous avions construit le foil, le principal problème était qu'il me tirait vers le bas durant les premiers vols. C'était certainement l'effet d'un mauvais écoulement de l'air" explique Peter Salzmann. "Nous avons réalisé que le foil doit être conçu de manière à avoir un angle d'attaque élevé" explique-t-il. Il s'agissait de modifier la plage d'angles de seulement deux ou trois degrés, en effectuant à chaque fois un ou plusieurs vols en soufflerie. Il leur a fallu des jours rien que pour trouver le bon angle.
Depuis le concept initial jusqu'à la définition actuelle, le développement du wingsuit foil a duré environ trois ans. Six prototypes différents ont été développés et testés, en apportant des modifications à tous les éléments qui composent le foil : support de poitrine, mât, connecteurs en aluminium, composants internes et bien d'autres choses encore. Au final, ils ont opté pour un foil en construction "sandwich" avec un noyau en mousse, laminé et pressé sous vide, tandis que d'autres pièces ont été imprimées en 3D.
C'est dans ce domaine que l'équipe de Red Bull Advanced Technologies a été un partenaire inestimable, grâce à ses connaissances en Formule 1 et en aérodynamique. "Leur contribution nous a permis de trouver la configuration optimale du foil, le profil, la géométrie, la taille, la distance avec le corps du parachutiste et d'autres paramètres pour maximiser les performances" précise Peter Salzmann.
Le projet s'est développé en plusieurs étapes. Après avoir trouvé la bonne configuration, la bonne taille et s'être assuré que tout fonctionnait bien en soufflerie, l'objectif était de pouvoir sauter avec le foil, d'abord d'un hélicoptère, et ensuite d'une montagne, en BASE jump.
Et pour réussir cette dernière partie, une condition particulière s'imposait à l'équipe. Non seulement le foil devait voler correctement, mais son encombrement devait être minimaliste, et suffisamment léger pour être transportable en randonnée de montagne, pour pouvoir accéder aux départs des lignes de vol connues (et de celles qui restent à découvrir !).
En privilégiant une conception légère et modulaire, le foil a répondu à cette condition, permettant à Peter Salzmann de le transporter en montagne et de l'assembler au sommet. Son poids de 5,45 kg (pour 2,1 mètres d'envergure) vient s'ajouter à celui du matériel de BASE jump (parachute, wingsuit, etc.) dans une randonnée qui en devient difficile, mais pas épuisante.
"Une fois au sommet, d'autres problèmes sont apparus..." explique Andreas Podlipnik. "Par exemple, lors des essais en Italie, il y avait un buisson positionné juste sous la corniche de départ. Avec une wingsuit normale, on peut facilement passer le buisson. Mais avec le foil, pas question d'utiliser ce point de départ, parce qu'il se serait accroché à la végétation."
Au final, le projet est une réussite, comme l'explique Andreas Podlipnik : "Avec une bonne wingsuit, on obtient des finesses de 2,6 à 2,8, maximum 3 - ce qui signifie que pour 1 kilomètre de déplacement vertical, ont parcours 3 kilomètres de déplacement. Avec l'ajout du foil, nous pouvons presque doubler l'efficacité, en planant plus à plat et encore plus loin, en couvrant plus de distance à partir d'un même point de départ."
Andreas Podlipnik estime cependant que l'impact de cette innovation sur le sport reste à définir : "Honnêtement, nous ne nous sommes pas encore demandé si le foil allait changer le sport. D’autres wingsuiters voudront sans doute essayer, mais seul l’avenir montrera si le foil peut s’imposer dans la pratique".
D'ores et déjà, on peut imaginer que le wingsuit foil est en train d'élargir l'horizon des possibles parmi les athlètes Red Bull qui maitrisent le vol en wingsuit. À suivre…
À propos de Peter Salzmann
Originaire de Salzbourg, en Autriche, Peter Salzmann est âgé de 37 ans et il a débuté la pratique du parachutisme à 20 ans. Bien avant cela, lorsqu'il était encore enfant, il sautait sur des grands coussins depuis le balcon de la maison de ses parents.
À l'âge de 21 ans, il a fait ses premiers sauts en BASE jump, depuis un pont de 110 mètres de haut, en Croatie. Il s'est ensuite perfectionné au paralpinisme et au wingsuit BASE. Il est aussi parapentiste, deltiste, marié et père de famille.
En 2015, il participait avec Kemeter Mich au tournage d'un documentaire intitulé “Spielplatz der Extreme – Die Verdonschlucht” ("Terrain de jeu des extrêmes - Les gorges du Verdon"), et réalisé par Timeline Production.
En aout 2019, il sautait en wingsuit BASE du Wiesbachhorn, la dixième plus haute montagne d'Autriche, ouvrant ainsi un nouveau départ que seules les performances des wingsuits modernes permettaient d'envisager.
En novembre 2019, il apparait avec Marco Waltenspiel et Peter Salzmann dans "AUTlines", un film de Mike Vom Land sur la pratique du BASE jump dans les Alpes autrichiennes, projeté au 26ème Bergfilmfestival de Salzburg.
En novembre 2020, il fêtait son 1000° saut en BASE jump.
En novembre 2021, le projet de wingsuit électrique qu'il menait avec Andreas Podlipnik et le sponsor BMW devenait officiellement un nouveau record Guinness.
En 2023, il participait en tant que compétiteur à la World Wingsuit League, en Chine.
Sa passion pour le wingsuit BASE l'a poussé et le pousse encore dans le monde entier : Autriche, Suisse, Dolomites, Namibie, Dubaï, Argentine, Brésil, Norvège, Afrique du Sud, Australie. Il y exerce ses talents de pilote, et aussi de cameraman, lors de tournage avec ses partenaires de Phoenix Fly, d'Adrenalin Base, de la Red Bull Skydive Team et de la Red Bull Air Force.
C'est en avril 2024 que Peter Salzmann est officiellement devenu un athlète Red Bull.
Marco Fürst et Marco Waltenspiel, membres autrichiens de la Red Bull Skydive Team, ont déjà collaboré avec Peter Salzmann : il était leur caméraman pour les prises de vue aérienne lors de leur première mondiale en wingsuit sur le Tower Bridge de Londres en mai 2024 (voir article ParaMag "Les ailes du Tower Bridge").
Les deux compatriotes ont fait l'éloge du développement du wingsuit foil :"Ce projet est une innovation vraiment passionnante. Il associe la précision et les performances de la wingsuit à la technologie avancée du foil, ce qui permet de planer plus efficacement et d'améliorer la vitesse sans avoir besoin de moteur. J'admire les athlètes qui investissent leur temps et leur énergie pour améliorer leur sport de manière unique" a déclaré Marco Waltenspiel.
La preuve par l'image. Les toutes premières images de la vidéo ci-dessus ont été tournées par un autre wingsuiter, non équipé de foil, parti du même endroit et au même moment que Peter Salzmann et le wingsuit foil. Après quelques secondes de prise de vitesse, on voit clairement la différence entre les deux domaines de vol. Vidéo Red Bull Content