Dans ses précédentes éditions, ParaMag a choisi de publier un article en deux parties exposant les principaux critères relatifs au choix d’une voile, en vue d’un achat éventuel. La rédaction est convaincue que notre article du mois, concernant les voiles et leur pilotage, sera également au goût du jour. En effet, à une époque où le parachutisme sportif souffre davantage d’accidents sous voile et à l’atterrissage, plutôt qu’en chute libre, il est important d’informer les jeunes parachutistes, et les autres, de ce qu’il convient de faire et de ne pas faire en matière de pilotage sous voile. Cet article technique se veut ne pas être un substitut des cours théoriques que les instructeurs donnent à leurs élèves. Il est simplement un rappel ou un complément d’informations que Scott Miller a cru bon de rédiger pour aider à mieux comprendre ce que l’on assimile parfois trop vite au risque d’oublier. Ingénieur et pilote d’essai chez Performances Designs, Scott Miller dirige également l’école de pilotage sous voile à Skydive Deland, en Floride 

                               Par Scott Miller, traduction Patrick Passe




Un virage traditionnel, qui ne soit pas un virage à plat, provoque un balancement du pilote. Si ce type de virage est effectué trop près du sol, pour éviter un obstacle par exemple, le pilote risque d’être projeté par terre sous l’effet du balancement et de se faire très mal.










Le virage à plat est recommandé quand on a besoin d’orienter sa voile lorsque l’on est trop près du sol. Sur cette photo, le pilote va se poser dans le sens de la flèche (face au vent) avec un certain pourcentage de freins pour effectuer quasiment 180 degrés sans subir un balancement qui pourrait lui être fatal.










Parce que les parachutistes comprennent rapidement que les atterrissages sont meilleurs lorsqu’on laisse voler la voile, commandes en haut, juste avant de la cabrer, ils n’utilisent que trop peu souvent leur voile avec un certain pourcentage de freins










Pour un débutant ou un parachutiste peu expérimenté, il est préférable d’utiliser une voile plutôt grande que trop petite afin d’expérimenter l’usage des freins et leur marge d’utilisation en toute sécurité.










Cette photo illustre bien la réaction de la voile lorsqu’elle est amenée en phase de décrochage. Le pilote sollicite sa voile au-delà des 100% de freins pour réaliser la meilleure précision d’atterrissage possible au cours d’une compétition de swoops. Il sait donc ce qu’il fait et il sent que sa voile partira vers l’arrière au moment où il posera les fesses dans le sable. Cinq mètres plus haut, et le résultat aurait été catastrophique. Les exercices de décrochage doivent toujours être réalisés à une bonne altitude.

"Je suis réellement prudent sous voile. Je ne fais jamais de virage bas." Vous avez déjà entendu cela plusieurs fois et vous vous l’êtes certainement déjà dit à vous-même. Vous pensez probablement que la plupart des parachutistes victimes d’un accident à cause d’un virage bas sont des pilotes radicaux réalisant d’impressionnantes approches sous des voiles lourdement chargées, et que ces accidents stupides ne se produiraient plus si chacun prenait à nouveau en considération le tout premier conseil que reçoit un élève lors de sa formation : "Les virages bas sous voile sont dangereux ! Ne faites pas de virage bas !" De nombreux centres écoles sont amenés à répéter cet avertissement chaque week-end.

Malgré ces précautions, trop de parachutistes se font mal, se blessent gravement ou se tuent sous leur voile en parfait état de fonctionnement. On peut croire alors que les victimes ont tout simplement pris à la légère les consignes de sécurité de base relatives au pilotage sous voile. De façon surprenante, le contraire est souvent vrai. Imaginez-vous dans la situation suivante. Vous venez juste de faire un très bon saut et vous faites une approche normale vers l’aire d’atterrissage. Vous êtes face au vent à environ une centaine de mètres du sol en envisageant un atterrissage doux. Tout se présente au mieux. Soudain, quelque chose attire votre attention dans le coin de votre visuel. Vous regardez vers votre gauche pour constater qu’une autre voile se trouve à votre hauteur, et plutôt trop près. Son pilote ne vous a pas vu et, visiblement, il a choisi d’atterrir au même endroit que vous. La distance entre lui et vous se réduit. Instinctivement, vous choisissez de dégager sur le côté en enclenchant un virage plutôt léger, mais suffisamment prononcé pour réaliser que votre voile s’enfonce alors rapidement vers le sol. Quelques instants plus tard, quelqu’un se penche au-dessus de vous : "Ça va ? tu m’entends ? Ne bouge pas. On va venir te chercher..."

Il y a des dizaines d’histoires ressemblant à celle-ci. Trop de fois, des parachutistes se sont blessés pour avoir fait un virage bas parce qu’ils voulaient éviter un obstacle ou parce qu’ils ont choisi trop tard de tourner pour faire face au vent en phase d’approche finale. La plupart d’entre eux n’étaient pourtant pas des parachutistes ayant la réputation de vouloir impressionner leur public sous une petite voile elliptique. En fait, la plupart d’entre eux utilisaient des voiles appropriées à leur poids et leur expérience. On les décrivait comme des personnes qui "habituellement ne font pas de virages bas". Il est facile d’informer les parachutistes à propos des dangers qu’occasionnent les virages bas. Il est tout aussi facile d’interdire leur pratique. Mais le doigt n’est pas toujours mis sur la vraie nature du problème. La plupart des gens qui se blessent à l’issue d’un virage bas n’ont pas réellement l’intention de l’effectuer. Ils sont seulement confrontés à une situation délicate engendrant une mauvaise réaction. Même si on doit toujours anticiper les obstacles, éviter la proximité avec d’autres voiles et se mettre face au vent à une altitude de sécurité, il faut aussi apprendre à réagir correctement quand l’imprévisible se présente sous voile. Pour cela, il ne faut pas systématiquement refouler les virages bas, en considérant qu’un virage se définit simplement par "changement de direction". Telle est la définition exacte que le mot "virage" aura tout au long de cet article. Initialement, un virage n’a pas forcément une connotation radicale. Par conséquent, on peut dire que "engager sa voile dans un virage à plat, ou un changement de direction à plat" est une technique qui permet d’éviter certains accidents dus à l’enfoncement de la voile. Il faut accepter cette technique pour ce qu’elle est, soit une manoeuvre que chaque parachutiste peut et doit apprendre à effectuer correctement et en toute sécurité.


VIRAGES BAS ET
“HOOK TURNS”

Avant de développer davantage, il faut bien comprendre la différence entre un virage bas et ce qui est communément appelé le "hook turn". Pour ce dernier, le pilote engage intentionnellement sa voile dans un virage en profondeur en sollicitant un élévateur avant ou une commande à une altitude relativement haute. La voile tourne, pique et prend de la vitesse tout en balançant son pilote vers l’extérieur. Puis celui-ci revient sous la voile à l’issue du balancement. Si l’altitude et le taux de descente sont jugés correctement, la prise de vitesse engendrera un plané permettant au pilote d’effleurer le sol durant quelques secondes avant de poser les pieds par terre. Quand un parachutiste tente d’éviter un obstacle, une voile ou un atterrissage vent dans le dos en effectuant un virage brusque à la commande, la voile réagit de la même manière : elle tourne, pique et prend de la vitesse tout en balançant le poids qu’elle transporte vers l’extérieur. Dans ce cas, le pilote n’a malheureusement pas pris en considération sa faible altitude ainsi que son taux de descente, et il impactera certainement le sol avant de revenir sous sa voile à l’issue du balancement. Dans certains cas extrêmes, le bord d’attaque de la voile peut même toucher le sol avant son pilote. Aïe ! Essayons autre chose...

Supposons qu’un parachutiste ait besoin de faire un virage bas, et qu’il le fasse sans que sa voile pique vers le sol. Supposons que cette personne puisse effectuer un virage lent et à plat tout en gardant sa voile bien au-dessus de la tête afin de conserver un taux de descente normal. Supposons qu’il puisse tourner à 90 degrés ou plus sans perdre davantage d’altitude. Si ce parachutiste est capable de faire cela, il sera alors en mesure d’éviter un éventuel obstacle tout en atterrissant suffisamment doucement. Le "virage à plat" est définitivement la technique la plus utile en matière de conduite sous voile. Il est le seul moyen de gérer le hasard à basse altitude sans se "crasher" sous voile. Malheureusement, ce chapitre est trop peu souvent développé au cours de l’instruction. Certains instructeurs détournent même leurs élèves de ce type de technique en craignant qu’elle les amène à flirter avec le point de décrochage de la voile.


LA PHOBIE DU VOL LENT

Par crainte de voir le sol arriver trop vite, les élèves ont souvent l’habitude de tenir leurs commandes vers le bas, au niveau des oreilles, plutôt que de laisser leur voile voler à pleine vitesse horizontale. En conséquence, les instructeurs les incitent constamment à remonter les commandes afin de laisser voler la voile. En vol, certains élèves sont également nerveux à l’idée de faire tourner leur voile trop rapidement. En conséquence, les instructeurs les encouragent à tirer la commande jusqu’en bas afin qu’ils se familiarisent sans crainte à virer avec leur voile. Et finalement, dire à un élève de voler en freins ou de tourner doucement semble être le mauvais conseil à lui donner. Après quelques sauts au cours desquels les élèves se familiarisent avec leur voile, ils découvrent rapidement que tirer une commande jusqu’en bas ne rend pas seulement leur instructeur content, mais que c’est également une manoeuvre très amusante. Les spirales à 360 degrés le sont encore davantage. Les élèves comprennent aussi que leurs atterrissages sont meilleurs quand ils laissent voler leur voile, commandes en haut, juste avant de la cabrer. Malheureusement, tous les parachutistes en général font donc leur progression avec ce geste habituel "bras en haut -> bras en bas" pour cabrer, et ils n’utilisent que trop peu souvent leur voile avec un certain pourcentage de freins. Ils ignorent l’importante marge de contrôle qu’offre une voile utilisée en freins. Puis, un jour, ils sont confrontés à une situation délicate se présentant à basse altitude et sans avoir la technique pour la gérer. L’habituelle réaction "bras en haut -> bras en bas" les trahit au moment où il est impératif d’agir différemment.


SAVOIR UTILISER LES FREINS

En apprenant à piloter sa voile avec du frein, on explore une marge de manoeuvre que de nombreux parachutistes ignorent. On découvre même que l’on peut obtenir de nouvelles performances de sa voile, et que l’on peut développer certaines aptitudes qui un jour peuvent sauver notre vie dans une situation délicate. Les exercices suivants renforceront la confiance d’un parachutiste aux commandes de sa voile, en le guidant au travers d’une transition importante vers la découverte de nouvelles capacités en matière de pilotage :
1 Amener les deux commandes au niveau des épaules, à environ 50% de freins. La voile ralentit en vitesse horizontale et elle descend également moins vite. Essayer de tourner en tirant une commande légèrement plus basse que l’autre. Constater la façon dont la voile tourne sans piquer du tout vers le sol. Dans cette configuration et en tournant ainsi, la voile offre un taux de descente bien plus faible que lorsqu’elle vole en ligne droite, bras hauts, en plein plané.
2 En demi-freins, il est possible d’effectuer des tours à 90 degrés et même à 180 degrés en perdant très peu d’altitude. Cet exercice est également possible en 3/4 de freins. La voile tournera même plus vite qu’en demi-freins, et toujours sans piquer vers le sol. Dans cette configuration de vol en 3/4 de freins, il est toutefois mieux de tourner en relâchant une commande vers le haut plutôt que de la tirer davantage vers le bas afin de ne pas trop s’approcher du point de décrochage. Un parachutiste qui n’a jamais amené sa voile en phase de décrochage devrait d’abord essayer avant de s’amuser à tourner en 3/4 de freins.
3 Pour faire décrocher sa voile, il faut amener celle-ci en 3/4 de freins, puis continuer à descendre doucement les commandes ainsi symétriquement afin de la garder dans l’axe. La voile ralentira puis basculera vers l’arrière tout en perdant sa portance. En gardant les commandes en bas, la voile se dégonflera tout en partant vers l’arrière. En persistant, la voile dégonflée se présentera sous forme d’un U inversé. Pas de panique. La sensation semble inconfortable, mais elle permet d’apprendre à situer ce fameux point de décrochage. Quitter la phase de décrochage se fait de la même façon que pour y entrer : doucement et symétriquement, on relâche les commandes vers le haut. La voile se regonfle pour voler normalement. Éventuellement, elle voudra partir vers l’avant ou tourner d’un côté. Un caisson extérieur peut également rester dégonflé. Il suffit alors d’utiliser ses commandes pour remettre sa voile dans le "droit chemin", tout comme on le fait juste après l’ouverture.

Expérimenter ces différentes techniques permet de se sentir plus à l’aise afin d’utiliser sa voile en la pilotant dans sa marge de freinage. Comme pour toutes nouvelles manoeuvres, le décrochage, le pilotage à vitesse lente et les virages à plat doivent être testés à une altitude suffisamment haute en contrôlant toujours ce qu’il peut y avoir autour de soi et sans trop s’éloigner de l’aire d’atterrissage. Après avoir acquis confiance et expérience, on peut alors essayer les virages à plat à plus basse altitude. On peut effectuer tout son circuit d’approche en demi-freins. Répétons qu’il est indispensable d’avoir réalisé ce type de travail à haute altitude au cours de sauts précédents afin de comprendre comment réagit la voile dans cette configuration de vol. Bien sûr, il est aussi extrêmement important de ne pas titiller le point de décrochage en pilotant sa voile avec les freins et également d’être vigilant à son éventuel entourage.

Au cours des premiers essais de vol en demi-freins en approche finale jusqu’à l’atterrissage, l’envie de vouloir relâcher les commandes vers le haut, pour redonner à la voile toute sa vitesse avant de cabrer, risque de démanger le pilote. Si c’est le cas, il faut savoir qu’en réagissant ainsi la voile partira tant soit peu vers l’avant, mais suffisamment pour se faire mal si cela se produit au moment du posé. Relâcher les commandes vers le haut après avoir volé en demi-freins est une manoeuvre qui doit être effectuée au moins une dizaine de secondes avant le posé afin de permettre à la voile de retrouver son assiette avant d’effectuer le cabré. D’autre part, il est tout à fait possible de se poser en demi-freins sans devoir redonner à la voile de la vitesse. Le cabré sera plus pointu pour assurer un atterrissage aussi doux. Il doit être en tout cas moins systématique que le traditionnel cabré "bras en haut -> bras en bas". Il doit être effectué et dosé de façon à arrêter totalement la voile au moment où les pieds vont toucher le sol.

Toutes ces recommandations sont importantes pour s’entraîner à voler lentement avec sa voile et à effectuer des virages à plat à basse altitude, en toute sécurité. Cette technique est la finalité pour être mieux préparé à gérer des situations délicates lorsque l’on s’approche du sol.


Pour un débutant et pour un parachutiste peu expérimenté, il est tout aussi important de savoir virer sa voile à plat que d’apprendre à atterrir debout. Il est préférable d’expérimenter la technique du virage à plat avec une voile de grande surface, plutôt docile, et qui correspond à un modèle qu’utilise un élève ou un parachutiste peu expérimenté. Une voile chargée à raison de 500 grammes par pied carré (ou moins) est idéale pour réaliser ce genre d’exercices. Mais de nos jours, beaucoup de débutants achètent des voiles plus petites qui sont donc chargées plus lourdement. Plus une voile est petite et plus elle aura besoin de vitesse horizontale pour transporter sa charge. Son taux de descente sera également plus important, même en la pilotant en freins. Par conséquent, expérimenter la technique des virages à plat sous une voile trop petite s’avérera décourageant, car les atterrissages seront plutôt durs. Ce serait alors dommage d’abandonner l’élargissement de ces connaissances, car il est d’autant plus important de savoir piloter une voile et de la poser en freins lorsque l’on passe sur un modèle plus petit. Une voile plus petite décrochera plus vite et sans avertir, elle perdra de l’altitude plus rapidement en virage et peut facilement rouler son pilote dans la poussière si celui-ci ne fait pas la bonne manoeuvre à la bonne altitude. C’est donc définitivement un avantage d’utiliser une voile avec une surface plutôt grande pour son poids au cours de ses premières centaines de sauts. Ce sera plus sûr et plus sécurisant d’expérimenter différentes techniques de vol, et ce sera plus facile également de développer des capacités qui seront nécessaires pour piloter ensuite des voiles plus petites de façon efficace. Peu importe le type de voile utilisée, mais il est nécessaire de comprendre sa marge de manoeuvre tout entière et comment elle réagit à différentes vitesses et différentes manoeuvres. Que ce soit à la limite du point de décrochage ou en se hissant sur les élévateurs avants, un parachutiste devrait se sentir tout aussi à l’aise en pilotant sa voile entre ces deux extrêmes. Trop de personnes reviennent vers la salle de pliage en se disant après un mauvais atterrissage : "J’ai eu de la chance, je ne me suis pas fait mal..." La chance, c’est bien quand on joue au poker. Mais il faut bien plus que de la chance pour atterrir sous sa voile en toute sécurité. Apprendre à piloter celle-ci en freins et savoir faire des virages à plat correctement, c’est se garantir quelques atouts en main pour les fois où la chance viendrait à manquer  



212 janvier 2005