ParaMag : En plus des risques liés à ce genre de sauts, il y a actuellement le risque d'être pris pour un copieur, quelques mois seulement après la disparition de Deug. Qu'en penses-tu ?
Jean-Noël Itzstein : L'idée de sauter avec les ailes m'est venue en Norvège, lors du tournage d'un film pour Sector, en compagnie de Patrick de Gayardon. Je l'ai filmé pour son premier saut de BASE jump avec les ailes. Je suis parti juste au-dessus de lui ; après 4 ou 5 secondes de chute il a tendu complètement ses ailes. Une seconde plus tard, je ne le voyais plus. J'ai terminé le saut tout seul. Une fois sous voile je me demandais où il était passé et je l'ai vu ouvrir environ 15 secondes après moi, mais 300 mètres devant, du délire ! Je voulais essayer et je lui en ai parlé : comme je savais coudre, il m'a proposé de travailler de mon côté. Cela ferait progresser plus vite la combinaison. Il m'a simplement donné les conseils de base et il m'a expliqué les pièges à éviter.
Quand as-tu commencé à sauter avec les ailes ?
En novembre 97 à Deland. Avec les tours de nuages qu'il y a là-bas, je me suis bien amusé malgré ma finesse de 1.5 environ. Par la suite, j'ai demandé conseil à un ami qui travaille chez ITV. Il s'agit de Patrick Petrini qui met au point les voiles chez eux. Il totalise environ 100 sauts d'avion et il m'a beaucoup aidé. C'est ensemble que nous avons conçu ma deuxième combinaison. Je l'estime à une finesse de 2.5 environ.
Quelles sont les différences par rapport à la combinaison de Patrick de Gayardon ?
Les bras sont positionnés plus en avant, donc avec plus de surface portante. Le bord d'attaque est lui aussi différent, tout comme certains autres détails. Après des sauts à Chamonix en juin dernier, à ras des montagnes (aiguille du Midi et col des Drus), nous avons changé l'aile des jambes. Nous avons abandonné l'idée du déflecteur qui avait déjà causé des problèmes à Deug avant son accident mortel. Nous avons donc remonté l'aile de jambes vers le sac afin de recoller l'écoulement venant du sac. La prochaine combinaison devrait voir le jour bientôt avec une intégration complète du parachute dans le profil. Par rapport à Deug, je vole plus lentement sur trajectoire mais avec un meilleur taux de chute. Je pense que c'est la seule façon d'espérer se poser avec la combinaison. Deug volait à plus de 120 noeuds, cela me parait difficilement maîtrisable à l'approche du sol.
Combien totalises-tu de sauts avec ces combinaisons ?
Environ 200, dont une quinzaine à Chamonix, une dizaine à l'aiguille du Midi et deux aux Drus. Nous travaillons actuellement sur une combinaison qui devrait atteindre 3 ou 4 de finesse. Une autre combinaison "pour tout le monde" devrait également voir le jour, mais avec une finesse de 1.5 seulement car ce sera un modèle très simple.
Mais il ne suffit pas d'avoir le matériel pour bien voler, il faut aussi la technique...
Les sauts à Chamonix ont été bénéfiques pour ma technique de vol. Le passage vers l'aiguille du Midi se faisait à environ 50 mètres en latéral de la paroi et environ 50 mètres du sol. J'ai volé dans cette configuration durant environ 7 à 8 secondes pendant lesquelles je ne pouvais pas ouvrir mon parachute, juste voler en suivant ma trajectoire. Ensuite, soit je me dirigeais directement vers la vallée, soit je continuais à longer un éperon jusqu'au pied de la face, entre 100 et 200 mètres de hauteur sol. Cela durait environ 1 minute durant laquelle j'avais l'impression de voler complètement. L'ouverture se fait alors aux environs de 200 mètres.
Ce jeu là a déjà coûté la vie à certains, cela ne te fait pas peur ?
Les sauts près du relief demandent une bonne expérience du BASE jump. Les incidents et accidents survenus durant le tournage du film de Sector avec les wing suits le montrent. Je totalise un peu plus de 700 sauts de BASE et je possède donc les repères de hauteur nécessaires pour voler entre 100 et 200 mètres du sol pendant 1 minute. Lors de mes premiers sauts sur l'éperon, j'avais l'impression d'être à la hauteur d'ouverture à chaque instant. J'utilise pour ce type de sauts un sac-harnais Racer modifié au niveau du secours et du système de déploiement de la voile principale (grosse taille).
Tu parles de sauts en BASE jump avec les ailes. As-tu déjà essayé ?
Pour ce qui est du BASE, j'ai fait quelques sauts depuis une falaise en Italie. C'était avec une combinaison au calage un peu différent de celui que j'utilise en sauts d'avion. Sur ce dernier modèle, l'aile étant très proche de la poignée, celle-ci est recouverte par une partie du bord de fuite ! Je vais arranger cela car ça n'est pas très agréable...Il est vrai que le fait de rattraper d'autres pentes et falaises ouvre la porte à des BASE jumps où l'on ne pourrait chuter que quelques secondes. Certains BASE jumpers pensent que cela révolutionne les grands sauts de BASE. Pour moi, ce n'est qu'une étape nécessaire pour voler de plus en plus près des reliefs. Je pense de cette manière pouvoir acquérir l'expérience pour suivre des pentes à faible altitude et travailler une approche très basse. Attention : pour ce type de sauts, les normes changent. "Très bas" a ici une autre définition que pour les sauts d'avion. Lorsque je parle de "très bas", c'est aux environs de 50 mètres du sol, voir plus bas)
À mon avis le BASE jump avec ces ailes est seulement intéressant pour atteindre d'autres falaises et récupérer de la hauteur sur un saut à 300 mètres par exemple. Cette combinaison est contraignante pour l'ouverture et il m'est déjà arrivé de devoir libérer mes ailes pour résorber des twists avec une autorotation. C'est pourquoi j'utilise un parachute spécial pour les sauts dans les montagnes.
Pour en revenir aux sauts d'avion, penses-tu que l'utilisation des ailes peut s'ouvrir sur un plus grand nombre de pratiquants ?
Beaucoup de gens ont envie de sauter avec les ailes. Cela présente juste une contrainte supplémentaire au moment de l'ouverture, un peu comme avec un surf. Les sauts dans les montagnes et près des reliefs ne sont pas accessibles à tout le monde, idem pour les sauts de BASE. C'est pourquoi avec ITV nous allons peut-être développer cette combinaison simple à utiliser, pour s'amuser en sautant d'avion. Mais je poursuis les recherches sur la mienne pour augmenter la finesse, cela me permet de voler plus près du relief et peut-être un jour de le toucher délicatement...! Nous n'en sommes qu'au début.