Printemps 1964, en stage à Châlons-sur-Saône,
avec le Dragon Rapide, avion de toile construit par De Havilland.


Mai 1963 à Lyon-Corbas : "5 minutes avant l'embarquement pour mon premier saut. L'équipement et la dégaine m'amusent encore..."


En juin 1964, quelques parachutistes suisses sautent en parachute rond du pont Butin, à Genève : hauteur 53 mètres. Parmi, eux se trouve Théo.
La technique utilisée était proche du "direct-bag", la voile principale étant tenue sur le parapet par un partenaire. Déjà publiée dans notre édition n°167 d'avril 2001, cette photo avait attiré l'attention de certains lecteurs. Cet article en dévoile les circonstances un peu plus en détails.


Gil Delamare a fait de nombreux sauts avec ses ailes d'aluminium, pas moins de 50 pour le film "Homme-Oiseau" avec Jacques Dubourg, sans parler des sauts d'essais et des exhibitions en public.


Sion 26 mai 1967, prêts pour le record à 10 000 mètres, de gauche à droite : André Bohn, Jean-Louis Faucher et Théo Fritschy.


Arrivée en P.A. pour une équipe équipée de Para Commander et en approche très "rapprochée"...


Carreau en Para Commander (voile hémisphérique) lors des championnats suisses de 1970.


Théo est instructeur à Ecuvillens en 1971. En arrière plan, Ernest Devaud, le pilote du C-180, qui deviendra un pilote d'hélicoptère de légende en Suisse, pour ses nombreux sauvetages en montagne dans les pires conditions.


Après plus de 20 ans d'interruption, Théo quitte de nouveau un avion à 3 000 m. L'équipement (casque, combinaison, altimètre, bottes) est encore "rétro" mais il a une aile dans le dos.

Jour de vent sur Tallard. Accoudé au bar de l'aérodrome, un zigomar barbu discute avec un fort accent bien de chez l'autre côté des Alpes. Avec lui deux jeunes Suisses de Corbières, venus s'entraîner à la P.A. Manque de chance, la cible en mousse a été démontée pour une compétition ailleurs, ils ne le savaient pas. Et le vent rafale à tout va, pliant les wind blades sous la brise brûlante de ce mois de juin. "Salut ! Théo Fritschy. Je t'ai vu voler avec tes ailes...". Bon, moi c'est Francis, mais son nom ne me dit rien du tout. Juste le logo des P.O.P.'S. Suisses sur son T-shirt... "Kidonkès" comme dirait Zazie, celle du métro, pas la bimbo des clips en solde sur M6. Curieux, et surtout ayant déjà plié, je m'attarde un peu. La bière coule sur le bar, les paroles de Théo flottent doucement au milieu de l'excitation des free-flyers. Ne vous inquiétez pas, on ne va pas vous rejouer la vie de Théo en version colorisée Cinéma de Minuit, cocktail télé-vodka et dodo sur le paillasson. Non, il raconte une histoire qui n'est pas la nôtre, à la charnière entre deux mondes. Une histoire toute simple, mais véritablement vécue. Ça vous changera d'Hollywood.

      Par Francis Heilmann


La porte des vraies étoiles

Générique et Guest Star, juste le temps d'aller chercher une Kro dans le frigo. Théo a passé sa première porte, la porte de la vie, en 1944.La deuxième porte, c'était celle d'un avion en 1963, en plein ciel, à Lyon-Corbas et avec Robert Jolly. Plus tard, devenu instructeur para, il y rencontre sa femme alors élève-parachutiste, Evelyne, sur l'aile d'un Dragon Rapide. De ce jour, elle ne le quittera plus. De l'époque de Lyon-Corbas et du Para-club Romand, il lui reste quelques visages : "J'ai connu Gil Delamare, Grivel (le patron de Biscarosse), Janine Blanchard, Felbermayer, la championne Marjolaine de Pury qui dirige encore en 2001 le para-club d'Aix-en-Provence."

Saut d'enfer pour Rupert

"En 64, Felbermayer faisait ses sauts de falaises dans les Dolomites. Nous on a été sur le Pont Butin, en plein centre ville de Genève, avec quelques copains paras et un parachute T.A.P. 660. En-dessous il y a le Rhône qui coule. Pour le premier essai, on a balancé par-dessus le pont une poutre accrochée au bout du parachute. Ça c'est ouvert dix mètres en-dessous, c'était bon ! Alors on a décidé de sauter. Mais avant on a téléphoné au journal La Suisse pour qu'ils viennent faire des photos."

En fait il était prévu que le parachute ne se mouille pas, il était retenu par une corde juste avant que la toile ne touche l'eau. Seul le parachutiste tombait dans l'eau. Ce qui permettait de remonter la voile et de ressauter immédiatement, avec une voile trempée ça n'aurait pas été possible.

"On est cinq ou six à avoir sauté, je n'ai eu le temps de faire qu'un seul saut. La police est arrivée, ça a fait toute une histoire, parce les gens, les voitures s'arrêtaient sur le pont pour nous regarder sauter. Et le pont bloqué, a créé un embouteillage monstre dans tout Genève ! Finalement, on a pris 1 000 francs suisses d'amende pour 'manifestation non autorisée'.

Heureusement, par la suite c'est le journal La Suisse qui a payé l'amende, parce qu'ils étaient très contents des photos et de l'article publié."

Lyon-Corbas en 1965. Avec un simple instamatique, au jugé et l'appareil à la main, Théo photographie Pierre Bourican, son instructeur en vol relatif. La décomposition des photos donne une idée assez précise des techniques d'approche de l'époque.

L'année suivante, en 65, Théo saute avec Gil Delamare. "Il avait ses ailes d'homme-oiseau en aluminium (voir photo). Il avait aussi amené un Rupert, ces petits mannequins habillés en parachutistes que les Américains ont largués derrière les lignes allemandes lors du Débarquement. Une ruse de guerre destinée à faire croire à des parachutages massifs sur des zones où il n'y avait en fait personne. Le Rupert, on voulait s'en servir comme Siki. J'ai aidé Gil à plier le parachute du mannequin, et on l'a largué du Dragon Rapide, un grand biplan que les paras utilisaient à l'époque. Pas de chance, le parachute ne s'ouvre pas : le mannequin s'est écrasé dans la foule. Pas trop de dégâts, mais voilà qu'une bonne femme nous fait une crise cardiaque ! Elle a cru qu'un vrai parachutiste venait de s'écraser devant elle. Ce coup-là, on a rigolé un peu jaune."

Record suisse d'altitude

En mai 67, Théo Fritschy, André Bohn et Jean-Louis Faucher tentent le record suisse d'altitude à plus de 10 000 mètres, équipés de combinaisons utilisées par les équipages de bombardiers de la dernière guerre, et de parachutes Para Commander. Les bouteilles d'oxygène ont été récupérées sur des sièges éjectables de chasseur à réaction Hunter.

Leur vraie chance, ce fut de disposer d'un des premiers Pilatus Porter équipé d'un turbo-propulseur, de près de 700 cv. Les avions dont disposaient les clubs habituellement étaient équipés de moteurs à pistons dont le rendement diminuait rapidement avec l'altitude. De plus, les constructeurs d'avions de l'époque n'avaient pas encore imaginé les portes coulissantes en vol. Mais Pilatus équipait de série tous ses PC-6 d'une trappe manoeuvrable par le pilote. Cette caractéristique, liée à la puissance de la turbine, en faisait l'avion idéal pour les sauts à haute altitude.

Après un largage par moins 53 degrés dans un vent à 350 km/h, ils se laissèrent porter par l'impression fabuleuse de survoler le monde, que l'on ressent toujours en haute altitude. "J'apercevais Turin, la plaine du Pô jusqu'à la Méditerranée, Milan, l'Autriche, la Forêt-Noire... Sous moi le lac Léman, et au loin les Alpes de Provence. Tout le massif alpin me semblait écrasé, plat." Grisé par la chute et l'oxygène pur, Théo ouvre son parachute face au Cervin, à 700 mètres/sol, et se pose tranquillement le long d'une route.

"De retour à l'aérodrome, j'appris que nous avions sauté à 10100 mètres, au-dessus de Sion. Ma chute avait duré plus de trois minutes. Ce qui fait que le lendemain la presse annonçait que nous venions de battre le record suisse d'altitude. Cependant ce record ne fut jamais homologué, car quelques jours plus tard, un parachutiste zurichois tenta de le battre. Mais il perdit connaissance dans l'avion. Malgré un piqué d'urgence du pilote, il ne put être ramené à la vie. L'Aéro-Club de Suisse décida alors de ne plus homologuer de records d'altitude". Plus tard, Théo raconta cette aventure en air glacial dans un petit mémoire : "Le 291 ème saut ... ou Trois minutes de chute libre", inconnu en France.


Les Para Commander avaient aussi de jolies couleurs.
Théo s'est aussi intéressé au vol de pente. "Je ne veux pas être prétentieux, mais c'est peut-être bien moi qui ait donné à Bétemps, Bohn et Bosson l'idée du parapente, je leur disais : - si on pouvait décoller, si on trouvait des pentes assez raides... on pourrait voler (*) ! En 1965-66, j'ai fait des sauts de puces de 15-20 mètres à Verbier, en décollant à ski avec un Para Commander. Exactement à Croix de Coeur, là où il y a le décollage parapente maintenant. Mais ma première expérience en 'aile', c'est à Magadino en 72, avec le Volplane. Ce truc, c'était une terreur. J'avais sauté à 3 000, et ouvert à 2 500. Après mon saut, Bohn a voulu essayer aussi le Volplane : ça a été sa première réserve !"

(*) En fait il y a tout lieu de croire qu'a l'époque, l'idée était bien dans l'air du temps : Jacques Rode signe en 77 dans l'ouvrage "Le Parachute", un an avant les vols de Mieussy, le chapitre de prospective "Vers l'an 2000 - Les parachutistes décollent", où il aborde la question du vol de pente... Et même le vol d'hommes-oiseaux équipés d'ailes à caissons, technique que Patrick de Gayardon développera 20 ans plus tard sous l'appellation combinaison ailée ou wingsuit. Et l'on sait désormais que les premiers vols parapente ont été effectués en 1965 aux U.S. par David Barish, et publiés dans le Parachute Manual de Dan Poynter dès 1972 : voir le dossier "Flash-back - Les Ailes de l'Espace" dans le ParaMag n*167 d'avril 2001.

Du civil au militaire...

Les Suisses, rappelons-le, sont tous à la fois un peu militaires et un peu civils. En 1969, lors de la formation de la première compagnie parachutiste, Théo se retrouve naturellement parmi les premiers brevetés militaires suisses, tous chuteurs opérationnels.

Mystère, pourquoi 69 ? Alors que la plupart des pays européens ont formé des compagnies parachutistes dès 1937 ou 38, même sans y croire comme l'ont fait les Français ? Du fait de leur neutralité, nos voisins Suisses ont dû estimer pendant longtemps ne pas avoir à créer d'unités destinées principalement à l'action extérieure aux frontières. Curieusement, la Suisse est donc probablement le seul pays au monde où ce sont des civils qui ont amené le parachutisme aux militaires, et non l'inverse. Apparemment la plus grande résistance venait des assurances : si les militaires reconnaissaient le parachutisme, les assureurs se retrouvaient alors dans l'obligation d'assurer aussi l'activité civile. Les histoires de banquiers ne sont jamais simples !

Mais une fois lâchés, rien ne leur résiste : "A l'armée, en 69, on a sauté lors de manoeuvres. Il fallait absolument prendre d'assaut le QG "ennemi 5", alors on a inventé un truc : le Pilatus Porter volait à 25 m/sol pour ne pas se faire repérer, puis arrivé sur la zone 'ennemie' à prendre, une tour de contrôle aérien, il engageait une chandelle brutale. Nous, on s'éjectait dans la parabole, à 50 m/sol, avec un parachute rond qui se déployait à l'horizontale. On a pris la tour en deux minutes, mais inutile d'emmener un parachute de secours ! Ensuite, on nous a demandé de recommencer ça pour une démonstration, j'ai refusé. Mais ils ont quand même trouvé un autre "grillé" pour le faire ..."

...En passant par la compétition

Instructeur, Théo est aussi compétiteur dans l'âme : champion suisse de voltige et du combiné, de P.A. d'équipe en 68, il participe également à de nombreuses compétitions internationales (para-ski, championnat de monde F.A.I. et militaire). Puis Théo fonde l'école para professionnelle permanente d'Ecuvillens en 1971, qui aura le succès que l'on connaît. La même année, André Bohn créait aussi son école professionnelle, à Magadino au Tessin.

L'équipe militaire Suisse au C.I.S.M. (championnat militaire) de 1973 à Schaffen (Allemagne). Les parachutes sont des "tout dans le dos" mais ils utilisent encore des libérateurs métalliques de type Capewel et des poignées d'ouvertures elles-aussi métalliques. Théo était le capitaine de l'équipe. C'est là qu'il fit son dernier saut de sa première période parachutiste.

La rupture

Peu après, en 1973, à l'âge de 28 ans et avec 996 sauts à son actif, c'est la rupture : "J'ai préféré arrêter complètement plutôt que de faire 10 sauts par an. Ingénieur avec deux enfants, mon métier ne m'en laissait plus le temps." Et c'est cette rupture franche avec le parachutisme de grand-papa, puis la reprise inopinée en pleine mutation du parachutisme moderne qui offre un intérêt particulier au regard de Théo sur l'activité. Lui n'a pas vieilli doucement avec, il l'a redécouverte 20 ans plus tard.

"J'ai repris en 94, par hasard mais aussi parce que je bossais trop, je crois. Pour retrouver un équilibre nécessaire. Mon fils Arnaud voulait apprendre la chute. Il devait faire son premier saut. Subitement j'ai eu envie de l'accompagner. Avec Andreas Knabe comme instructeur, c'était parfait. À 50 ans, j'ai eu l'impression que j'avais fait mon dernier saut le mois précédent. À 3 000 mètres, avec une aile, et plus un rond. Mais comme j'étais pilote d'avion, j'ai toujours gardé contact avec le milieu aérien."

Depuis Théo pratique de nouveau la P.A./ voltige, le para-ski et le vol relatif en compétition. Et il s'est mis également au Hit'n Rock, la discipline des P.O.P.'S. (association des parachutistes de plus de 40 ans) : c'est là qu'il réussit le mieux, puisqu'il décroche en septembre 1999 le titre de champion du monde, à Vancouver au Canada. Il totalise environ 1 500 sauts depuis 1963. Quant à son fils Arnaud, il a arrêté de sauter pour le moment, après 60 sauts. C'est qu'en Suisse on ne rigole pas avec le boulot !

L'or des Suisses

Nous retrouvons Théo le mois suivant en Suisse, à Gruyères. Andreas Knabe et les Bouses-qui-Chutent y ont fait venir un Twin Otter (leur logo c'est la vache sympa blanche et noire, pas la violette débile de Milka). Météo d'enfer, ciel bleu et sec, comme d'habitude. Juste dommage que le franc suisse soit suisse, c'est-à-dire 4 fois trop cher pour le tiers-monde français ! Un soir chez lui, au bord du lac, Théo nous invite à dîner. Ravis, nous avons là l'occasion de continuer à l'écouter.

Témoin du dernier demi-siècle, pour lui, qu'est-ce qui a le plus changé, ce qui l'a le plus marqué ? Réponse claire : le matériel et son évolution, la sécurité, les Cypres, etc. "Honnêtement, je n'aurais jamais ressauté avec le matériel de mes débuts. Mais ce qui est un peu décevant, c'est que le professionnalisme ait remplacé l'associatif pur. Et le pilote qui largue, ça me semble une hérésie : pour moi, le responsable dans l'avion doit opérer le largage. Mais c'est vrai qu'à l'époque où j'ai commencé, le cône de largage était très serré. Maintenant avec les ailes modernes, tu poses à peu près où tu veux. Quant à tes parapentes-parachutes, inutile d'en parler, la notion de largage précis est périmée."

La conclusion de l'histoire, la vraie leçon de valeur, Théo nous la livre simplement : "Tu vois, finalement à travers tout ça, après toutes ces années, c'est qu'il se crée toujours une sacrée camaraderie entre les parachutistes. C'est le principal, non ?"

Voici quelques repères dans la carrière parachutiste de Théo

Théo durant le Hit'n Rock
Suisse en 2001.
1963 Premier saut à Lyon Corbas à l'âge de 18 ans.
1967 Record d'altitude à 10 100 m à Sion. Champion suisse de voltige et du combiné.
1968 Licence suisse d'instructeur parachutiste. Champion suisse de P.A. d'équipe. Participation au championnat de monde F.A.I. à Graz (Autriche).
1969 Participation à la création de l'unité de chuteurs opérationnels de l'armée suisse.
1970 Para-ski international de Verbier, 1er en P.A., 2ème au combiné. Participation au championnat du monde C.I.S.M. à Bruchsal (Allemagne) et au championnat du monde F.A.I. à Bled (Yougoslavie).
1971 Création et direction de l'école permanente de parachutisme d'Ecuvillens.
1973 Capitaine de l'équipe suisse au championnat de monde C.I.S.M. en Belgique, 8ème au combiné en P.A./voltige.

Fin provisoire d'activité.

1994 Reprise de l'activité à 50 ans.
1995 Championnats suisse de P.A./voltige, 7ème en voltige. Championnats du monde P.O.P'.S. à Empuriabrava. Fondation et présidence de Swiss P.O.P'.S.
1996 Europa-cup de para-ski à Asiago (Italie), 3ème catégorie Master. Coupe de France des P.O.P.S. à Péronne, 2ème au Hit'n rock, 5ème en P.A. Première rencontre de Swiss P.O.P'.S. à Bienne, 3éme au Hit'n'rock, 7ème en P.A. 30ème National des P.O.P'.S. U.S. à Xenia (Ohio), 4ème au Hit'n rock . Obtention de la Silver Crest Award de vol relatif à 9.
1997 31ème National des P.O.P'.S. U.S. à Raeford (Caroline du Nord) 1er en V.R.4 scramble. Record P.O.P'.S. de Hit'n Rock de nuit en 5.46 secondes.
1999 Médaille d'or au Hit'n Rock des championnats du monde P.O.P'.S. de Chiliwack au Canada.

 



177 février 2002