Par Paul Grisoni - Photos Alain Burnel
La formation P.A.C. (progression accompagnée en chute), qui existe depuis une quinzaine d'années, a constitué une évolution majeure dans l'apprentissage de la chute libre. Elle a permis de réduire la durée de la progression et d'atteindre beaucoup plus rapidement une aisance en chute. Toutefois, si cette méthode a connu certaines améliorations (sortie non accrochée de l'élève plus tôt dans la formation, sortie de l'avion face aile), ces dernières n'ont jamais concerné les tout premiers sauts. Il s'agit pourtant d'une phase particulièrement importante de l'apprentissage.
Je fais en moyenne 300 sauts P.A.C. par an, en plus de mon activité sportive, et j'ai souvent constaté, lors du premier saut de l'élève, que la multitude de tâches à effectuer au moment d'un stress important aboutissait à un manque de lucidité et à une exécution des exercices largement perfectible.
J'ai fait part de ces constatations à certains "pros" de la P.A.C., tous ont constaté le même phénomène. Après avoir réfléchi au problème, j'ai essayé d'obtenir de meilleurs résultats en modifiant le contenu de la formation et la technique en vol. Lors du premier jour de stage, les élèves doivent assimiler beaucoup d'informations. Mon souci a été d'alléger le programme tout en conservant l'essentiel. Dans la méthode P.A.C. traditionnelle, la procédure de sortie est très codifiée et relativement complexe. J'ai préféré la simplifier en privilégiant l'efficacité, tout en garantissant la sécurité.
D'autre part, le déroulement du saut comporte un nombre important de manoeuvres qui doivent être apprises par coeur. J'ai choisi , et c'est à mon avis l'innovation la plus fondamentale, de libérer le mental de l'élève en lui montrant en miroir, tout au long de la phase de chute, chaque mouvement, exercice ou correction de position à effectuer (cf. tableau de comparaison méthode P.A.C. traditionnelle / méthode P.A.C. miroir). Pour illustrer mon propos de manière plus détaillée, je vais maintenant essayer de décrire un saut dans le cadre de cette nouvelle approche.
Tout d'abord, au sol, j'explique, avec l'utilisation de planches à roulettes, le principe de base de la formation : l'élève devra essayer de reproduire les mouvements que je ferais en face de lui durant le saut, l'instructeur côté poignée étant chargé de maintenir la stabilité. Ensuite, en vol, après la phase de sortie, je lâche l'élève pour venir me placer face à lui. Bien sûr cette manoeuvre n'est effectuée que si la stabilité de la formation le permet. Dans le cas contraire, c'est la méthode P.A.C. traditionnelle qui prend le relais.
Si la formation est stable, l'instructeur côté poignée ne lâche jamais l'élève qui va effectuer les mouvements que je lui indique et corriger sa position en fonction de mes attitudes et des indications visuelles que je lui donne. Par exemple, si l'élève a les jambes trop écartées il faut se placer en "cater" devant lui en lui faisant signe de regarder les jambes qui se resserrent. Ainsi, pour chacun, le programme sera vraiment personnalisé et adapté lors de chaque saut.
Dans la méthode P.A.C. traditionnelle, on constate souvent que l'élève ne réagit pas ou mal aux signes qui fusent devant lui. Avec ma méthode, l'élève se sent davantage en sécurité. Il fait naturellement plus confiance aux indications d'un moniteur expérimenté, qu'il voit devant lui, plutôt qu'à la mémorisation personnelle d'une succession de gestes où, avec la tension nerveuse, tout a tendance à se mélanger voire à disparaître.
La réaction de l'élève à chaque indication est plus facile, le "miroir" lui permet de visualiser les attitudes à corriger et réagir de manière adaptée à : poignée témoin, cambrure, position des jambes, position des bras (cette dernière est difficile à faire corriger dans la P.A.C. traditionnelle).
La sécurité est toujours absolue. Les deux instructeurs continuent à partir avec l'élève et assurent la stabilité initiale. L'instructeur côté poignée conserve toujours le contact avec l'élève et gère l'ouverture du parachute de ce dernier. Le miroir permet aussi d'évaluer encore mieux le niveau de lucidité de l'élève.
J'attire l'attention du pédagogue et du formateur sur le fait que ces aménagements de la méthode P.A.C. traditionnelle ne sont pas de simples "astuces techniques", mais s'appuient sur un changement plus fondamental, au niveau même du processus d'apprentissage. L'objectif est de passer d'une logique de la succession rationnelle des opérations à celle du mimétisme beaucoup plus naturelle et spontané. Un peu sur le schéma du mode d'acquisition de l'enfant.
Un autre point intéressant est la complémentarité plus étroite, plus intense, que cette méthode réclame de la part des instructeurs. Au lieu d'un travail symétrique, chaque rôle est enrichi et acquiert une spécificité qui demande un niveau d'exigence beaucoup plus grand. En forçant un peu le trait, on pourrait presque dire que le travail d'équipe atteint ici une nouvelle dimension. L'instructeur côté poignée, outre son rôle dans la stabilité de la formation, doit contrôler l'exécution des mouvements et peut indiquer à l'instructeur en miroir qu'il faut renouveler un exercice (poignée témoin ou défaut de position). Pour l'instructeur en miroir, ce nouveau type de formation offre un challenge pédagogique et technique évident.
J'ai déjà testé cette méthode de nombreuses fois et d'autres instructeurs P.A.C. l'ont déjà expérimentée. Nos impressions, celles des élèves ainsi que la progression objective de ces derniers, démontrent une plus grande facilité de compréhension et de mémorisation du programme, une plus grande lucidité en vol et une nette amélioration des résultats dans les sauts suivants.
Par la personnalisation du programme et la progression plus rapide qu'elle autorise, la méthode "P.A.C. miroir" peut permettre à un nombre encore plus grand d'accéder aux joies de la chute. J'espère que cette expérience sera relayée par d'autres instructeurs et formateurs. J'attends leurs suggestions, leurs remarques ou leurs réactions pour le plus grand bénéfice de notre sport.
Paul Grisoni débute le parachutisme en 1988. Actuellement membre de l'équipe de France de VR-8, membre du VR-4 France en 94, il totalise 4 500 sauts. Il est titulaire du B.E.E.S. 1 et (bien entendu) instructeur P.A.C.
Par le Dr. Jean-Louis Garello
Paul Grisoni a parfaitement saisi la faille commune à toutes les méthodes d'apprentissage du vol en chute enseignées à ce jour : elles n'enseignaient qu'un mouvement alors qu'il faut enseigner un acte.
Le mouvement, c'est par exemple : pronation de la main puis flexion des doigts. L'acte, c'est : la préhension. Pour que le mouvement devienne un acte, il faut que son auteur ait une relation cognitive avec l'événement, ce qui en clair veut dire qu'il ait une relation de compréhension. Un acte est un système de mouvements coordonnés en fonction d'une intention. L'intentionalité est du registre de l'idée, de la pensée, du cognitif donc. Lorsque l'acte a abouti, qu'il a réalisé l'intention, alors seulement le mouvement est intégré. Lorsqu'un individu accomplit et réussit un acte intentionnel, il intègre le mouvement qui dorénavant fera partie de sa manière de se comporter.
Paul Grisoni a tout à fait opportunément comparé sa méthode au "schéma du mode d'acquisition naturel de l'enfant". L'apprentissage de la marche chez l'enfant, par exemple, procède de trois facteurs :
Qu'en était-il de ces trois facteurs dans l'apprentissage du vol en chute avant la pertinente initiative de Paul Grisoni ? Le second facteur était tout simplement occulté ! Repérer dans la maturation de l'élève le stade qui permet l'acquisition nouvelle, la lui proposer comme modèle pour lui permettre de l'imiter, puis l'aider à découvrir en lui-même l'accomplissement de cet acte, c'est être pédagogue au sens propre du terme : païdos = enfant, gôgos = conduire. Paul Grisoni a empiriquement redécouvert l'apprentissage vicariant dans lequel l'enseignant se substitue à l'apprenant. L'enseignant et l'apprenant ne sont plus séparés par le savoir. L'un qui sait, l'autre qui ignore. Ils sont maintenant reliés par un lien de réciprocité, ils font la même chose. La relation pédagogique n'est plus linéaire, à sens unique.
Enseignant --> Savoir --> Apprenant
mais elle est devenue triangulaire, interactive.