Les principes de base d'une position stable en chute ont déjà été posés. Cependant, la relation entre stabilité et manoeuvrabilité mérite que l'on s'y intéresse davantage. Comprendre et utiliser cette relation permet le passage à une pratique plus pointue du parachutisme et c'est donc un élément important au service du développement du parachutisme en tant que sport.

      Par Vladimir Milosavljevic et Tamara Koyn
      Traduction Jeff Ripoche


a stabilité est définie comme la tendance d'un corps à retourner par lui-même dans son état initial d'équilibre, après qu'une force lui a été appliquée. Un corps instable a tendance à se mettre en mouvement et à s'éloigner de sa position initiale quand une force lui est appliquée. Stabilité et manoeuvrabilité sont deux notions contraires. En d'autres mots, si vous chutez dans une position plus stable (tous les autres facteurs restant inchangés), vous ne pouvez plus vous déplacer ou tourner aussi vite. Si vous chutez dans une position moins stable, vous pouvez vous déplacer ou tourner plus vite !

Pour aller plus loin, il est nécessaire de passer en revue quelques concepts concernant le comportement d'un corps en chute libre. Quand la vitesse limite est atteinte, un corps est exposé au vent relatif qui s'oppose à la gravité et fait que la vitesse est constante plutôt qu'en permanente augmentation. Autrement dit, le corps est porté par la résistance de l'air. On peut montrer que cette résistance est équivalente à une force appliquée en un point unique du corps, appelée en aérodynamique le "centre de poussée" (C.P.), point où l'on peut considérer que s'appliquent toutes les forces aérodynamiques. Pour les besoins de cet article, nous l'appellerons par la suite "point d'ancrage".

Si le centre de gravité (C.G.) se trouve au-dessous du "point d'ancrage", on dit qu'un corps est stable. Si une force ou à un moment est appliqué à ce corps, il oppose une résistance au déplacement et tente de se stabiliser dans sa position originale (une force peut être définie comme une action capable d'imprimer un mouvement de translation à un corps et un moment comme une action capable d'imprimer un mouvement de rotation).
Cette tendance est d'autant plus prononcée que la distance entre le centre de gravité et le "point d'ancrage" est grande. Plus le "point d'ancrage" est situé loin au-dessus du centre de gravité, plus un corps est stable et donc moins manoeuvrable. C'est le cas parce que le centre de gravité possède alors un plus grand moment de résistance. En chute, plus nous sommes stables, plus cette résistance est importante et moins nous pouvons nous déplacer ou tourner rapidement.

Si un parachutiste descend son "point d'ancrage", la distance entre celui-ci et le centre de gravité diminue. Par conséquent, le moment de résistance diminue aussi et il y a moins de résistance quand une force est appliquée pour se déplacer ou tourner. Le parachutiste est moins stable, mais il peut bouger plus vite et plus facilement, le même appui sur le vent relatif provoque un mouvement plus rapide.
Si le "point d'ancrage" d'un corps est descendu jusqu'à être confondu avec le centre de gravité, ce corps n'a plus du tout tendance à revenir vers son état d'équilibre initial. Ce cas est appelé stabilité neutre. S'il n'y a pas de frottements, ce corps peut se mouvoir librement, sans résistance, quand une force lui est appliquée. En d'autres mots, sa manoeuvrabilité est encore plus grande.
Enfin, si le "point d'ancrage" est placé au-dessous du centre de gravité, un corps devient instable. Toute force appliquée ailleurs qu'au "point d'ancrage" déplace ce corps, lequel n'a pas tendance à retourner dans son état d'équilibre initial. Au contraire, le moment ainsi créé conduit le corps à se trouver dans une nouvelle position d'équilibre. Plus la distance entre le "point d'ancrage" et le centre de gravité est grande et plus cette tendance à changer de position d'équilibre est marquée. Dans cette configuration instable, la manoeuvrabilité est encore plus fortement augmentée. On a besoin de moins de force (F) pour réaliser un mouvement. Il suffit de donner l'impulsion initiale et le centre de gravité fait le reste.

Lorsque quelqu'un bouge un de ses membres, le centre de gravité se déplace. Toutefois, le "point d'ancrage" se déplace encore plus et on peut négliger le déplacement du centre de gravité. Par la suite, nous ferons donc l'hypothèse que ce dernier reste toujours au même point et ne se déplace pas par rapport au corps. Les avions présentent la même relation entre stabilité et manoeuvrabilité. Pour effectuer une manoeuvre, un avion plus stable qu'un autre a besoin d'appuyer plus sur l'air avec ses surfaces de contrôle. Ou bien, pour le même appui sur l'air, un avion moins stable est capable de manoeuvres plus rapides et plus brusques. Les mêmes concepts s'appliquent au parachutisme. On a besoin de moins d'appuis sur l'air pour effectuer un déplacement ou une rotation lorsque l'on se trouve dans une position de chute moins stable. Cela nous permet de voler plus efficacement. Si nous diminuons encore plus notre stabilité, ce phénomène est encore plus prononcé jusqu'à atteindre le point pour lequel nous ne sommes plus capables de contrôler notre position instable.

Implications pour le parachutisme

Quelle que soit la discipline, toute manoeuvre réalisée en chute est profondément affectée par ce lien entre stabilité et manoeuvrabilité. En effet, toute manoeuvre est effectuée par un changement de la forme de notre corps. Les parachutistes peu expérimentés se placent dans la position de chute la plus stable possible. Avec l'expérience, ils découvrent et apprennent de façon inconsciente à exploiter une position de chute moins stable afin d'augmenter leur manoeuvrabilité. Ce phénomène s'accentue avec le temps et la pratique. Les parachutistes les plus expérimentés contrôlent leur corps et leur équilibre de sorte qu'ils peuvent voler dans les configurations les plus instables, atteignant pratiquement de cette manière le degré maximum de manoeuvrabilité. L'apprentissage du vol dans une position instable se fait au cours des sauts, cela nécessite donc du temps en l'air puisqu'il n'est pas possible de s'entraîner à ce type d'exercices au sol.

Vol relatif

Les relativeurs confirmés tirent parti d'une position instable pour se mouvoir plus rapidement entre les points. En fait, quelques compétiteurs vont même jusqu'à voler avec les mains et les coudes en dessous du niveau des épaules ou de la poitrine (ils sautent avec du poids de sorte que cela ne diminue pas leur taux de chute). Cela diminue leur stabilité et donc les rend plus rapides.
Parce qu'un relativeur présente une surface importante au vent relatif, il lui est possible d'être en équilibre sur le dessus d'une "bulle" d'air, avec son "point d'ancrage" au-dessous du centre de gravité, et ce, sans mouvement parasite. En équilibrant cette position instable, un parachutiste peut manoeuvrer plus rapidement et au moment voulu. Afin d'explorer ces sensations de manoeuvrabilité augmentée par diminution de la stabilité, vous pouvez réaliser vous-même cette expérience. Premièrement, faites une manoeuvre quelconque, tour ou déplacement en translation, avec les mains en haut, comme ce serait le cas si vous cambrez fort. Essayez alors d'enregistrer la vitesse de votre transition ou de votre tour. Refaites ensuite la même manoeuvre mais cette fois avec les mains et les coudes baissés en dessous du niveau des épaules. Notez de nouveau la vitesse de la manoeuvre. Pour le même appui sur l'air, vous remarquerez que cela va plus vite. Au cours des expériences, vous remarquerez aussi que si vous voulez aller plus lentement dans une position instable, il vous faudra moins appuyer sur l'air que dans une position stable. Cet exercice illustre comment vous pouvez rendre votre vol plus efficace grâce à l'utilisation d'une position plus instable.

Dérive

Une diminution de la stabilité de votre position de dérive est obtenue en amenant les épaules vers l'avant, en baissant les mains et en montant les fesses, vous pouvez augmenter de manière significative votre vitesse horizontale, tout en gardant une vitesse verticale constante ou même plus faible. Ceci augmente votre finesse. Toutefois, décambrer encore plus pour être en position plus instable (de telle sorte qu'un passage sur le dos est facile) n'augmentera pas plus la vitesse horizontale à cause de la traînée supplémentaire induite qui s'oppose au mouvement vers l'avant. Pourtant, le taux de chute diminuera et la finesse en sera donc encore augmentée. Autrement dit, un petit peu de cambrure en moins augmente sensiblement la vitesse horizontale puisque la traînée dans le plan horizontal est négligeable. Pour obtenir, la finesse maximale, le "point d'ancrage" doit se trouver au-dessous du centre de gravité (cette technique de dérive peut également être utile pour augmenter la distance horizontale parcourue dans le cadre de sauts de BASE).

Voltige

Les voltigeurs qui volent "en réduction" profitent tout le temps de la manoeuvrabilité supplémentaire permise par une position plus instable. Les mains et les jambes sont alors positionnées au-dessous du torse. Dans cette position, la traînée au-dessous du centre de gravité est augmentée. Ceci place le "point d'ancrage" au-dessous du centre de gravité, expliquant la maîtrise nécessaire pour seulement réussir à garder cette position.
Un voltigeur vole avec le "point d'ancrage" le plus bas possible, sans passer sur le dos, par rapport à son centre de gravité. Cette technique permet d'effectuer des tours et des loops plus rapides. Il ne serait pas possible d'aller aussi vite dans une position stable.

Freestyle

En chute, une rotation autour d'un axe horizontal, comme un tonneau, une roue (cartwheel) ou un loop, n'est possible que si le "point d'ancrage" est au-dessous du centre de gravité. On peut remarquer qu'une rotation qui ne change que le cap (autour d'un axe vertical), une pirouette ou un tour, peut être réalisée même quand le "point d'ancrage" est au-dessus du centre de gravité. Les pratiquants du freestyle qui gardent ceci à l'esprit sont mieux à même de trouver une chorégraphie pour les transitions entre les figures.
Un freestyleur partant d'une position stable n'arrive pas à lancer un salto arrière tendu (layout backloop) sans regrouper ou bien casser son corps. À partir d'une position face au sol, il est nécessaire de rentrer un peu les jambes et de casser un peu le bassin pour abaisser le "point d'ancrage" et enclencher la manoeuvre.
Par contre, à partir d'une position verticale tête en haut, le "point d'ancrage" est déjà au-dessous du centre de gravité et un freestyleur peut envoyer un salto arrière tendu (layout backloop) tout en gardant un corps droit et sans ramener un membre ou casser le bassin.
Une transition qui fait passer d'une position instable à une position stable sera plus facile à réaliser. Lancer un mouvement avec vrille, roue ou loop exige que le "point d'ancrage" soit au-dessous du centre de gravité. Si cela n'est pas déjà le cas, un freestyleur devra inventer un mouvement préalable esthétiquement plaisant dont le but sera de placer le "point d'ancrage" au-dessous du centre de gravité avant d'enchaîner sur la suite. Pour les compétitions de freestyle, Tamara utilisait une combinaison avec du cordura sur les avant-bras et le bas des jambes afin, entre autres utilités aérodynamiques, d'abaisser le "point d'ancrage" comme elle le désirait et de profiter d'un vol plus instable pour exécuter diverses manoeuvres.

Freefly

Le vol tête en haut ou tête en bas est plus instable, c'est pourquoi l'apprentissage du freefly est plus exigeant que celui du vol relatif. Les manoeuvres sont plus rapides et ce n'est pas seulement dû aux vitesses de chute plus élevées mais aussi à l'utilisation de positions de chute plus instables.
Dans "The Art of vRW; The Way of Freefly" ("L'art du vol relatif vertical, la voie du freefly", voir ParaMag n*139), Pat Works aborde la question de la stabilité en freefly. En présentant une surface plus ou moins importante du haut (bas) du corps au vent relatif lorsqu'on est tête en haut (bas), un freeflyer peut contrôler la position de son "point d'ancrage". Plus ce dernier est haut et plus la position est stable, plus il est alors facile pour des freeflyers débutants d'explorer les mouvements tête en haut et tête en bas. Par exemple, en écartant les jambes le plus possible et en laissant les bras le long du corps (ou en les ramenant sur la poitrine), on fait remonter le "point d'ancrage" et il est plus facile de contrôler la position tête en bas.
Avec plus d'expérience et une technique plus affirmée, les freeflyers confirmés tirent le meilleur parti de positions de plus en plus instables. Ainsi Philippe Vallaud annonce que ses tours ou pirouettes en chute debout sont plus rapides quand il place ses mains aussi bas que possible. Si vous êtes un freeflyer expérimenté, faites le test suivant. Faites des tours ou des pirouettes tête en bas en utilisant seulement les jambes. Essayez d'abord cela avec les bras le long du corps. Répétez la manoeuvre avec les mains au-dessus de la tête comme si vous serviez deux grandes assiettes dans un restaurant. Faites en sorte de ne changer que la position des bras, de garder les mains à la même distance de la colonne vertébrale qu'avant et, enfin, de faire un mouvement de jambes identique pour enclencher la rotation. Vous devriez alors sentir une différence notable dans la vitesse des pirouettes ou des tours.

Conclusions générales

Voici quelques conclusions générales dont vous pourrez vous souvenir afin de comprendre et de profiter de l'augmentation de manoeuvrabilité rendue possible par le vol en position instable. Premièrement, il n'est pas possible de manoeuvrer plus rapidement si vous ne passez pas à une position plus instable.
Deuxièmement, plus vous augmentez la traînée au-dessous de votre centre de gravité, plus vous abaissez votre "point d'ancrage". Ceci diminue votre stabilité, et plus celle-ci diminue, plus vous devenez manoeuvrant. Au contraire, plus vous augmentez la traînée au-dessus de votre centre de gravité, plus vous élevez votre "point d'ancrage", ce qui augmente votre stabilité et donc vous rend moins manoeuvrant. Troisièmement, le degré de stabilité (d'instabilité) est fonction de la distance à laquelle se situe le "point d'ancrage" au-dessus (au-dessous) du centre de gravité.
En termes de position du corps, on peut dire que la stabilité est plus grande quand une surface plus convexe est présentée au vent relatif. Par exemple, en cambrant, on présente une surface convexe au vent relatif. La position est plus instable quand une surface concave est présentée. Un exemple de surface concave est le cas d'une position parachutale. Cette règle générale devrait vous donner une idée de l'aspect que devrait avoir le corps en chute afin d'obtenir le degré de stabilité désiré. Vous pouvez penser aux bras et aux jambes comme les plumes d'une flèche et en les utilisant vous pouvez modifier votre stabilité à volonté.

Observations finales

En prenant connaissance de ces concepts, un parachutiste peut immédiatement en tirer parti et donc progresser plus vite. Les connaissances théoriques sont toujours un raccourci formidable pour apprendre plus de choses en consommant moins de temps de chute, soit moins de sauts et moins d'argent. Si vous possédez cette base théorique, vous pouvez délibérément et consciemment ajuster votre position en chute et ainsi obtenir les résultats désirés. Plus important encore, vous devriez savoir quels sont vos objectifs parachutistes et ce que vous voulez obtenir de la position dans laquelle vous volez.
Les caractéristiques d'une combinaison de sauts (et leur modification) aident aussi à porter la stabilité au niveau désiré. Les combinaisons pour les débutants peuvent être conçues pour que le "point d'ancrage" reste autant que possible au-dessus du centre de gravité pour aider ces derniers à être stables en chute. Ils peuvent ainsi faire plus d'erreurs sans pour autant perdre leur stabilité et donc apprécient plus leurs débuts, avant d'apprendre à contrôler des positions plus instables. Il existe de nombreux exemples de cette démarche. Les combinaisons de chute assis et de skysurf ont des ailes aux bras. Les surfeurs débutants commencent avec une petite planche avant de passer à une planche plus grande. Les parachutistes expérimentés peuvent donc utiliser des équipements qui diminuent effectivement la stabilité. Par exemple, les voltigeurs portent une combinaison lisse spéciale et de larges gants.
Nous espérons vraiment que cet article inspirera des fabricants de combinaisons afin que des nouveaux produits soient créés et incitera des parachutistes à considérer de nouvelles techniques de mouvement en chute.
L'air ne tient pas compte de qui chute, l'air ne reconnaît que des positions du corps et des formes exposées au vent relatif. Notre théorie sur la stabilité du parachutiste soumet des explications à votre étude... et nous sommes persuadés qu'une fois que vous l'aurez assimilée et que vous l'utiliserez en l'air, vos mouvements en chute seront plus efficaces et plus faciles à accomplir !



153 février 2000

Equipé d'une combinaison à doubles
ailes, ce chuteur explore les limites
de sa stabilité en position debout.



 
A propos des auteurs

Vladimir Milosavljevic
(28 ans) a fait 200 sauts un peu partout dans le monde depuis ses débuts en 1989, il fut en particulier membre de l'expédition parachutiste sur le pôle nord en 1995. Vladimir est pilote professionnel d'avions multimoteurs aux U.S.A. avec plus de 250 heures de vol à son actif et il a un diplôme d'ingénieur en ingénierie mécanique du département d'aéronautique de l'université de Belgrade en Yougoslavie. Vladimir poursuit des recherches sur la manoeuvrabilité du corps humain en chute libre depuis 1993.

Tamara Koyn
possède un diplôme de professeur de danse (options science du mouvement et production de film/vidéo) obtenu à Webster University en 1991. Tamara explore les possibilités du freestyle depuis 1985 avec plus de 1 800 sauts dans cette discipline. Elle est également une adepte enthousiaste du vol vertical qu'elle a pratiqué au cours d'environ 500 sauts. Tamara assure la mise à jour de son site web à: http://www.Koyn.com/CloudDancer

 



En amenant les épaules vers l'avant,
en baissant les mains et en montant
les fesses, on augmente de manière significative sa vitesse horizontale. Démonstration ci-dessus par un champion du monde de vol relatif !



Philippe Valois en voltige. La position de "réduction" demande une grande maîtrise.



Ce chuteur assis est parfaitement ancré dans l'air grâce à ses ailes frontales.



Béatrice Herczog en transition durant un saut de freestyle.



Le vol tête en haut ou tête en bas est plus instable, c'est pourquoi l'apprentissage du freefly est plus exigeant que celui du vol relatif.



Pourquoi une roue tourne-t-elle, même en chute ? Vous devriez être à même de répondre, après avoir lu cet article...