Du 26 juillet au 3 août derniers, Joël Cruciani a réorganisé l’Espace Boogie de Vichy.
Après deux années d’interruption, l’événement a connu un "come-back"
se concluant par des avis partagés dont les critiques les plus positives
traduisaient une météo exceptionnelle ainsi que les qualités uniques
et toujours étonnantes de l’Antonov 72 au service du parachutisme.

                                            Par Bruno Passe




Etant donné la canicule de cet été, la zone de pliage et briefing ombragée fut largement appréciée.



Le logiciel "Manifest", développé par Gilles Défourneaux et utilisé par plusieurs centres en France, a permis d’administrer l’avionnage. Il s’agissait d’une version modifiée pour pouvoir gérer des avions de 80 places avec une équipe de (seulement...) trois personnes pour contrôler le manifest et l’embarquement : Pascale Favier, Gilles Défourneaux et Franck Jean-Albert.



L’emplacement du boogie cette année occasionnait beaucoup moins de problèmes de trafic sous voile.


Le "village" du boogie, concentré autour des bâtiments de l’aéroport.


Entrée dans le ventre de la bête...



La partie inférieure de la tranche arrière s’ouvre en se glissant sous le fuselage de la machine : excitation générale !



L’infatigable Dave Morris, fidèle à sa couleur jaune, qu’il décline sur tout son équipement, jusqu’à une banderole sous voile !


Embarquement dans l’Antonov 72, sous haute surveillance.



Les revendeurs et fabricants sont présents (de haut en bas et de gauche à droite) : le Bus Air Shop de Lapalisse, Performance Designs et Parafun, Boogie Man, Matter et Parachutes de France).



Le Boogie en chiffres

11300 sauts

150 décollages de l’Antonov

650 inscrits (hors staff)



urant dix années consécutives, le boogie de Vichy organisé annuellement par Joël Cruciani avait su étonner, surprendre et divertir. Au cours d’une telle manifestation accueillant généralement entre 600 et 800 personnes, chacun vit son boogie et le juge avec son propre regard, selon la satisfaction obtenue au fil des sauts et l’ambiance qui en émane. La grande particularité de l’Espace Boogie de Vichy fut toujours la présence de surprenants moyens aériens. Selon les années, on a pu y sauter d’Hercules C130, d’hélicoptère russe MI 26 et plus récemment d’Antonov 72, un biréacteur qui fut la vedette des versions 97, 99 et 2000 du boogie de Vichy. En 2001 et 2002, l’Espace Boogie est en veille et ses nombreux adeptes se demandent s’ils reverront un jour son chapiteau dressé sur fond sonore d’un biréacteur. Parallèlement, l’organisateur Joël Cruciani se pose la question quant à la réédition de l’événement. Par deux fois, à la fin des années 90, le boogie de Vichy fut bien déficitaire : une première fois à cause d’une météo capricieuse et une seconde parce que l’absence de l’Antonov fut compensée par quatre avions 20 places en location. Avant d’être plus critique sur ce boogie 2003, il faut donc saluer le goût du risque et d’entreprise, facteurs caractériels indispensables pour l’organisateur d’un tel rassemblement.

Il a fallu attendre la fin du boogie
pour voir les premiers big ways en freefly.

En mai dernier, Joël Cruciani annonce la réédition du boogie de Vichy avec le fameux Antonov 72, un puissant avion biréacteur appartenant au Ministère de la Défense de la République de Moldavie. Ce bijou de technologie aéronautique emmène facilement 70 à 80 parachutistes à 5000 mètres d’altitude en moins de 10 minutes. L’Espace Boogie de Vichy vibrera à nouveau sur l’aéroport de Charmeil.

Vendredi 25 juillet, les premiers parachutistes libérés du quotidien arrivent déjà en bon nombre au fil de la soirée. Premier réflexe : on se dirige vers le parking avion pour constater que l’Antonov est bien là. Rassuré, on se dirige vers le camping. Cette année, le village du boogie a changé de place sur l’aéroport de Vichy-Charmeil. Les années précédentes, l’âme du boogie tournait autour d’un chapiteau chaleureux où l’ambiance n’avait plus qu’à entrer. Vu de la terrasse du monument de toile, le boogie se déroulait comme sur un écran sphérique. Cette année, le boogie est installé à l’opposé de la cible emblématique qui avait accueilli en sa périphérie de nombreux rassemblements Espace Boogie. Le grand hall de l’aéroport est le QG de ce boogie 2003. Côté piste, il y a tout ce qui est relatif à la zone d’embarquement. De l’autre côté du hall, un grand espace herbeux se divise en camping et en ère de pliage ombragée. Au milieu un modeste toit de chapiteau reçoit la restauration, le bar, la sono et une piste de danse.

Le boogie se met en route rapidement avec plus de 300 inscrits dès le samedi. Les premiers vombrissements des réacteurs de l’Antonov se font entendre vers 14 heures avec le décollage du premier load. Les suivants s’enchaîneront jusqu’au coucher du soleil. À l’issue de cette première journée, le boogie de Vichy semble avoir repris ses usages de fonctionnement, avec des habitudes qui semblent ressurgir du passé et qui estompent l’étonnement que l’on ressentait au cours des meilleurs crus du boogie de Vichy, durant les années 90.

Une belle ligne atmonaute en construction.

L’infrastructure qu’offre le hall de l’aéroport est idéale pour toute l’équipe impliquée dans le fonctionnement du boogie. Les plieurs disposent d’un grand espace carrelé et propre qui recevra une multitude de pliages durant la semaine. L’ancienne salle d’embarquement de l’aéroport devient pour la circonstance le lieu de débriefing vidéo pour les sauts organisés. Les vidéomen ont leur propre pièce pour y organiser leur matériel. Le manifest, géré informatiquement par Gilles Défourneaux, se dresse au comptoir d’accueil de l’aéroport, à côté des portes battantes qui s’ouvrent vers l’embarquement du biréacteur. Sur le toit de l’aéroport, l’équipe technique du boogie, composée de Pascale Favier et Claude Daviet, a installé son observatoire afin de s’assurer que le boogie se déroule en toute sécurité. Le rituel des embarquements, largages et posés sera identique au quotidien, parfaitement coordonné et contrôlé.

Le mot d’ordre de l’organisation est avant tout "sécurité". Quand l’Antonov se pose, il se présente tranche arrière ouverte au niveau de l’ère d’embarquement, là où attendent environ 75 parachutistes prêts à s’engouffrer dans le ventre métallique de l’avion. Le décollage se fait en puissance. L’étonnante poussée des deux réacteurs développe une agréable sensation de sécurité chez les parachutistes. À 3 500 mètres environ, le largueur demande à tout le monde de se lever. Dernier coup d’oeil général sur l’équipement. Deux ou trois minutes plus tard, l’Antonov se présente déjà sur axe, à 4 500 mètres d’altitude. La tranche arrière s’ouvre avec sa partie inférieure glissant sous le fuselage de la machine. Excitation générale.

Groupes et individuels sont prêts à s’élancer dans l’encadrement de lumière. Le largage se fait à vue et avec la précision d’Hugues Du Réau ou de Philippe Puthet, tous deux maîtres largueurs du boogie de Vichy travaillant à tour de rôle. Les groupes sortent de l’Antonov sans trop d’écart car la machine avance vite. Le souffle en sortie n’est pas violent, juste comme il faut pour bien sentir les premiers appuis. Le largage s’étale sur toute la longueur de la piste, soit 3000 mètres de zone de posé. Ceux qui sont plus loin reviennent avec le bus qui stationne à chaque largage au fin fond du terrain de l’aéroport. Un 4X4 est en charge d’aller récupérer les moins chanceux qui se posent occasionnellement à l’extérieur de l’Espace Boogie.

Au retour, les sautants vont déposer leur parachute aux plieurs, ou se rendent vers leur bâche de pliage étalée à l’ombre des arbres. Cette fraîcheur fut bénie durant toute la semaine du boogie où la température affichait souvent plus de 35 degrés.

De nombreux organisateurs ont encadré sauts de freefly et de vol relatif. En freefly, Stéphane Fardel, Fred Fugen, Arnaud Fletcher, Tazzio, Gigliola Borgnis, Marco Tiezzi et Wendy Smith ont encadré de nombreux groupes de différents niveaux techniques. Si les moins expérimentés furent ravis de cette disponibilité des loadorganisers, les freeflyers les plus pointus ont regretté qu’un groupe plus solide ne se soit constitué. En milieu de semaine, et pour satisfaire à la demande pressante, les organisateurs invitaient les freeflyers aguerris à rejoindre un groupe de 30 à 40 pour quelques big ways verticaux, des vols Atmonautes et sauts de tubes en grand nombre.

En vol relatif, les membres des équipes Espoirs (Damien Sorlin, Mathieu et Guillaume Bernier, Julien Degen, Jérémie Rollett) ainsi que Benjamin Reffet ont encadré des groupes débutants et intermédiaires. Tous ont pu profiter d’un précieux apprentissage au sein de ces groupes. Leur nombre peu important permit des débriefings individuels exposés par ces organisateurs dotés d’une technique évoluée. Les groupes de 20 et plus étaient encadrés par Milko, Dave Morris et Dario Jotti. Le travail de ces trois organisateurs fut remarquable et les bons sauts ne furent pas rares avec des séquences de 2 à 3 points pour des groupes de 20 à 30. Quelques formations à 40 et plus furent réalisées en joignant les relativeurs de Milko avec ceux de Dave.

Le groupe de Dave Morris fusionne avec celui de Milko.

Le groupe de Patrick Passe a commencé la semaine en étant constitué de plus de 50 personnes. Le premier point était le plus souvent complet, mais le deuxième avait généralement besoin de quelques secondes de chute supplémentaire pour pouvoir être achevé. Ces fins de sauts un peu frustrantes portaient à conclure que le groupe était trop chargé et avec des niveaux techniques panachés. À la veille des sélections pour le World Team 2004, ces sauts à plus de 50 furent toutefois l’occasion pour certains de montrer à l’organisateur leur aptitude à piquer et effectuer de longues approches avec fluidité, qualité indispensable pour ceux qui souhaitent participer aux prochaines tentatives de record du monde de grande formation à 372 organisées en Thaïlande en février prochain. Peu avant le milieu de la semaine, le groupe s’est allégé progressivement avec le départ de ceux venus seulement pour 2 ou 3 jours. Les sauts sont alors devenus très qualitatifs avec régulièrement de jolies séquences à 4 ou 5 points pour un groupe d’une trentaine, et se réduisant à la vingtaine au cours des deux derniers jours du boogie.

Saut de "diving room" avec un groupe d’une cinquantaine de relativeurs, organisé par Patrick Passe.

Le gros point positif de l’Espace Boogie 2004 à Vichy fut sans nul doute cette cadence de saut soutenue issue d’une organisation huilée à force d’expérience. L’Antonov 72 fut l’ascenseur des temps modernes dont les montées incessantes permettaient aux participants de réaliser un nombre sympathique de sauts au quotidien. Deux bonnes demi-journées de mauvais temps seulement furent à déplorer, avec bonne anticipation de l’organisation pour relancer la machine aux prémices de l’éclaircissement d’un ciel plombé.

Les critiques les plus négatives furent relatives à l’infrastructure, son camping chargé, ses douches en nombre insuffisant, son chapiteau banal et l’ambiance tiède qui en émanait. Il est vrai que Joël Cruciani avait habitué à plus de distinction au cours d’une décennie de boogies.

"Relancer l’Espace Boogie à Vichy n’est pas si simple, explique l’organisateur. Tributaire de la météo, une telle organisation représente une prise de risque financièrement importante. Les frais fixes de mise en place sont très élevés. Ils résident principalement dans la mise en place de l’avion, les assurances dont le coût est plus important dans le milieu de l’aéronautique depuis les attentats du 11 septembre, la livraison du kérosène, la location du chapiteau et des sanitaires ainsi que tout le matériel nécessaire au bon déroulement de cette manifestation. À deux reprises, j’ai déjà été échaudé par un bilan très négatif à l’issue des boogies 98 et 99. Certains choix s’imposaient donc afin que le boogie de Vichy reprenne vie sans que le prix du saut ne devienne exorbitant. Il a fallu réduire les frais relatifs à l’infrastructure et principalement éviter la location d’un chapiteau de "luxe" habituellement mis en place au cours des précédents boogies à Vichy. D’autre part, nous avons voulu minimiser volontairement les fêtes du soir, par souci de sécurité. En effet, fatigue, chaleur et altitude ne font pas bon ménage dans la pratique du parachutisme. Par exemple au cours du boogie 99, nous avons constaté qu’un parachutiste s’étant blessé grièvement à l’atterrissage le matin avait un taux d’alcoolémie élevé suite à une nuit "chargée". Cette année, le boogie s’est déroulé sans aucun accident, juste une fracture suite à un mauvais atterrissage. Et s’il y a un bilan à tirer, c’est bien celui-là. Le souci de l’organisation et de l’équipe technique est d’abord de gérer la sécurité du mieux possible, d’anticiper les situations à risque et de les éviter. La vie sur le terrain durant une semaine de boogie peut être pesante et définitivement préjudiciable à la sécurité des parachutistes. Un espace bruyant, des nuits courtes, l’abus d’alcool sont autant de facteurs qui peuvent être à l’origine d’accidents graves. Le but est donc de créer une ambiance suffisamment chaleureuse en soirée sans occasionner les divers excès préjudiciables à la sécurité générale.

En freefly, de nombreux organisateurs ont encadré des groupes de différents niveaux techniques.

Nous avons également constaté que l’emplacement du boogie cette année occasionnait beaucoup moins de problème de trafic sous voile, contrairement aux années précédentes où l’activité se déroulait de l’autre côté du terrain. Sa grande cible et les alentours attiraient un grand nombre de voiles. Cette centralisation en phase d’approche provoquait certains croisements malsains qui furent parfois à l’origine d’accidents graves. Je suis convaincu que l’emplacement de cette année, avec un boogie concentré autour des bâtiments de l’aéroport, est plus adapté à la sécurité et au fonctionnement qu’exige un rassemblement comme celui du boogie de Vichy. Cette réédition fut l’occasion de découvrir un nouvel environnement et comment la vie parachutiste s’y articule. L’an prochain, l’organisation Espace Boogie tirera profit de cette nouvelle expérience en optimisant l’utilisation des lieux. L’extension de la zone de camping est par exemple possible. Quelques points bénéficieront aussi d’un réaménagement plus adapté."

Comme l’avait annoncé Joël Cruciani au cours du briefing général de Vichy 2003, le boogie connaîtra l’édition 2004 et 2005. Contractuellement, l’avion moldave promet d’être au rendez-vous. La plupart des 600 inscrits ont apprécié son retour. Et même si tout ne fut pas parfait pour tout le monde au cours de cette réédition, le boogie de Vichy reste pour beaucoup un rendez-vous incontournable que nombreux souhaiteront ne pas manquer l’année prochaine, et celle qui suit...





196 septembre 2003