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Par Eric Fradet
Les Yosemites, en Californie du Nord, c'est le berceau du saut de falaises moderne. Périodiquement les BASE jumpers se souviennent qu'ils existent par ces montagnes granitiques, car ces murs ont exercé une véritable attirance pour les parachutistes, du moins quelques parois ayant valeur de symbole, et que des "êtres à part" y pratiquent une activité bizarre : le pèlerinage aux sources, là où l'eau est plus claire. Le BASE jumper moderne y renoue avec ses origines.
C'est en 1966 que les parachutistes sy tournèrent pour la première fois, avec des parachutes aux formes arrondies :
Thunderbow et autres antiquités ne permettant pas de se poser en sécurité. Puis Rick Sylvester en ski et armé d'un Paradactyl s'élançait du haut du Nose.
Il a fallu attendre 1978 et les premières ailes performantes qui toutefois limitaient la quintessence du saut à une poignée de secondes afin de rejoindre l'atterrissage, la verticalité du mur étant aussi bien à El Cap que Half Dome, suivie d'une lisière boisée avant les zones de dégagement.
Les sauts de falaise, d'abord peu nombreux et restreints à El Cap, connaissent leur essor avec le film de Carl Boenish, vers la fin des années 70. Sous l'égide de l'U.S.P.A.
(la fédération US), il a popularisé et légalisé l'activité pendant 2 ou 3 mois, sous réserve de certaines conditions qui ne pouvaient pas être respectées par des Californiens ultra-libéraux.
Il y aura alors trop de problèmes tels que le lieu magique se transformant en une vaste poubelle, pour ne pas employer un terme plus odorant, et aussi l'attitude de certains non-écolo refusant de marcher depuis la vallée et arrivant en voiture au plus près du spot par le haut. Sans compter ceux qui ne voulaient pas patienter sur une liste d'attente pour sauter. Il y eut aussi du sauvetage et quelques blessures, mais pas d'accident fatal pendant cette période.
L'U.S.P.A. a alors abandonné l'organisation, devant les nombreuses difficultés. À commencer par les procès intentés par les sautants eux-mêmes, frustrés de ne pouvoir sauter comme ils voulaient. Les autorités du Parc, lassées par tant de mauvaises actions, ont pris prétexte d'un retour de couples d'aigles dans la paroi de El Cap et du désordre créé par les automobilistes qui venaient alors assister aux sauts depuis le fond de la vallée pour interdire définitivement les sauts dans le Parc National des Yosemites.
Les sauts y restent exceptionnels pour ceux qui bravent l'interdit, et à cause de cela, ils prennent depuis une connotation mythique car ils ont vu toute l'évolution de ce sport, depuis les parachutes hémisphériques jusqu'aux wing suits modernes.
Les récents accidents en 1999 de Frank Gambali, figure emblématique du Park qui possédait un palmarès d'une centaine de sauts dans la vallée, et de Jan Davis, dans un très controversé show médiatique de protestation destiné à supprimer l'autorisation, n'ont pas plaidé en faveur d'un changement.
Pour braver l'interdit il faut un bon guide, souvent un local : Les 2 principaux problèmes sont de ne pas se tuer et de ne pas se faire prendre, un merveilleux lavage de cerveau qui abolit le temps.
2 hommes, 2 gabarits : Dave Barlia, athlétique avec des cheveux noirs, un physique qui ne laisse pas les jeunes filles indifférentes, snowboarder de formation et doublure pour les cascades de cinéma d'Hollywood avec près de 30 sauts de falaise en surf, Dave traverse la vie avec cette attitude zen. A côté Andy Wess fait figure de poids lourd du BASE jump, pourvu d'un crâne dégarni et d'un embonpoint de notaire. Il a quand même effectué 98 sauts d'El Cap et s'est fait prendre au 99ème.
Pour son retour dans le Parc, il se fait appeler sous le faux nom de Tom et se déguise en parfait touriste de bananes, afin de ne pas se faire rappeler au doux souvenir des Rangers qui l'avaient quelque peu malmené lors de son arrestation.
Pour une reprise, après 2 ans d'absence, la falaise de Half Dome, située au fond du Parc, est très spéciale, plus attirante que El Cap car placée au fond de la vallée. Elle a l'avantage de retarder l'arrivée des Rangers car son atterrissage ne possède pas d'accès facile par route comme El Cap, sans doute cette falaise a-t-elle été construite dans ce sens.
La rencontre est chaleureuse avec ces figures emblématiques du saut de falaises en Californie et qui courent de rocher en rocher. Ils me prodiguent tous les conseils nécessaires au saut, dans une atmosphère de clandestinité qui, une fois à l'intérieur du Parc, nous fait parler à voix basse ou à messages codés.
Le ranger est partout et c'est l'ennemi juré du BASE jumper, les consignes sont simples : aucun insigne parachutiste à l'intérieur du Parc, tee-shirt, carnets de sauts ou autres, les Rangers pouvant procéder inopinément à la fouille des véhicules en cas de délit d'intention. À la clé, une amende allant jusqu'à 2 000 $, la confiscation et la destruction du matériel, sans compter un séjour directement en prison pouvant aller jusqu'à 3 jours sans passer par la case départ. C'est la mésaventure qu'ont vécue les pourtant prudents et expérimentés BASE jumpers français Jean-Noël Itzstein et Jérôme Ruby en fin d'année 98. Le Parc possède son propre tribunal et sa prison.
J'avais aperçu Half Dome depuis le haut de El Capitan, lors de mon saut de nuit en 1994 (voir ParaMag n°94, mars 1995, article Le mur de la honte) en compagnie de Jean-Noël Itzstein, Jacques Malnuit et Will Oxx. Plus que le souvenir d'une grosse falaise, je garde en mémoire le souvenir d'une apparition, la plus esthétique falaise du monde, le demi-dôme (traduction littérale) est divisé dans toute sa longueur d'un coup de sabre. Certains projets ne viennent jamais à maturité, d'autres mettent des années à prendre forme.
Je garde un attachement particulier à cette orange coupée en deux, dont le saut est légèrement positif de 5 degrés, compensés, bien entendu, par la dérive. D'une hauteur denviron 600 mètres, le dôme offre une douzaine de secondes de chute gazeuse, la couleur orangée agit comme un charme.
Cependant le granit ne rougit et ne révèle toute sa splendeur qu'au couchant, quand les lumières s'allongent et rivalisent de couleur. Si l'exotisme existe en falaise, Half Dome remporte la palme du dépaysement et du jamais vu. Encore faut-il faire le pas et s'enthousiasmer à l'idée d'aller voir où est né le saut de falaise, il manquera quelque chose à tous les jumpers qui ne le font pas : "Take a walk on the wild side..."
Cependant larchitecture de Half Dome, qui n'a rien de complexe, révèle la silencieuse beauté des murs de l'ombre puisque qu'ils ne sont sautés qu'au lever du jour ou à la tombée de la nuit. Ils sont parcourus très près sous voile par les BASE jumpers qui essaient de se fondre ainsi dans la Nature.
Ou encore récemment par les combinaisons à ailes permettant de transformer un saut de puce de 10 secondes en un vol à l'état pur de 40 secondes, pour aller ouvrir son parachute là où les Rangers ne les attendent pas, à l'abri des regards enfiévrés, sur le fameux Mirror Lake, appelé ainsi car il reflète parfaitement le dôme dans ses eaux glacées et stagnantes.
Le Parc avait vu le premier saut d'une combinaison à ailes, celle que John Carta (*) s'était fabriquée lui-même en 1980, et ce n'est donc que justice de voir que les longues dalles de Half Dome sont devenues le baromètre infatigable des délires californiens.
Mais quelle honte se cache sous les regards de ceux-ci, de ne pouvoir dévoiler au monde entier pareil endroit.
Autre point d'intérêt : le Glacier Point, l'un des objectifs les plus faciles d'accès. Il est moins connu, la plus totale confusion a régné lorsque certains BASE jumpers, peu enclins aux sauts "courts" (seulement 300 mètres) ou inhabituels, ont lancé un verdict un peu expéditif sur ce site dont le désavantage est de poser près du village, donc risque d'être visible.
Décidément le Half Dome n'est pas une falaise comme les autres et la vie d'un BASE jumper aux Yosemites n'est qu'une suite d'enchaînements du moins bon au meilleur.
Notre plan était simple, nous attendons la nuit car c'est le moment choisi pour atteindre le sommet, au risque de croiser des rangers sur le chemin d'accès sans les permis requis et contourner les camps de repos. Au total environ 6 heures de marche, les "hommes pressés" qui aiment arriver en haut des falaises en voiture ne peuvent goûter le charme de Half Dome, réservé "aux fous de marche".
Il faut accepter de prendre ces précautions pour réaliser un tel saut. Il sera effectué au petit matin, quand le jour se lèvera sur le haut de Half Dome et que la vallée sera encore plongée dans le noir. Dave m'explique, en habitué des lieux, que cette technique permet de surprendre les Rangers car ils se méfient surtout des nuits de pleine lune, des sauts au coucher de soleil qui permettent aux parachutistes d'avoir la profondeur de la nuit devant eux pour se cacher, tels des loups dans les bois.
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