Minutieuse préparation au sol avant le saut : il ne faut rien oublier.


Avec son aile, Yves Rossy occupe quatre à cinq places dans l’avion.


Mise en place de l’aile sur le dos de l’homme volant, ou plutôt, c’est lui qui se met en place dans l’aile !





Cette série de photos montre la mise en place à la porte de l’avion et la phase de déploiement de l’aile, juste après la sortie.
Avec des ailes rigides, la phase de sortie reste délicate. L’accident de Léo Valentin, disparu en 1956, a marqué les mémoires. Il a été emmené dans une vrille mortelle après qu’une de ses ailes rigides (en bois) se soit refermée en sortie d’avion.



Traversée du Lac Léman réussie ! Yves Rossy ouvre à la verticale des petites plages de Lausanne.



Planeur de chute

Dans le ParaMag n°172 de septembre 2001, la rubrique Newsnet présentait le P.H.A.S.S.T., un mini-planeur de chute américain piloté par un parachutiste qui s’éjectait avant l’ouverture. Le site Internet est fermé depuis, mais la technique a inspiré la séquence du dernier James Bond. Pas très étonnant lorsque l’on sait que le pilote sur la photo est Alan Hewitt, un parachutiste cascadeur ayant participé au tournage du 19ème film de la célèbre série. Le site a pu être fermé pour deux raisons : soit le projet est abandonné, soit au contraire il est en phase de développement pour un client qui pourrait très bien être l’armée.



Homme volant ou Homme orchestre ?

Difficile de "classifier" Yves Rossy qui est un peu un touche-à-tout du vol humain. Son expérience de pilote est vaste : delta, parapente, voltige, pilote de Mirage dans l’armée de l’air suisse, il est actuellement commandant de bord sur Airbus A320. En ce qui concerne le parachutisme, sa pratique est tout aussi vaste et variée : il apprend à chuter en 1990 et se met rapidement au skysurf, pratiquant la compétition mais aussi toutes sortes de sauts spéciaux : surf rond, surf en forme de coeur, maquette de Mirage puis les surfs géants. Il a surfé le jet d’eau de Genève, le sommet d’un ballon, à quelques mètres de l’Eiger. Au fil des années, tout ceci a fait le bonheur de notre rubrique "Séquence folie" (voir liste des articles ci-dessous).



Déjà paru :
ParaMag n° 78 de novembre 93 : Championnat du monde de skysurf en Espagne (skysurf rond).
ParaMag n°85 de juin 94 : Top Gun (skysurf Mirage).
ParaMag n°100 de septembre 95 : Les folies de l’été (skysurf sur le jet d’eau).
ParaMag n°98 de juillet 95 : Vol Vertical (skysurf le long de l’Eiger).
ParaMag n°103 de décembre 95 : C’est un surf ou une aile ? (skysurf géant).
ParaMag n°111 d’août 96 : Surf Ballons.
ParaMag n°117 février 97 : Flotteur d’ailes (accroché entre 2 avions).



Du côté de l’imaginaire (car il faut bien commencer par là...), et du cinéma (car il nourrit l’imaginaire du grand public), il est intéressant d’observer les techniques dont sont dotés les super-héros. Il y a quelques années, Batman s’envolait en skysurf pour échapper aux méchants. Plus récemment, c’est en mini-planeurs que James Bond et sa James Bond Girl se larguent d’un avion tranche arrière pour atteindre une zone hostile sans être repérés, puis s’éjectent en chute libre de leurs minis-engins et ouvrent leur parachute.

      Par Bruno Passe

ves Rossy ne se prend pas pour un super héros. C’est un pilote professionnel (commandant de bord) qui prépare ses vols en gardant les pieds bien sur terre. Cela ne l’a pas empêché de mettre au point et de faire voler toutes sortes d’engins, à commencer par des skysurfs de toutes les formes et de toutes les tailles (voir encadré).

"Je suis d’abord parti dans la direction du skysurf géant. En augmentant progressivement la taille, je suis allé jusqu'à 1 mètre 80 d’envergure. J’ai obtenu des performances intéressantes, mais l’encombrement était important et je subissais une entrave aux jambes, je n’étais pas vraiment libre de mes mouvements. Les oiseaux ne sont pas debout sur leurs ailes !"

Yves croise alors Patrick de Gayardon qui lui vante les mérites de la combinaison ailée et il s’intéresse à ce concept. Il réalisera une centaine de sauts en wing suit et mettra au point un modèle avec renforts de mousse pour obtenir un profil semi-rigide.

"Je suis vite arrivé à la conclusion (et je ne suis pas le premier !) qu’avec une combinaison, je serai toujours limité à la longueur de mes bras. C’est de l’aérodynamique : pourquoi un planeur vole bien, c’est parce qu’il a des ailes de vingt mètres d’envergure et d’un mètre de corde, il faut de la plume."

De plus, les combinaisons ailées imposent une certaine entrave des membres et l’effort physique que leur utilisation exige limite la performance sur des longs temps de vol.

Yves se met en tête de concevoir un appareil qui lui permette de voler en conservant la même liberté qu’un parachutiste en chute libre, sans rien avoir à tenir ou à tendre : "Quand tu es en dérive, tes membres sont libres, tu peux bouger les bras et les jambes et le vent de la chute t’applique une force de résistance raisonnable."

Les contraintes majeures de l’aile rigide résident dans leur encombrement et leur insécurité. En 1956, Léo Valentin, un des premiers hommes oiseaux, avait en partie contourné le problème de l’encombrement en mettant au point des ailes pliables vers l’avant. Mais l’une d’elles s’est repliée en sortie d’avion, ce qui l’emmena dans une vrille fatale et calma les ardeurs des éventuels futurs candidats.

L’aile rigide est réapparue ces dernières années avec la SkyRay, un concept allemand (voir ParaMag n°147 d’août 1999) qui se fixe sur le dos. La finesse serait de 4 avec des phases de vol à l’horizontale, mais cela reste à vérifier. De son côté, en 1998, Yves Rossy a également mis au point des ailes rigides de 1 m 50 à 1 m 80, ce qui est selon lui un maximum en rigide, au-delà l’encombrement devient trop important.

L’aile gonflable

Depuis trois ans maintenant, Yves Rossy travaille sur un ingénieux concept semi-rigide : seule la partie centrale de l’aile est rigide, les extrémités sont gonflables. Le problème de l’encombrement (poids et volume) est en partie résolu, disons que dans la pratique d’une activité courante, sa gestion est "raisonnable". L’aile est mise en pression en sortie d’avion. L’aspect sécurité passe par un système de libération de l’ensemble qui peut redescendre seul sous un parachute rond.

La partie rigide mesure un mètre de large, elle comporte une ouverture centrale dans laquelle s’installe le pilote équipé de son parachute. De chaque coté, deux compartiments sont aménagés pour le système de gonflage qui utilise deux bouteilles d’air de 500 grammes chacune et gonflées à 200 bars de pression pour une capacité de 40 litres (total 80 litres). La première bouteille est utilisée pour gonfler les ailes, le pilote dispose de deux vannes : une pour gonfler, une autre pour dégonfler. Une fois déployée l’aile mesure 2,60 m d’envergure et l’ensemble pèse 15 kg.

Le concept gonflable engendre un nouveau problème, commun aux parachutistes et aux plongeurs sous-marins : la gestion de la pression de l’air qui augmente au fur et à mesure que l’on s’approche du sol. Autrement dit l’aile se dégonfle avec la perte d’altitude. Il a donc fallu mettre au point un système de compensation automatique de la pression. La deuxième bouteille est branchée sur un détendeur qui réduit la pression à 10 bars avant de l’envoyer vers une vanne régulatrice automatique qui tient la pression de l’aile à 500 millibars. C’est grâce à une structure interne spéciale (en matériau composite) que l’aile a besoin de si peu de pression pour se maintenir gonflée.

Les ailes souples ont été mises au point en collaboration avec la société Prospective Concepts de Zurich (Suisse) qui est spécialisée dans la réalisation de structures gonflables et qui a déposé un brevet sur celle-ci.

L’aérodynamisme de l’aile a été conçu en Ukraine par des professeurs de l’université de Kiev : "Ils ont travaillé sur le Soukoï 27, ce sont des pointures et ça n’est pas par hasard si notre aile vole !"

En Suisse, Yves saute principalement du Pilatus de Gruyère. Avec son équipement, il occupe quatre à cinq places et ça revient cher, c’est pour cela qu’il s’expatrie un peu pour sauter de Skyvan (à Lapalisse, en France) et de Twin Otter (à Ampuria, en Espagne).

L’équipement parachutiste est constitué d’une combinaison lisse pour limiter la traînée du corps, d’un casque intégral, d’un couteau type "Jack the Ripper". Le parachute utilise un système d’ouverture à poignée câble avec extracteur à ressort et une Spectre 170 en principale.

Tout ce qui constitue les sangles, le harnais, le système de largage et le parachute de récupération a été réalisé par la société Toutazimut (à Chimilin, en France).

La sortie et le gonflage

Cette première phase ne présente plus de difficultés majeures, mais elle a nécessité quelques réglages et adaptations en fonction des avions utilisés.

"Je me suis rapidement aperçu qu’il faut un peu de pression dans l’aile pour éviter le flapping qui déstabilise en sortie. Par exemple, à Lapalisse, une dizaine de sauts ont été nécessaires pour réussir à sortir stable du Skyvan en gonflant l’aile juste un peu. En fait je la laisse se mettre légèrement en pression durant la montée en avion (par la différence de pression sol/altitude) et c’est suffisant. Durant les premiers sauts de Twin Otter à Ampuria, j’avais choisi d’ouvrir le système de régulation avant de sauter, mais j’ai trop attendu à la porte de l’avion et l’aile s’est gonflée dès la sortie, je ne suis pas passé loin de la structure et j’ai gamellé."

Durant ces premiers vols, Yves a connu deux incidents qui l’ont obligé à se libérer de l’aile. À chaque fois, ils sont survenus durant la phase de sortie, soit à cause d’une mauvaise mise en pression, soit sur instabilité.

Maintenant, les sorties sont maîtrisées : quelques secondes après avoir passé la porte, Yves actionne de la main droite le gonflage complet de l’aile, qui s’effectue en deux à trois secondes. Il évolue alors sous une structure bien rigide.

Le vol

L’aile est très stable, mais Yves doit faire attention aux gestes parasites : ”Plus je fais de grands mouvements, de grande amplitude, plus ça m’envoie dans tous les coins. Il faut être un peu comme un chiffon, les bras le long du corps, et juste sortir la main ou orienter un peu la tête pour tourner. L’aile est sensible et pour le moment mon pilotage est moins précis que celui que l’on peut obtenir avec une combinaison ailée."

Yves totalise environ 70 sauts avec cette aile. Depuis les premiers essais à Ampuria en janvier 2002, il a bien affiné les réglages : "Je me suis aperçu que le réglage des sangles et la façon dont je me serre dans le harnais (différente d’un avion à un autre) sont des facteurs influant sur le calage de l’aile par rapport à mon corps. Quelques centimètres suffisent à modifier les performances. J’ai mis du temps à me rendre compte de cela et maintenant je fais des repères sur les sangles pour effectuer toujours le même serrage. À partir de là, j’ai optimisé le calage de mon aile et durant les derniers sauts effectués en fin d’année, il me semble avoir obtenu moins de 15° d’angle de descente."

Le calage actuel a été étudié avant tout pour la bonne stabilité de l’aile, ce qui n’est pas forcément le plus adéquat pour obtenir les meilleures performances. En chiffres, ça donne une finesse constante de 3,8 et 5 minutes 40 pour le plus long temps de vol à 6 000 mètres. Yves estime dépasser régulièrement les 4 de finesse et sa vitesse oscille entre 120 et 150 km/h.

Pour mesurer ses performances, Yves a mis au point avec Prospective Concepts un appareil qui calcule la "vitesse air" (mesure par rapport à la masse d’air) plus réaliste qu’une estimation effectuée au G.P.S. qui indique la "vitesse sol" (mesure par rapport à des repères sol). Avec l’influence des forts vents d’altitude, la vitesse sol ne veut pas dire grand-chose puisqu’il suffit d’avoir un vent de dos pour augmenter les performances, et vice-versa. Cet appareil est constitué d’un anémomètre fixé sur le casque (voir image vidéo ci-dessus) et d’un altimètre intégré. Chaque seconde, les mesures de la vitesse air, de la vitesse verticale et de l’altitude sont enregistrées. De retour au sol, un programme calcule la performance.

L’ouverture

Des expériences avec ses premières ailes rigides, Yves a retenu que les ouvertures en pleine vitesse se passent bien. Le danger potentiel se trouve dans l’effet de balancement qui risque de le faire remonter dans les suspentes en enclenchant une sorte de looping arrière. Avec la grande aile gonflable, sa méthode est la suivante : "D’abord je freine l’aile en mettant les bras devant et en pliant un peu les jambes. Au bout de quatre à cinq secondes l’aile se cabre en ressource. À ce moment, la perte d’altitude est très faible. Je vais jusqu’au décrochage, puis je repars en piqué juste avant d’actionner l’extracteur à ressort. De cette manière, il évite la dépression et s’extrait bien dans les filets d’airs qui s’écoulent correctement le long de l’extrados."

Au début, sur certains sauts, Yves a subi quelques twists, mais c’était par manque d’expérience. En cas de problème, il se sépare de l’aile en actionnant la poignée de libération ventrale qu’il peut atteindre même en étant centrifugé dans une autorotation. Le moment le plus pointu demeure cette phase d’ouverture, car si un problème survient avant la mise en tension de la voile, il y a risque d’emmêlage des suspentes avec l’aile et difficulté de se libérer de l’ensemble. C’est pour cette raison qu’il emporte un Jack.

La traversée du Lac Léman

L’idée d’une traversée maritime est avant tout de démontrer les performances en vol, c’est plus évocateur qu’un chiffre de finesse. En août dernier, Yves décide de s’attaquer à la traversée du Lac Léman dans sa plus grande distance : 12 km entre Evian et Lausanne.

Il saute du Pilatus à 5 500 mètres vertical Evian et commence par longer la côte pour s’assurer de la bonne mise en pression de l’aile. À 5 200 mètres, il commence la traversée, direction Lausanne. Ses repères sont les immeubles de la ville et le sillage des bateaux-navettes.

Théoriquement, selon les mesures et les calculs effectués précédemment, la traversée ne pose pas de problème.

Encore faut-il garder un bon contrôle de l’aile : pas de mouvement parasite, le corps souple dans la ligne de vol tout en contrôlant le cap. Un bateau récupérateur est en place au cas où Yves serait amené à se "poser au lac" avec tout son barda. Après 5 minutes et 30 secondes de vol, il se trouve à 2 200 mètres vertical les petites plages de Lausanne, c’est gagné ! 3 000 mètres de distance verticale pour 12 kilomètres de déplacement horizontal : la démonstration du 4 de finesse est faite. Et Yves confirme le jour même par une deuxième traversée, afin de doubler les images.

Dans le relief

En novembre dernier, Yves participe à une autre tentative pour Paris Match, aux Dents du Midi, dans les Alpes. Bien que cela fasse partie de ses ambitions futures, le programme ne prévoit pas de vol à proximité du relief. "Je n’ai pas encore tout sous contrôle, l’aile est très sensible. Je n’ai que deux sauts de B.A.S.E. jump et aucun vol en combinaison ailée près du relief."

Avec deux Pilatus suiveurs, le but est de faire des images en vol dans un joli décor. Mais l’équipe rencontre le même problème que Patrick de Gayardon lors de sa rentrée dans le Pilatus (Cf. ParaMag n°124 de septembre 1997) : le réglage du "bêta" sur le Pilatus (réglage du frein à l’hélice). Yves Rossy vole à 150 km/h et le Pilatus le dépasse.

De plus, il n’est pas très en forme, il n’a pas volé depuis un mois et demi, son sanglage n’est pas bon et le calage de l’aile est modifié : "Le début du vol était mauvais, je ne me suis pas retrouvé au bon endroit. J’ai entamé un virage à 90 degrés pour aller ouvrir dans un vallon, le long des Dents du Midi. Et je me suis retrouvé à voler durant un long moment à 200 mètres sol... Finalement, ça a été le plus beau vol de ma vie, les sensations étaient grandioses : tu es "à poil" et tu voles à 200 mètres des sapins ! Mais j’ai du ouvrir près du sol, ce qui n’était pas prévu".

Le futur

Yves Rossy travaille déjà sur un projet plus évolué : plus d’envergure (trois mètres), deux ailerons, deux poignées le long du corps : "Sur l’une j’aurai les ailerons, et sur l’autre j’aurai... les gaz !" En effet il compte équiper sa prochaine aile de deux petites turbines type modèle réduit : "En théorie, ça me permettrait de voler à l’horizontale, car pour un poids de 100 kg à finesse 4, l’ajout d’une poussée de 40 kg devrait être suffisant pour se maintenir en vol horizontal. Mais ça reste de la théorie. Le projet est onéreux et difficile à réaliser. Une des principales difficultés sera le démarrage des moteurs. Techniquement, il n’est pas possible de les allumer en vol. Je devrai donc le faire dans l’avion, ça n’est pas évident..."

Pour terminer, nous allons essayer de répondre encore à deux questions que nos lecteurs se posent certainement en lisant cet article. À quoi tout cela peut-il bien servir ? En dehors de satisfaire sa passion et son envie de voler, Yves Rossy ne cache pas qu’il espère un jour voir ce concept commercialisé. Dans son édition de décembre dernier, le magazine Aérial (spécialisé dans les sports aériens) présentait l’aile comme un "mini-planeur de chute gonflable". Parallèlement au créneau civil, les militaires pourraient très bien s’intéresser à ce type d’appareil. Déjà on quitte le domaine des "hommes volants". Ce qui nous amène à la dernière question : Est-ce encore du parachutisme ? Considérons que tant qu’il faudra ouvrir un parachute pour se poser en sécurité, oui, cela restera du parachutisme...

Bons vols à toi, Yves !    


Remerciements
Yves Rossy remercie : la société Prospective Concepts à Zurich,
la société Toutazimut à Chimilin et les centres de Lapalisse et Ampuria.





 Loïc Jean-Albert

Continuez votre voyage aux pays des hommes-oiseaux avec le direct-live consacré au vols à proximité du relief de Loïc.

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188 janvier 2003