ParaMag n°129 de février 98 : notre article spécial "wing-flight" s’ouvre sur une double page illustrée par les photos de Patrick de Gayardon dans la soufflerie O.N.E.R.A. de Toulouse.


Patrick de Gayardon équipé d’un de ses premiers modèles de wing-suit : les ailes de bras et de jambes son mises en pression avec un extrados et un intrados, épousant la forme du corps.



Résultats des mesures de finesses réalisées par l’équipe de Sup’Aéro, en fonction de l’inclinaison des mannequins. Le "proto 1" correspond au modèle "monobloc" sans intercaisson. Voici les commentaires des étudiants : "On constate la performance réalisée par le proto 1. Tout d’abord, on peut penser qu’une finesse de 3 peut être exagérée, compte tenu du fait que nous sommes en soufflerie. Mais ces résultats semblent assez réalistes lorsqu’on les compare entre eux. En effet, le modèle "Deug" affiche une finesse de 1,2. Elle est en dessous des performances habituelles d’une combinaison réelle de ce type (car nous avons eu des difficultés à la reproduire fidèlement). Cependant elle rentre dans l’ordre de grandeur de ce que l’on connaît."


Le "proto 1", modèle "monobloc" sans intercaisson, dans la soufflerie de Sup’Aéro (envergure 50 cm).


La première phase de test : travail en petite soufflerie pour observer l’écoulement autour du chuteur et comprendre le vol de l’aile. Le mannequin n’est encore qu’une plaque de métal mais sa finesse théorique est de 3 et curieusement (pour les non-scientifiques...) elle va diminuer en ajoutant le profil.


Jean-Pierre Knaff en position de vol dans la soufflerie, il est entouré de (gauche à droite sur la photo) : Christophe Vincent, Marion Lebellego, Antoine Guitton et Antoine Thépaut. Encadrés par Hervé Belloc, ils ont travaillé sur la combinaison S-Fly développée par Fly-your-Body.


Des fils de laine sont apposés sur l’extrados afin de visualiser les écoulements d’air.


Jean-Pierre Knaff durant les essais en vol, on distingue le Pitot (capteur de pression dynamique), installé sur le casque. Images extraites de la caméra embarquée de Sylvain Duchêne.



La combinaison S-Fly de Fly your Body est inspirée par la technologie Salomon : matières stretch sur certaines zones de confort, coutures et zippers étanchés, moins de fuites et surfaces plus lisses, autant de petits détails qui diminuent la traînée.


                        Par Bruno Passe


De nos jours, l’utilisation des ailes rigides reste l’affaire de quelques spécialistes qui continuent d’explorer ce domaine de vol et en repoussent les limites. Le concept d’ailes souples à caissons a donné naissance à une nouvelle discipline du parachutisme : le wing-flight, vol en combinaison ailée. Ce cinquantenaire du 1er vol de distance d’un homme oiseau est aussi l’occasion de présenter les grandes lignes d’une étude scientifique menée par des étudiants de Toulouse. Dans le cadre d’un projet annuel, ils se sont intéressés de très près à la combinaison ailée S-Fly développée par Fly-your-Body


est certainement un des plus vieux rêves de l’homme. Il a inventé et fabriqué toutes sortes de machines volantes pour le réaliser avec succès. Mais un adage circule depuis une vingtaine d’années dans notre milieu : "Seul les parachutistes savent pourquoi les oiseaux chantent..." Effectivement les chuteurs savent que rien ne peut égaler la sensation de voler avec son propre corps, en appui sur les filets d’air. Evidemment, ce vol n’est que "relatif" (d’où le nom de la discipline correspondante, le "V.R."...) et il ne faut pas oublier d’ouvrir son parachute sous peine d’un brutal rappel à l’ordre !

L’article "Historique" qui précède montre que l’idée de sauter avec des surfaces additionnelles est vieille de plus de 50 ans, mais qu’à cette époque les hommes-oiseaux ne faisaient finalement que ralentir leur chute. Entravés dans des combinaisons encombrantes, soucieux de satisfaire un public avide de sensations fortes, la plupart d’entre eux ont connu une fin tragique.

Nous avons vu que l’approche de Léo Valentin était différente : il était à la recherche d’un concept lui permettant d’augmenter ses capacités de déplacements horizontaux, tout en gardant un système lui permettant d’atterrir en sécurité (sous un parachute... !). Malheureusement, il a connu une fin similaire aux hommes-oiseaux de son époque.

   Deug relance le rêve   

En 1997, Patrick de Gayardon relance le concept de la "combinaison volante" avec une nouvelle idée : les ailes de bras et de jambes son mises en pression avec un extrados et un intrados, épousant la forme du corps. Avec l’aide de son sponsor, Sector, et de quelques techniciens spécialistes des combinaisons et de l’aérodynamique, sa nouvelle "wing-suit" voit le jour et il en démontre les capacités au travers d’exploits qui marquent l’histoire du parachutisme : vols dans les reliefs des Alpes ou du Grand Canyon, remontée dans un Pilatus en vol, etc. La sécurité n’est pas mise de côté : libérateurs d’ailes, technique d’ouverture, Patrick effectuera de nombreux sauts sans aucun problème. Sa vision d’avenir se révèle aujourd’hui exacte : dans une de ses dernières interviews télévisées, il déclare que "une nouvelle discipline va voir le jour prochainement avec la commercialisation d’un modèle de combinaison adapté aux parachutistes de loisirs". Mais il n’assistera pas à sa prédiction. Le 13 avril 1998, lui aussi est rattrapé par le destin tragique des hommes-oiseaux : en modifiant le système d’ouverture de son parachute (pour améliorer les performances de sa combinaison), il commet une erreur fatale qui aboutit à l’emmêlage de ses deux voilures, principale et secours.

Pour Patrick de Gayardon, l’aventure du "wing-flight" n’aura durée que quelques années, mais elles lui auront permis non seulement de créer la discipline, et aussi de la pousser très en avant. En plus de ses exploits médiatiques, il s’est intéressé à l’aspect scientifique en s’entourant de personnes compétentes, dont les chercheurs de l’O.N.E.R.A. Comme Léo Valentin, il a procédé à des essais en soufflerie pour tester les performances de ses ailes. En fin 97, dans la soufflerie horizontale de Toulouse (O.N.E.R.A.) et devant les caméras de Canal Plus, il s’approchait déjà de la finesse 2.

Après Patrick de Gayardon, de nombreux passionnés prennent la relève. Les modèles de combinaisons évoluent, les techniques s’affinent, les "adeptes" se multiplient.

   L’étude Sup’Aéro   

En 1999, sur une initiative de Sébastien Mérian et Yves Rossy, trois étudiants de Sup’Aéro (Nicolas Maubert, Benoît Prax et Sébastien Rostan) se lancent dans un premier projet d’étude sur la wing-suit. Leur objectif est de comparer la combinaison de Patrick de Gayardon avec deux autres prototypes dont l’un est inspiré du nouveau modèle qui venait de voir le jour à l’époque : celui de Loïc Jean-Albert. Ils travaillent sur trois mannequins en bois (type "Ocedar") à l’échelle 1/6. Le premier correspond au modèle De Gayardon et il leur sert de référence pour vérifier le réalisme des résultats compensés en fonction de leur mode de travail (tailles et vitesses réduites). Ils comparent les mesures effectuées sur ce mannequin à celles effectuées en dimension réelle à l’O.N.E.R.A. ou en vol et ils trouvent des résultats semblables.

   Apparition du concept monobloc   

Ils continuent donc avec les deux autres modèles qui sont de type "monobloc" : l’idée est d’agrandir la surface portante au maximum en s’inspirant de la forme des écureuils volants d’Amérique du sud. L’un ressemble fortement au modèle Loïc (entrée d’air sous le bord d’attaque, caissons), l’autre est constituée d’une pièce monobloc trapézoïdale reliant directement les mains aux pieds et les pieds entre eux. Cette combinaison, dans laquelle le mannequin est glissé, a un intrados et un extrados. Le mannequin est fixé à la toile du dessus par les bras et les jambes et il se couche sur celle du dessous. Le tissu utilisé est de la toile de spi.

Sur les conseils de Sébastien Mérian et Yves Rossy, les étudiants s’intéressent particulièrement aux efforts ressentis dans les bras, à la stabilité et à la répartition des surfaces portantes. Ces trois facteurs sont importants dans l’utilisation en vol d’un nouveau modèle de combinaison ailée. Un capteur d’effort est placé dans un des bras de chaque modèle. Les étudiants mesurent aussi les finesses, les pentes, les polaires, les moments de tangage. Ils utilisent également des fils de laine et de la projection d’eau pour révéler les mouvements d’air autour des mannequins.

   Vers la finesse 3... ?   

Globalement, les résultats démontrent ce que les comparaisons en vol ont rapidement prouvé à l’époque : le concept de Loïc (parachutiste dans l’aile combinaison) est beaucoup plus performant que le concept classique (ailes rapportées sur la combinaison du parachutiste). Ce qui reste toujours intéressant aujourd’hui, ce sont les résultats du prototype monobloc sans caisson : il affiche une finesse de 3 et une pente de 18°, pour des efforts à peine plus importants sur les bras ! L’écoulement de l’air sur l’extrados est aussi beaucoup plus pur. Un relatif profil d’aile d’avion se forme naturellement, diminuant considérablement la traînée. Bien entendu tout cela reste très théorique et rien ne prouve que ce concept fonctionne en configuration réelle. Une telle surface soulève également le problème du déclenchement de l’ouverture du parachute.

L’étape suivante aurait consisté à réaliser un prototype à échelle humaine et à l’essayer, ce que les étudiants de Sup’Aéro n’étaient bien évidemment pas en mesure de faire. Le marché de la wing-suit n’était pas très développé à l’époque, et il n’existait pas encore de constructeur. Les choses ont évolué depuis et la conclusion de étudiants se concrétisera peut-être un jour : " .../... il reste à s’assurer que les efforts sont vraiment supportables et que la stabilité est bien correcte, en souhaitant que dans le futur, les wing-suits ressembleront à notre prototype."

   L’étude E.N.S.I.C.A. (90047)   

Nous laissons à Antoine Guitton, un des étudiants de Toulouse et jeune parachutiste pratiquant à Pamiers, le soin d’expliquer les grandes lignes de cette étude débutée en 2003 et qui se terminera en mai. "Pour comprendre comment vole une combinaison ailée et pouvoir améliorer ses performances, nous réalisons un projet à l’École Nationale Supérieure d’Ingénieurs en Constructions Aéronautiques (E.N.S.I.C.A.), en collaboration avec Loïc Jean-Albert, ainsi que Jean-Pierre Knaff, Vincent Mignot et Patrice Campoy qui travaillent tous les deux au Centre d’Essais en Vol Aérotransport Parachutage de Toulouse (C.E.V.A.P.).

Le but de cette étude, intitulée "Étude du vol d’une combinaison ailée", est de montrer comment l’air s’écoule autour de la combinaison et de mettre en évidence les phénomènes aérodynamiques mis en jeu lors du vol de la wing-suit. A partir de là, on pourra proposer et étudier des dispositifs et des solutions pour améliorer les performances de la combinaison.

La première difficulté est liée au fait qu’on ne connaît aucun système volant avec la même configuration et les mêmes caractéristiques (faible allongement, deux ailes delta en tandem). On se trouve donc dans des configurations très différentes de celles étudiées en aérodynamique classique : il n’existe aucun modèle d’écoulement sur lequel se baser. De plus il faut adapter les moyens d’essais, utilisés pour les maquettes d’avions, à la wing-suit. En gros, la combinaison n’est pas un avion et il faut mettre en place des outils spécifiques. Nous avons préalablement rencontré Monsieur Desplas, le responsable de l’O.N.E.R.A. qui avait travaillé avec Patrick de Gayardon, et nous avons eu la possibilité d’analyser leurs résultats avant de débuter nos propres essais.

   Un écoulement très perturbé   

Un modèle de l’écoulement se précise. Visiblement, l’aérodynamique reste proche du chuteur sans combinaison. En effet, il existe une forte zone "décollée" sur l’extrados de la combinaison (c’est le dos du chuteur lorsqu’il chute face sol). En fait, la fameuse dépression créée en chute est toujours présente. Par contre, l’augmentation de surface permet une diminution importante du taux de chute, exactement comme pour un parachute : le taux de chute est inversement proportionnel à sa surface (pour une même forme). De plus, la forme de la combinaison et la position du chuteur vont caractériser la trajectoire, comme le profil et le réglage de l’inclinaison d’une voile de parachute déterminent sa direction.

   Dans la soufflerie   

Tout d’abord, nous utilisons un petit mannequin (30 cm), sur lequel nous pouvons très facilement et très rapidement modifier de nombreux paramètres pour étudier leur efficacité.

Puis pour valider l’utilisation du mannequin, nous procédons à des essais en taille réelle dans la soufflerie horizontale S4 du Département de Mécanique des Fluides de l’E.N.S.I.C.A. On se trouve dans des conditions très proches des conditions de vol (la soufflerie pouvant souffler jusqu’à 43 m/s), ce qui permet d’obtenir les caractéristiques de l’écoulement. Une série d’essais, où on utilise des fils de laine pour visualiser les directions de l’écoulement, met en évidence les différents phénomènes aérodynamiques (localisation de zones "décollées" à l’extrados).

   En vol   

La dernière phase des essais a lieu en vol. Comme vous le savez, un vol se prépare avant tout au sol. Durant cette phase, on équipe l’ensemble parachute/combinaison-ailée d’un système de mesure et d’enregistrement qui permet de suivre l’évolution du parachutiste. On utilise un variomètre installé sur le chuteur, qui indique le taux de chute. Un Pitot (capteur de pression dynamique), installé sur le casque avec un système de rotule afin de s’orienter dans la direction de vol, donne la vitesse sur trajectoire.

Pour des problèmes de sécurité évidents, ces systèmes peuvent être libérés. Les deux capteurs sont reliés à un enregistreur, qui restitue l’ensemble des mesures une fois connecté à un ordinateur au sol.

Tous les essais réalisés sont complémentaires et permettent de vérifier que les mesures effectuées sont cohérentes. Enfin, lors des différentes phases nous avons testé quelques innovations intéressantes qui ont été proposées par l’équipe et par Loïc, comme les becs de bord d’attaque utilisés sur les avions. Peut-être apparaîtront-elles sur les futures générations de combinaisons car des prototypes sont à l’étude. Affaire à suivre..."

   Et après ?   

Aujourd’hui il est assez facile de se procurer une combinaison ailée : trois constructeurs sont actuellement recensés. Birdman (européen basé aux États-Unis, www.bird-man.com) a continué de développer le concept De Gayardon qu’il a développé en trois modèles : Classic, GTI et Skyflyer, selon le niveau technique des utilisateurs. Fly Your Body (www.flyyourbody.com) est passé de la Crossbow (premier modèle monobloc conçu par Loïc Jean-Albert et Stéphane Zunino) à la S-Fly, un modèle qui bénéficie du savoir-faire de Salomon en matière de technologie, de process industriel et de marketing. Matter (www.matterclothing.com) propose la MTR1, modèle monobloc également, fabriqué par ITV. A cela s’ajoutent les fabrications artisanales, ici et là. Il est donc difficile de dénombrer le nombre de combinaisons fabriquées de par le monde, mais il semble raisonnable d’avancer un chiffre supérieur à 2000.

Alors, le marché de la combinaison ailée est-il porteur ? Il existe et c’est déjà pas mal. Les militaires et les scientifiques semblent s’intéresser au sujet et tant mieux si ça peut faire avancer les choses, même s’il n’est pas très excitant de voir transformer notre vieux rêve de vol en arme de guerre. Toute avancée, même minime, est bonne à prendre et on peut espérer que la combinaison ailée sera encore le sujet de futurs projets étudiants



204 mai 2004