Nous l'avons annoncé dans notre précédente édition : l'expédition Millénium sur le Pôle Sud ne s'est pas déroulée comme prévue à cause de la météo. Les 2 Français ayant pris part à cette aventure, Mario Gervasi et Jean-Claude Laffaille du club des Eperviers (Nancy-Azelot), sont même restés bloqués pendant près de 3 semaines dans des conditions extrêmes. Nous avons interviewé l'un d'entre eux à son retour du "paradis blanc" : très bronzé, un peu amaigri mais très enthousiaste.



Propos recueillis par Bruno Passe - photos Klaus Renz


Programme initial de l'expédition (dates européennes)

14.12.99 : Cérémonie de départ à Moscou. Les cosmonautes russes offrent un drapeau de Paix provenant de la station Mir.
21.12.99 : Arrivée des participants à Santiago du Chili. Sauts d'entraînement.
22.12.99 : Rassemblement de l'expédition à Punta Arenas au Chili. Départ de l'expédition en Illiouchine 76 (avion gros-porteur russe) vers Patriot Hills, en Antarctique. Mise en place d'un camp sur la base de Patriot Hills, située à 1 500 kilomètres du Pôle Sud.
25.12.99 : Départ des véhicules "snow bugs" de Patriot Hills vers le Pôle Sud. Leur mission est d'installer des stations intermédiaires, de mettre en place notre camp sur le Pôle Sud et d'amener les montgolfières.
26 au 31.12.99 : Programme d'entraînement, d'acclimatation et préparation du matériel.
31.12.99 : Les "snow bugs" arrivent au Pôle Sud avec les montgolfières.
31.12.99 au 01.01.2000 : Programmes pour les télévisions et célébration de l'an 2000. Les parachutistes rejoignent le Pôle Sud en avion (Twin Otter ou DC-3) et y sautent. Survols des montgolfières.
02 au 04.01.2000 : Départ du Pôle Sud avec les "snow bugs" et retour vers Patriot Hills
05.01.2000 : Départ des participants de Patriot Hills vers Punta Arenas avec l'IL-76.
06 au 10.01.2000 : Transport du matériel de Patriot Hills vers Punta Arenas avec l'IL-76.
11.01 2000 : Départs de Punta Arenas.

ParaMag : Nous avons déjà présenté à nos lecteurs les grandes lignes de l'expédition (voir ParaMag n°150 de novembre 99). Peux-tu nous rappeler quel en était le but principal ?
Jean-Claude Laffaille : Avec une quarantaine de parachutistes de 18 pays, nous devions sauter sur le point zéro du Pôle Sud, le soir du 31 décembre. Nous avions tous l'expérience du Pôle Nord les années précédentes. Quelques premières étaient prévues notamment en voile contact, en vol relatif et il y avait également une dizaine de montgolfières. Puis nous devions envoyer 24 messages de paix vers les 24 fuseaux horaires, dans le cadre de l'année internationale de culture de la paix, parrainés par la République de Djibouti (berceau de l'humanité depuis la découverte de Lucie...), et pour fêter le 40ème anniversaire du traité de l'Antarctique.

En réalité, vous n'avez pas eu la possibilité de sauter sur le Pôle Sud. Pour quelles raisons ? Première embûche : l'avion gros porteur russe Illiouchine 76 est un matériel militaire à l'origine. Il s'agissait en fait d'une version "démilitarisée" par le Russe Valera Bouloussof, un des organisateurs de l'expédition. Tout était en règle, mais les tracasseries administratives ont commencé dès que nous sommes arrivés au Chili.
Lorsque nous avons confirmé notre destination polaire, l'autorisation nous a été tout d'abord refusée, conformément au traité de protection de l'Antarctique qui y interdit tout activité industrielle et militaire. En fait l'immatriculation de l'avion était encore militaire et il a fallu "parlementer". Nous avons perdu 3 jours avant même d'arriver en Antarctique ! Une fois sur place, la mauvaise météo s'est installée et nous avons perdu toutes nos chances de sauter comme prévu sur le Pôle Sud, le jour du réveillon de l'an 2000.

En quelques sortes, vous rentrez bredouilles...?
Non, je ne pense pas ! Les Russes ont réussi la performance de poser l'Illiouchine 76 en Antarctique, c'est déjà un exploit en soi. Puis nous y avons effectué le premier largage massif (40 parachutistes) qui comportait lui-même des premières mondiales en vol relatif (par Bob Chris et sa femme Karen) et en voile contact par les 2 Français. Nous sommes maintenant détenteurs d'une sorte de doublet : nous sommes les premiers et - pour le moment - les seuls à avoir réalisé un voile contact au Pôle Nord et au Pôle Sud. Puis Mario Gervasi et moi-même avons effectué le premier saut de montgolfière, le plus près du Pôle Sud.

Comment en êtes-vous arrivés là ?
Lorsque nous avons compris que nous ne pourrions pas sauter sur le Pôle Sud pour la nuit du réveillon, nous avons décidé de sauter sur place, sur la base même de Patriot Hills qui est située à 1 500 km du pôle géographique et à 1 200 mètres au-dessus du niveau de la mer. Là les conditions étaient favorables et nous avons pu procéder à un largage de masse en 2 passages : un premier à 1 500 mètres en automatique pour les Russes, et un autre à 3 500 mètres pour le reste de l'expédition.
Il y a eu un moment d'euphorie avant et après le saut. Toute l'équipe parlait le même langage, nous avions la même religion, un simple regard suffisait à communiquer, le courant passait à fond et on se comprenait tous, quelles que soient nos différences. En Antarctique, Mario et moi-même étions restés à l'heure française. Ça n'a pas grande incidence puisque là-bas le soleil ne se couche jamais à cette période. Ce n'est qu'une fois posés en voile contact à 2 que nous avons constaté l'heure : il était minuit 10 en France, nous venions d'entrer en l'an 2000 !
Les Russes avaient amené un sapin, seul arbre de tout l'Antarctique et nous avons commencé le réveillon : le champagne et la vodka se sont mis à couler au rythme des chansons internationales. Il faisait soudain très chaud !

Une fois passé ce long réveillon, vous n'avez pas renoncé au Pôle Sud ?
C'est la mauvaise météo persistante qui nous a poussé à y aller en voiture pour tenter le saut, l'avion qui devait nous larguer étant cloué au sol. Les "snow bugs" (voitures des neiges équipées de gros pneus basse pression et fabriquées spécialement par les Russes avec des moteurs Peugeot, en fait des prototypes) étaient prévues pour acheminer les 10 montgolfières au Pôle et ensuite ramener toute l'expédition. Ces engins n'étaient pas parti au moment prévu, toujours à cause de la météo. Le 2 janvier, nous avons donc organisé un raid composé de 8 voitures en direction du Pôle Sud, soit 1 500 kilomètres pour l'aller et autant pour le retour.
Le nouveau plan était donc d'y aller en voiture, de sauter sur place avec le Twin Otter et de rentrer en voiture. Nous (les 2 Français) avions également négocié de pouvoir sauter depuis une des montgolfières.
Mais à 200 kilomètres du Pôle, après 4 jours de raid, la météo continuant de se dégrader et les voitures tombant en panne les unes après les autres, nous avons décidé de sauter. Le saut s'est déroulé le 8 janvier aux Thiel Montains, une zone de crevasses et de montagnes assez dangereuse. Seuls 3 voitures et une montgolfière ont pu ensuite rejoindre le Pôle avec quelques représentants des diverses nationalités. Ils ont pu faire un survol du Pôle Sud en montgolfière.

Revenons sur ce saut de montgolfière, le plus près du Pôle Sud. C'était plutôt symbolique ?
Oui c'est vrai, il fallait "sauver les meubles". Mais c'était un saut difficile, dans des conditions extrêmes. La température était de - 24 degrés au sol, le plafond limité à 700 mètres et le vent de 10 à 15 noeuds. À cause de la dérive qu'il génère, le vent est gênant lorsque l'on saute de ballon sur une zone de crevasse au beau milieu de l'Antarctique ! Nous avons effectué un repérage autour de la zone de largage et nous ne sommes pas monté plus haut dans la couche pour ne pas quitter cette zone repérée, au risque de tomber dans une crevasse. Nous nous sommes posés près du campement, en sécurité. Ensuite nous sommes restés bloqués 4 jours sur place, toujours aux Thiel Montains, à cause de la tempête.
Finalement 3 voitures seulement ont pu atteindre le Pôle Sud, mais il n'y avait pas de place pour tout le monde et nous sommes en fait restés aux Thiel Montains, nous avons été récupérés au passage sur le chemin du retour. Nous avons du abandonner du matériel sur place (dont nos parachutes !) pour alléger les véhicules et assurer le retour. Nous avons laissé un véritable dépôt, une "cache" comme on dit en Antarctique, balisé et repéré par G.P.S.

C'est donc à Patriot Hills que vous êtes restés bloqués en final ?
Effectivement, nous avons eu une décision à prendre avant de quitter l'Antarctique. À l'aller, l'Illiouchine 76 avait effectué 2 voyages pour mettre en place toute la logistique (matériel, voitures, tentes et 75 personnes dont les 40 parachutistes). Par conséquent, c'était la même organisation au retour.
Lorsque nous sommes revenus de Thiel Montains le 13 janvier, le premier gros groupe était déjà prêt à partir. Pour certains, c'était d'ailleurs un besoin vital à cause de leur état de santé. Étant donné la distance à parcourir, il fallait compter 22 heures d'attente entre les 2 voyages. Il faut préciser que Patriot Hills n'est qu'une piste d'atterrissage naturelle en glace, avec un campement provisoire.
Les conditions météos s'étant améliorées, cela nous laissait le temps de retourner au Pole sud avec le Twin Otter pour tenter le fameux saut. C'était le 14 janvier, nous aurions dû être rentré au Chili depuis le 8 janvier, nous étions donc déjà en retard et il n'y eut que 7 volontaires pour cette opportunité de dernière minute : les 2 Français, 3 Américains et 2 Russes.

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Couverture médiatique

Télévision : Canal +, LCI, M6, France 2 (interview en direct grâce au téléphone satellite Irridium, avec diffusion d'images d'archive), France 3 et TV5.
Presse : Le Point, le Figaro, Paris Match.


Anecdotes Antartique

- La base américaine installée en permanence à proximité du pôle géographique accueille en moyenne 250 personnes. Ce sont des scientifiques qui effectuent des recherches sur les micros organismes et du carottage. Ils ont notamment trouvé un lac à 2 800 mètres de profondeur sous la glace. Il y a un seul Français parmi eux, la majorité est américaine. Ils sont en place pour un an. Il n'y a aucune possibilité de se baser sur place pour sauter, les accidents mortels survenus en 1997 ne favorisent pas les choses.

- En Antarctique, les notions de temps et de distances sont complètement faussées. Durant 6 mois, le soleil ne se lève pas et à l'inverse il ne se couche pas pendant l'autre partie de l'année. Il est à 45 ° au-dessus de l'horizon, il tourne toujours à la même hauteur. Il faut essayer de manger et dormir à la même heure, pour ne pas trop dérégler le cycle biologique.

- Parmi les participants américains, il y avait quelques personnalités remarquables : les astronautes James Lowel (Apollo 13) et Owen Garriott (Skylab 2) étaient venus chercher des météorites pour la N.A.S.A., ils en ont trouvé 19. B.J. Worth, organisateur du récent record de grande formation VR en Thaïlande a également pris part à cette expédition.

- Il a fallu évacuer un Autrichien en urgence suite à des problèmes de reins, dus à l'alimentation.


L'Antarctique en quelques mots et quelques chiffres

- Plusieurs pays dits "possessionnés" détiennent une portion de l'Antarctique, dans l'hémisphère sud. Parmi eux :
la Grande-Bretagne, la Norvège, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili, l'Argentine et aussi la France. Ces portions sont découpées en sorte de quartiers de tarte, mais de parts inégales.

- Le statut du continent est régi par le traité de l'Antarctique de 1959 et par le Protocole de Madrid qui protège l'environnement (interdiction de laisser des déchets).

- Superficie (en km2) : 13 000 000, dont 140 000 (îles), 200 000 (roche nue), 12 160 000 (continent sous la glace), 2 400 000 (plate-forme continentale libre de glace), 1 600 000 (plate-forme de glace flottante).

- Altitude moyenne : 2 300 mètres - maximale : (glace) 4 270 mètres, (roche, Mont Vinson) 5 140 mètres.

- Températures : minimum absolu - 88,3°, minimum moyen - 58°


Remerciements

Mario et Jean-Claude remercient tous les gens qui les ont soutenus et aidés :
- Parafun qui a préparé le matériel (parachutes)
- I.T.S. Info Télec Service à Toulouse et les parachutistes d'essai de la S.T.A.T. qui ont fourni le matériel d'alimentation en oxygène
- Les casques E.L.N.O. (modèle proposés pour les pilotes de Rafale)
- Les lunettes de chute E.L.S. (protection U.V.)
- A LO TEC (basé à Vannes) qui a fourni le matériel de survie, les tentes et les sacs de couchage
- Les rations Lyofal, devenues réellement vitales les derniers jours
- Rossignol qui a élaboré spécialement pour l'expédition les combinaisons et les équipements grand froid
- Nexte Destination qui a fourni les G.P.S. Magellan indispensables pour le raid en voiture
- Irridium et le réseau Ogara qui ont fourni respectivement le téléphone et la liaison satellite, indispensables pour garder le contact journalier avec les médias et surtout pour organiser notre évacuation !
- La F.F.P. le centre de Nancy-Azelot et les collectivités régionales.