La catapulte est prête, Jean-Marc Mouligné, serein, affiche un large sourire.

La catapulte.

Sylvestre, debout sur l’impressionnant contrepoids, contrôle le fonctionnement du palan.

Quelques minutes avant le lancement, devant les photographes, cameramen et journalistes.

La succession des clichés démontre bien la trajectoire de l’homme catapulte : montée en position dos, puis remise face sol par demi-tonneau à vitesse zéro. Le parapentiste qui filme l’action en plein ciel est Val Montant. On distingue également un des coussins utilisés dans la nacelle pour caler le parachutiste, et qui s’est envolé avec lui.

Ouverture du parachute de B.A.S.E. jump et atterrissage à proximité du public, qui n’en revient pas... C’est gagné !

Partage d’émotions pour Jean-Marc et Vincent, après ce premier lancement public réussi.



 Il se nomme Jean-Marc Mouligné et il a réussi le pari fou de se catapulter à 150 mètres du sol afin d’ouvrir un parachute de B.A.S.E. jump et de se poser en sécurité. Le premier lancement public a été effectué le 11 janvier dernier, dans la station de Tignes, durant les Tignes Airwaves. 


                                                          Par Bruno Passe
            d’après une interview de Jean-Marc Mouligné



nvité en dernière minute par les organisateurs qui ont peut-être cru à une gigantesque farce, il a pratiquement (et involontairement...) "volé" la vedette aux autres démonstrations. En tous les cas ce sont principalement les images de son saut qui ont été diffusées par les chaînes de télévision.

Mais faut-il parler de saut, de lancement, de tir ou de catapultage ? Pour nous, c’est décidé : il monte au ciel pour se retrouver en chute libre et ouvrir un parachute, c’est un saut !

D’ailleurs, l’idée du catapultage est aussi vieille que le parachutisme, et même plus vielle puisque des gravures antiques exposaient déjà ce genre de technique, où le projectile était remplacé par des hommes. Il s’agissait de prisonniers catapultés de part et d’autre des remparts des citadelles assiégées.

Dans les années 30, les Russes ont repris l’idée du catapultage pour les parachutistes. À Moscou, ils ont mis au point une sorte de soufflerie verticale à ciel ouvert dans laquelle le parachutiste s’élançait avec sa voile hémisphérique. Celle-ci se mettait alors en pression et s’élevait à une trentaine de mètres. Intéressant mais pas très efficace...

Depuis son invention, le siège éjectable qui équipe les avions de chasse est bien une puissante catapulte, aujourd’hui capable de sauver son pilote sous son parachute, même avec un départ à vitesse zéro et hauteur zéro.

En 1998, Patrick de Gayardon avait orienté certaines de ses recherches dans cette direction. Il avait notamment demandé à Francis Heilmann de réfléchir à la construction d'un système de lancement, pendu sous un rail d'aluminium avec une projection linéaire. Son système devait être léger et pouvoir être porté au bord des falaises par trois personnes maximum. Le projet n’a jamais dépassé le stade des croquis sur papier. C'est le système de lancement des hommes-canons dans les cirques qui lui avait fait penser à ça, et nous verrons prochainement qu’il ne fut pas le seul...

Description et fonctionnement
de la catapulte

Deux poulies sont suspendues à deux grandes grues, depuis une hauteur de 60 mètres. Elles sont séparées d’une distance d’environ dix mètres. Un double palan passe par ces poulies. Il est accroché à une troisième grue, plus courte et soutenant un contrepoids pesant entre 15 et 25 tonnes. Le palan est lui-même constitué d’une vingtaine de poulies gréées sur des cordes synthétiques, qui démultiplient les forces de deux brins distincts, reliés au berceau souple dans lequel prend place le parachutiste.

Au déclenchement du système de relâchement, le parachutiste dans son berceau souple est vivement emporté vers le haut par la chute du contrepoids, à une vitesse multipliée par le palan. Dans la dernière partie de l’ascension, la traction des brins écarte le berceau, libérant le parachutiste, qui continue sa course vers le haut tandis que le contrepoids touche le sol. Le berceau ouvert est alors freiné par sa résistance aérodynamique. Le parachutiste monte à une hauteur comprise entre 100 et 200 mètres. De nos jours, avec l’évolution des techniques et du matériel de B.A.S.E. jump, ouvrir un parachute très près du sol (plus ou moins 100 mètres) est devenu un geste plus courant, et considéré comme n’étant pas dangereux par les B.A.S.E. jumpers.

Voilà, c’est décrit en quelques lignes, ça semble simple et on est tenté de se dire : "Il suffisait d’y penser..." Mais au fait, comment Jean-Marc Mouligné a-t-il eu cette idée ? Il travaille en tant que créateur d’effets spéciaux pour le cinéma ("Les Visiteurs", "Ma vie est un enfer", etc.), certains spectacles ou publicités (le taxi volant de "Peut-être", le hangar qui s’écroule de la Renault Twingo, les personnages volants de Djeezy...). Il est donc conduit à fabriquer des systèmes assez particuliers. Il a toujours été fasciné par les "hommes obus".

En 2002, il est amené à fabriquer un canon pour le forum de Barcelone : "Cela m’a paru assez simple et je me suis alors demandé comment faire pour s’élancer plus haut, suffisamment haut pour ouvrir un parachute. Avec mon ami Vincent Ragot, nous avons calculé qu’avec 5 G sur 40 mètres, l’accélération devrait être supportable."

Le parcours de l’homme catapulte

Une première machine a été conçue, l’homme catapulte était placé avec la tête en avant, comme un homme obus. La nacelle était rigide et elle coulissait sur des câbles. "Ça marchait bien, mais en considérant les effets physiologiques de l’accélération, nous avons estimé que c’était trop dangereux à cause du risque de perte de conscience. De plus, c’était étrange de passer à 200 km/h à travers un cadre de 1,5 m de large sur 2,5 m de haut. Vu d’en bas, ça faisait vraiment petit et ça ne donnait vraiment pas envie d’y aller... Nous avons changé le design pour une nacelle horizontale. Début 2005, j’ai décidé de virer le système de guidage, pour se rapprocher du principe du lance-pierre. Le ciel s’ouvrait et il n’y avait plus besoin de passer à toute vitesse à travers un cadre microscopique. Ça devenait une vraie machine de sport !"

Mais il en a fallu des essais ratés, du temps, du travail et de l’argent avant d’en arriver là. Ils ont commencé par lancer des sacs de sable, puis un mannequin. Et puis une fois la catapulte bien au point, il a fallu monter dedans et l’essayer "pour de vrai" !

C’est le 24 septembre 2005, à Brignoles, que s’est déroulé avec succès le premier lancement humain, "entre copains". Cette première étape récompensait un parcours de deux années d’efforts, de réflexion et de travail.

"Nous avons rencontré et rencontrons encore des problèmes de rupture, confie Jean-Marc Mouligné. Cette machine est un proto fabriqué de façon artisanale avec des moyens limités. Il faudrait une fabrication plus industrielle pour augmenter la résistance. Les ruptures potentielles ne représentent pas un danger pour le parachutiste, car elles surviennent toujours en statique et jamais en dynamique. Au début, je louais les grues ; ça coûte très cher, surtout lorsque les essais sont ratés... Pendant deux ans, je suis passé pour un fou. Les seuls qui ont cru en mon histoire et qui m’ont aidé matériellement, c’est Mediaco Marseille. Ils ont finalement mis les grues gratuitement à disposition et, sans leur aide, nous n’aurions pas pu aller jusqu’à ce premier lancement réussi."

On peut essayer de se mettre dans la peau de Jean-Marc Mouligné, lorsqu’il prend place, parachute sur le dos, couché dans sa nacelle pour ce premier lancement humain. Même s’il s’est préparé du mieux possible, Jean-Marc n’est pas un "skygod" et ne possède aucun "super- pouvoir".

Son parcours parachutiste est même plutôt atypique. Comme la plupart des jeunes hommes de sa génération attirés par le parachutisme, il se tourne vers la préparation militaire para, c’était en 1968. Il saute peu et marche beaucoup, plutôt décevant... Trois ans plus tard, il intègre un stage civil à Biscarosse qui lui permet d’accéder à la chute libre. Mais l’ambiance encore stricte et militaire ne lui plaît pas du tout. Il garde un mauvais souvenir de ce parachutisme-là et arrête l’activité.

Il s’oriente alors vers le delta, le parapente et le paramoteur, au tout début de ces sports aériens qu’il pratiquera durant 15 ans, malgré un accident qui le clouera au sol durant six mois.

Jean-Marc Mouligné est aussi un baroudeur, il travaille pour le monde du spectacle, à Paris et aux quatre coins de la planète, il invente et dépose des brevets pour toutes sortes d’engins bizarres. Son père et sa mère étaient tous deux pilotes, il a dû hériter d’eux ce besoin de s’arracher du sol, mais aussi cette qualité de le faire avec prudence. Il sait que pour mener à bien son projet d’homme catapulte, il va devoir revenir vers le parachutisme, 30 ans après sa mauvaise expérience.

Avant de se catapulter et d’ouvrir le parachute en sécurité, il va apprendre à chuter d’un avion, puis il va devenir un B.A.S.E. jumper. Son engagement sera total.

Il commence par poser des questions aux B.A.S.E. jumpers pour savoir combien il faut de mètres "au minimum" pour ouvrir un parachute. Les deux premiers qui lui répondent sont devenus rapidement ses amis : Stéphane Fardel et Ben Mazuer. Babylon croit en son projet et c’est avec eux qu’il choisit de faire sa P.A.C. Il en garde un bien meilleur souvenir que de sa première expérience des années 70. Il lui faudra tout de même 11 sauts avant d’être lâché, durant l’été 2003. Depuis il totalise 150 sauts et il apprécie l’activité et le milieu. Ensuite il se met au B.A.S.E. jump, un premier saut dans le Verdon puis il saisit l’opportunité d’un déplacement professionnel en Afrique du sud où il a la chance de sauter à plusieurs reprises du pont de Bloekrans, haut de 217 mètres. De retour en France, il s’installe dans le Verdon pour pratiquer à fond : il totalisera ainsi 50 sauts en un seul été.

Premier lancement

Alors voilà, il sait chuter et ouvrir un parachute de B.A.S.E. près du sol. Avec son ami Vincent Ragot, ils ont installé un système doppler sur la nacelle et ils ont mesuré un effort maximum à 4,5 G. Les études scientifiques ont déterminé que le système est cohérent.

Mais que va-t-il vraiment se passer au moment où son ami Jérôme Krovicki va libérer la catapulte... ?

Nous le laissons raconter ses impressions : "Tu entends "3, 2, 1,..." puis tu reçois comme un énorme coup de pied dans les fesses, un truc monstrueux comme si King Kong te saisissait pour te lancer en l’air. Puis ça monte avec une accélération incomparable. Tu es écrabouillé dans le fond, mais sans inconfort physique puisque tu es couché. C’est à la fois puissant et assez doux, un peu comme à la foire du Trône, mais dix fois plus puissant. Et là tu es en l’air, tu ne sens pas quand ça démoule, puis tu montes, tu montes... Arrivé en haut, la vitesse se stabilise, tout se calme. J’ai juste pédalé un peu à cause du manque de vitesse, puis j’ai laissé chuter et dès que j’ai commencé à sentir les filets d’air, j’ai ouvert."

Et à voir la tête de Jean-Marc après l’atterrissage, la décharge d’adrénaline semble être bien jouissive...

Une fois ce premier essai réussi, il fallait passer à l’étape suivante : un lancement public, devant la presse et les médias.

Durant un stage para à Ampuria Jean-Marc rencontre Bruno Tuaire, directeur des sports à Courchevel. Il l’oriente vers la station de Tignes qui dispose d’un site plus adapté et surtout d’une manifestation pouvant accueillir ce genre de choses : les Tignes Airwaves.

Rendez-vous à Tignes

Les portes vont s’ouvrir et tout va s’enchaîner très vite, peut-être même trop vite. Le dossier de presse pourrait presque laisser croire à une grande farce :

"Première mondiale, l’homme catapulte, quesaco ? Une catapulte géante, véritable machine infernale installée entre deux grues, l’homme se positionne sur un brancard, le levier se déclenche et il est propulsé à plus de 150 mètres de haut. Rendez-vous à partir de 14h sur le parking de la Grande-Motte."

Mais il n’y a aucun budget, et comme d’habitude, Jean-Marc doit tout prendre à sa charge. Tout, sauf le principal : les grues qui seront amenées généreusement par Mediaco. Plus exactement deux grues de 70 tonnes et une de 50 tonnes, deux semi-remorques avec les contrepoids, le tout amené depuis Toulon, soit deux jours aller et deux jours retour sur les routes de Haute-Savoie.

Le 11 janvier, l’homme catapulte se retrouve au beau milieu des autres démonstrations de haut vol : sauts à ski, half pipe, Soul Flyers et speed riding... L’homme est confiant sur un plan technique, mais la catapulte semble moins décidée. Les deux premières nacelles cassent au freinage (lorsqu’elles arrivent en haut), il n’en reste bientôt plus qu’une. Un tir de mannequin est prévu, mais l’équipe hésite : si la dernière nacelle casse, tout est perdu. Et puis l’heure approche. Jean-Marc prend alors la place du mannequin...

Le tir est une réussite : bien réglée, la catapulte emmène son homme une vingtaine de mètres plus haut que lors du premier lancement à Brignoles. Le saut est lui aussi une réussite : au sommet de la courbe, Jean-Marc réussi son premier demi-tonneau à vitesse zéro, il continue à chuter et ouvre à 60 mètres du sol, devant un public bien évidemment surpris et séduit.

"La nouveauté et le côté très impressionnant de la catapulte plaisent logiquement aux spectateurs, commente Jean-Marc Mouligné. Le parachutisme retrouve ses origines foraines, on n’est pas très loin des sauts de démonstration du XIXème siècle."

Les puristes vont certainement s’indigner ou s’esclaffer devant ce nouveau "parachutisme de foire"...

Pourtant Jean-Marc Mouligné n’en démord pas : "Cette machine a l’avantage d’être la seule à amener le parachutisme dans le public. Elle offre des possibilités diverses dans des spectacles où d’autres sports extrêmes ont déjà trouvé leur place et où il y a des budgets. Elle peut également être utilisée comme un outil pédagogique pour le B.A.S.E. jump, car elle exclut le danger potentiel lié au relief. Et pourquoi ne pas organiser des compétitions publiques d’accro B.A.S.E. ? Ou encore des sauts extraordinaires : des lâchers horizontaux en wingsuit, ou un lancement dans le Grand Canyon du Colorado, là où il n’y a pas de falaise mais des dénivelés de 1.200 mètres. Nous n’en sommes qu’au début. J’ai fait les premiers sauts car ça m’amusait et c’était ma responsabilité de prouver que le concept fonctionne bien. Je ne souhaite pas particulièrement faire tous les autres, car il y a des gens qui sont meilleurs parachutistes que moi et qui feront mieux que moi. Tout reste à découvrir."  

Jean-Marc Mouligné a déposé un brevet mondial sur son concept de catapulte humaine.
hommeobus@altern.org
06 73 41 67 52



L’équipe
Vincent Ragot a fait tous les calculs et étudié l’aspect scientifique de la machine. C’est un parachutiste qui totalise 800 sauts. Il est ingénieur à la S.A.G.E.M., responsable de l’analyse du signal dans les capteurs vibrants des missiles.
Jérôme Krovicki est l’homme qui déclenche la catapulte. Il s’occupe de toute la partie mécanique et du montage de la machine. C’est un collègue de Jean-Marc Mouligné, lui aussi réalise des effets spéciaux.
Sylvain, Ben, Benoît, Sylvestre, Claquos, (pour ne citer qu’eux) les amis B.A.S.E. jumpers de Jean-Marc sont aussi les conseillers parachutistes.
Jean-Marc Mouligné remercie chaleureusement Mediaco, fournisseur des grues et des contrepoids, ainsi que tous ceux qui l’ont soutenu dans ce projet.




Bonus vidéo

Retrouvez le tout premier lancement de l’homme catapulte en vidéo ! Cliquez...

225 février 2006