Depuis plusieurs mois, une nouvelle forme de compétition alternative est organisée de terrain en terrain, de week-end en week-end, suscitant la curiosité de nombreux parachutistes. Il s’agit du Tracking derby, une compétition de distance parcourue en chute libre sur 45 secondes. Ni plus ni moins qu’un format de compétition de dérive, rendu possible grâce à la démocratisation du G.P.S 


                               Par Martin Ciekala



Le G.P.S. Garmin Foretrex 201 utilisé dans le cadre du Tracking derby.


Les résultats montrent qu’un angle trop plat, comme celui utilisé sur cette photo durant un saut de track, ne donne pas les meilleures performances dans le format du Tracking derby.


Une dizaine de G.P.S. sont mis à la disposition des compétiteurs.


Une feuille de résultats type tels qu’ils sont affichés durant la compétition et sur le site Internet. Toutes les indications de lecture sont détaillées (en anglais) sur le site, dans le chapitre "graph tutorial", mais c’est le premier graphique (distance horizontale) qui détermine la performance et le résultat de chaque course. Les autres graphiques sont donnés à titre indicatif. Cette feuille correspond aux meilleurs résultats obtenus (au moment de notre bouclage) dans la catégorie féminine, par Isabelle Schoonbroodt.
Pour ceux qui ne maîtrisent pas l’anglais : Vertical speed = vitesse verticale, Ground speed = vitesse sol, Ground Glide Ratio = finesse sol, Bearing = orientation.

e Tracking derby s’adresse à tous les parachutistes quel que soit leur niveau : allant du brevet A jusqu’au quadruple champion du monde, peu importe le gabarit, la technique et la combinaison utilisée. La seule contrainte est l’emport au poignet d’un petit G.P.S.

La course commence 15 secondes après la sortie et dure 45 secondes. L’objectif est de parcourir la plus grande distance sol possible en 45 secondes. Il n’y a pas de règle quant à la position de vol : à plat ou sur le dos, volant en ligne droite ou autrement.

À vrai dire, il faut être rapide pour parcourir la plus longue distance. À chacun ensuite de trouver ou d’adopter la bonne position, le bon angle, la bonne vitesse pour optimiser le vol. Il n’y a pas de vérité, à part peut-être quelques conseils avisés, car chaque parachutiste possède une morphologie propre, une expérience unique et des sensations variant d’un individu à l’autre. Bref il faut être le plus performant !

Après le saut, l’enregistreur G.P.S. est récupéré pour l’extraction des informations permettant d’établir la performance (voir graphiques ci-contre). Le logiciel utilisé est spécifique. À ce jour, Il n’y a pas un nombre de manches minimum ou maximum, chaque participant ayant le loisir d’effectuer le nombre de sauts qu’il souhaite. Seule la meilleure performance est retenue. L’événement a lieu en général sur deux jours.

À l’origine de ce projet : Claude Tzifkansky, parachutiste bien connu, ancien membre des équipes de France en vol relatif et en disciplines artistiques, endossant le rôle de chef de projet et assurant l’interface entre la technologie et le sport.

L’équipe de développement se compose aujourd’hui d’Arnaud Dupuis, le développeur du calculateur de performance ; Samuel Quaireau, développeur Java et Nadine Triaire, le webmaster du site Internet.

Il a fallu deux années pour que le projet aboutisse et soit opérationnel. Une année de réflexion, de mises au point avec l’équipe de programmation, le tout rendu possible grâce à la commercialisation récente et frénétique de G.P.S. fiables, peu encombrants donc transportables en chute libre.

Le G.P.S. utilisé dans ce cadre est le Garmin Foretrex 201 (environ 200 euros dans le commerce), dont le seul réglage à effectuer est l’enregistrement toutes les secondes. Ce modèle est l’un des plus petits et des moins chers. Dans le cadre des règles du Tracking derby, il s’avère être l’appareil le plus approprié. La marque Garmin, réputée pour la fiabilité de ses produits outdoor, est déjà utilisée dans d’autres sports tels que le parapente, le planeur, etc. Le Tracking derby est compatible avec les autres modèles de la marque.

Le boîtier G.P.S. se met au poignet tel un altimètre et doit impérativement rester "visible" des satellites pour un positionnement précis depuis l’intérieur de l’avion jusqu’au posé. En deux mots, il faut s’assurer que tout fonctionne au moment de la sortie d’avion !

Mais le génie de tout cet ensemble réside dans le logiciel de calcul qui est sans aucun doute le coeur du système. Ce programme est original et sans lui rien ne serait possible. Pour les amateurs avertis, le Tracking derby n’a rien à avoir avec l’existant Paralog. Spécialement pensé et développé pour, l’existence même de cette compétition en dépend.

Pour le moment, seule la course solo-suit est explorée. D’autres formats ont été mis au point dont des formats par équipe et une variante pour la wingsuit, qui seront proposés dans les mois à venir.

Dans un futur très proche, l’évolution du Tracking derby passera par la mise à disposition du soft via Internet, pour le plus grand nombre, gratuitement. Les parachutistes ayant acquis un G.P.S. pourront en extraire les données grâce au Tracking Derby Agent, logiciel freeware, extracteur des fichiers de vol avant de les envoyer sur le site web www.trackingderby.com.

Les performances seront calculées dans les catégories Suit et Wingsuit. Il sera possible bien évidemment de visualiser les courbes de performance ainsi que d’accéder à d’autres fonctionnalités offertes par le site web.

Tous ces résultats, réalisés en événements et en accès public alimenteraient la compétition. L’idée est de faire du Tracking derby une compétition permanente et mondiale avec pour interface l’Internet et parallèlement des événements tel que c’est le cas actuellement en France et aux U.S.A. Vive la mondialisation !

La vocation du Tracking derby est d’être une compétition ludique, non élitiste, destinée à une majorité et accessible à tous.

Le bilan de la première saison s’annonce assez exceptionnel ; 173 parachutistes, répartis sur 8 étapes se sont déjà prêtés au jeu au moment du bouclage de ce numéro de ParaMag. L’étape ayant eu le taux de participation le plus élevé est Péronne, mi-septembre, avec 37 candidats. Indéniablement c’est un franc succès. Six étapes supplémentaires sont programmées jusqu’en fin de saison (Gap, Chambéry, Maubeuge, Perris, Pau et Mimizan, voir les dates sur le site Internet pour le calendrier). Coté logistique, Claude Tzifkansky supervise à lui tout seul toute l’organisation du Tracking derby : briefing, débriefing, extraction des données, affichage des scores, etc. Il est présent sur chacune des étapes, avec tout son matériel informatique et une dizaine de G.P.S.

Les deux meilleures performances sont actuellement détenues par Olivier Jean-Baptiste dans la catégorie masculine avec une distance de 3046 mètres et pour la catégorie féminine, Isabelle Schoonbroodt, parachutiste belge avec une distance de 2733 mètres. Les résultats de chaque rencontre sont détaillés sur le site Internet de même que l’explication des formats de compétition.

Maintenant se posent des questions intéressantes : les données qui sont extraites des G.P.S. et leur traitement informatique donnent-ils des résultats fiables à 100% ? Le format d’une telle compétition permet-il d’attribuer le titre du "meilleur dériveur du monde" ?...

... S’ouvre alors un vaste débat sur les standards de ce qu’est une bonne et efficace dérive et les critères qui permettent de déterminer ce qu’est véritablement un bon dériveur ! De quoi alimenter cet hiver, toutes les conversations de comptoir ! En attendant nous vous proposons ci-dessous une interview de quelques participants, ainsi que de Claude Tzifkansky, qui apportent chacun des réponses intéressantes.

Ce nouveau concept de compétition est encore en phase de gestation et l’avenir nous dira s’il suscitera l’engouement et le succès escomptés par ses inventeurs. Dans tous les cas, nous ne pouvons que vous inciter à l’essayer au plus tôt !  


L’avis de compétiteurs avisés

Olivier Jean-Baptiste a établi la meilleure performance début août à Mimizan avec 3040 mètres. Il lui a fallu 4 sauts pour établir cette performance : 1er saut mesuré à 2300 m, 2ème saut à 2400 m, 3ème saut à 2900 m et enfin le 4ème saut à 3040 m. Sur les courbes de vitesse de ce saut "record", on constate de grands écarts, de grandes variations principalement en vitesse verticale. Nous lui avons demandé de nous faire part de ses sensations et de son analyse des résultats.

"Je n’ai pas cherché particulièrement à connaître la meilleure technique avant de sauter, j’y suis allé au feeling en me fiant à mes sensations sur l’air. Au début je cherchais plutôt à suivre un point de repère sur l’horizon, mais c’est difficile de conserver une bonne position avec la tête levée. On partait à 2 nautiques du terrain et j’ai pris des points de repère intermédiaires sur le sol, sous l’horizon.

Je pense que le but du jeu est de trouver la position la plus aérodynamique possible, et surtout d’obtenir la vitesse qui va créer le maximum de déplacement. Les repères habituels des sauts de track ne sont pas valables, l’angle est trop plat. Pour obtenir un maximum de performance durant les 45 secondes, il faut trouver le bon angle, celui qui va à la fois donner de la vitesse et créer le maximum de portance, donc gain de distance.

J’ai beaucoup travaillé sur l’angle et le visuel et mon expérience m’a permis de trouver les meilleures sensations. Pour le dernier saut, j’ai tout sorti, j’étais "au taquet de chez taquet" et courbaturé pendant les trois jours suivant ! J’ai peut-être eu un coup de chance, mais je compte bien réessayer pour confirmer.

Cette compétition laisse complètement la place aux jeunes. Quelqu’un qui va trouver rapidement la bonne position parce qu’on lui explique bien et qu’il la ressent bien pourra obtenir rapidement de bons résultats. À Mimizan, ça a bien plu et une trentaine de personnes ont participé. Notre terrain s’y prête bien et, avec la piste de 3 km de long, on peut larguer plusieurs personnes dans le même passage et en sécurité. Une fois le bon angle trouvé, le problème reste le visuel. Sans visuel sol, tu risques de perdre ton axe. C’est difficile de rester concentré sur sa position tout en maintenant sa trajectoire. Le fait de trop regarder le terrain oblige à lever la tête et risque de faire perdre l’angle. Le fait de devoir se réaxer peut aussi faire perdre de la vitesse. (*)


(*) Le règlement du Tracking derby n’oblige pas à suivre une trajectoire rectiligne, c’est la longueur totale de la trajectoire qui est mesurée. Dans l’absolu, il est donc possible de dériver en zigzag sans perdre un mètre de distance mesurée, mais bien évidemment les changements d’axe risquent de ralentir l’allure.



Avec 2089 mètres mesurés, la performance de Loïc Jean-Albert est plutôt décevante. Il nous fait part de ses commentaires.

"J’ai fait un seul saut durant le Gap Vector festival en juillet. Je n’avais pas vraiment fait attention au format de la compétition et je suis parti pour une bonne dérive en essayant d’avoir un maximum de finesse.

Mais la performance mesurée est une distance sol réalisée en un temps donné, il faut donc aller le plus vite possible en horizontal et non pas avoir le meilleur angle de planer. C’est tout à fait différent, pour marquer un bon résultat, c’est plus un angle style atmonauti ou trace qu’une position de dériveur à plat qu’il faut chercher. Ceux qui gagnent sont ceux qui font une dérive plongeante sans se soucier de la finesse car elle n’entre pas en ligne de compte dans le format. Il faut se caler sur le bon angle.

Je dirai que c’est une compétition de speed dans un angle de trace, à la recherche de la meilleure pénétration dans l’air. Je pense qu’il vaut mieux partir en combinaison serrée. Le format ne tient pas du tout compte de la perte d’altitude, on peut en "utiliser" autant qu’on veut et c’est là toute la différence avec les courses de dérive à plat que l’on peut faire après un V.R. ou durant un saut dédié.

Ce n’est pas une compétition de finesse max et dans l’esprit du relativeur pur qui veut dériver le mieux possible c’est un peu dommage. Ça reste intéressant car tout le monde a sa chance en termes de gabarit, même les plus lourds. Une compétition de dérive planée ne laisse pas beaucoup de chance aux gabarits les plus lourds."


Quelques questions à Claude Tzifkansky



Résultats des premières étapes
Lieu Dates Vainqueur Distance
Péronne 10-11 septembre Mike Brooke 3001 m
Namur 3-4 septembre Isabelle Schoonbroodt 2733 m
Mimizan 6-7 août Olivier Jean-Baptiste 3046 m
Maubeuge 30-31 juillet Clément Martin Saint Léon 2324 m
Gap 30 juin David Carbonne 2457 m
Perris 28-29 mai Jonathan Tagle 2326 m
Eloy 21-22 mai Craig Girard 2133 m
Eloy 23-24 avril Yoko Okasaki 2047 m

Comment définirais-tu le Tracking derby en quelques mots ?

Une course de distance en 45 secondes, ou une compétition mondiale permanente de vitesse sol.

Quel est l’objectif du Tracking derby ?

Le coeur de notre projet est de proposer une compétition ouverte à tous. Les débutants peuvent participer avec les champions, sans être forcément ridicules aux résultats. Actuellement 2 à 3 rencontres sont organisées tous les mois. Elles ont lieu en Europe et aux U.S.A., j’ai aussi des contacts en Australie. Il est possible que ça évolue vers une seule rencontre mensuelle, mais de plus grosse taille.

Quel est le coût pour les centres ou les participants ?

Je vends ma prestation à la journée, elle comprend évidemment la mise à disposition du matériel. Si le centre la prend à sa charge en tant qu’animation, il n’y a aucun surcoût pour les participants. C’est peut-être amené à évoluer vers une participation individuelle en fonction des cas. À noter également que Boogie Man offre tous les mois une combinaison de freefly par tirage au sort, aux participants du Tracking Derby.

On ne peut qu’être surpris par certains résultats de parachutistes de haut niveau dont on sait avec certitude qu’ils sont de bons dériveurs (comme Loïc Jean-Albert, Luc Maisin et d’autres). Pourquoi avoir choisi un tel format ?

Nous avons choisi ce format car nous ne voulions pas que "grand gabarit tout maigre" soit synonyme de victoire assurée. C’est vraiment un règlement particulier et il faut s’y adapter, c’est vrai. C’est pareil pour un planeur : s’il veut avancer plus vite, il n’a pas d’autre choix que de mettre du manche en avant. La course de dérive dans le temps oblige à adapter son vol selon plusieurs paramètres tels que sa tenue de sauts, son poids (certains ont essayé avec du lest), son angle de vol, sa position aérodynamique, la gestion des 15 secondes d'accélération. La course démarre à 15 secondes (pour sortir de la projection de l'avion largeur) et plusieurs stratégies s’affrontent : piqué puis mise à plat pour transférer de l'énergie à l'horizontale, ou au contraire parachutale pour garder le maximum de hauteur pour le temps de course ou pour passer la porte d'entrée (15 secondes) au maximum de sa vitesse sol.

Nous avons d’abord envisagé un format établi entre deux hauteurs en utilisant aussi un altimètre, mais c’était plus lourd techniquement. De plus les gros gabarits étaient pénalisés et il y avait un autre inconvénient : un souci de validité pour les fichiers envoyés en accès libre sur Internet. Le fait de travailler avec un seul enregistreur nous permet de crypter les données pour éviter la tricherie.

Est-ce à dire que la précision du G.P.S. en termes d’altitude n’est pas suffisante et qu’il faut compenser avec un altimètre ?

La fiabilité du G.P.S. n'est plus à faire, il capte les signaux venant du satellite, qui donne à l’appareil les informations pour que celui-ci calcule sa position en instantané et stocke les infos dans sa mémoire. Le logiciel Tracking Derby traite les positions simultanées et calcule les performances à partir de ces positions.

Actuellement, les compétitions de parapentes sont basées sur les mesures des G.P.S., cela donne une idée de leur précision. Même si la mesure d’altitude peut accuser un décalage de 50 à 100 mètres (dans le pire des cas) en fonction de l’emplacement des satellites et des conditions de réception, ils sont très précis en calcul de différence d’altitude et c’est ce qui nous intéresse ici. Je précise également que les finesses affichées sur les tableaux de résultats sont des finesses sols, elles sont dépendantes de la force du vent. Le vent en altitude est forcément différent d’un lieu à un autre, d’un jour à un autre. Il influe positivement ou négativement sur les performances, c’est injuste.

Nous partons du principe que sur un ou deux jours, les conditions de vent sont pratiquement les mêmes pour tout le monde sur un lieu de compétition donné. Mais comme pour la P.A. ou d’autres sports tels que la planche à voile ou le surf, il y a des moments où les conditions météo sont plus favorables que d’autres. Il faut être en l’air ou dans l’eau au bon moment. Il ne fait pas oublié le caractère permanent de cette compétition. Notre but n’est pas d’en faire une discipline F.A.I., elle est indicative, ouverte à tous et basée sur le fair-play.

Le futur tableau du Tracking derby pourrait être l’addition des 20 meilleures performances à l’année (pour chaque compétiteur) en limitant le nombre de traces à quatre par jour pour empêcher la capitalisation des meilleurs scores les jours où il y a un fort vent en altitude.

Le but est de venir périodiquement et régulièrement se confronter avec les autres.

Propos recueillis pas Bruno Passe


221 octobre 2005