Par Bruno Passe

S’il est un domaine dans lequel le parachutisme français est bien en retard, c’est celui du vol en soufflerie. États-Unis, Allemagne, Israël, Japon, Venezuela, tous ces pays disposent d’une ou plusieurs souffleries à usage sportif ou commercial. Heureusement, cette année, grâce aux efforts de l’O.N.E.R.A de Lille, près de 150 chuteurs européens ont pu bénéficier de ce genre d’entraînement.


Le fait que des parachutistes accèdent à la soufflerie verticale de Lille pour s’entraîner à la chute libre n’a rien de nouveau puisqu’il date de 1983. L’existence d’un outil suffisamment puissant pour produire un vent relatif équivalent à la vitesse de chute était connue des parachutistes locaux. Évidemment, ça n’était pas l’envie qui leur manquait d’aller faire un tour dans l’enceinte de ce bâtiment aux formes significatives, qui se nommait à l’époque “Institut de mécanique des fluides”.

C’est sur l’initiative de Pierre Garau, directeur technique du centre de Lens à l’époque, que la première session expérimentale eu lieu.
Les premiers chuteurs à s’essayer dans les filets d’air ont dû s’équiper d’un harnais accroché à un filin, pour rassurer les scientifiques.
Pour les quelques relativeurs confirmés ayant pris part à l’expérimentation, ce fut un jeu d’enfant et des vols à 3 furent réalisés avec succès. Des élèves ont pu également évoluer dans la veine, dont la vitesse était contrôlée en permanence par un technicien afin d’assurer la sécurité. Un non-voyant n’ayant jamais sauté effectua même son premier vol.
La vitesse était donnée approximativement pour 45 mètres/seconde, ce qui est inférieur à la vitesse réelle de chute, mais les combinaisons de l’époque étant très larges cela ne posait pas de problème.

L’idée fit son chemin, et l’année suivante une délégation fédérale participa à une deuxième session expérimentale avec des athlètes de haut niveau, des cadres formateurs de la F.F.P. et Parachutes de France. Participant à cette session, on trouvait, entre autres : Bernard Colas, Charly Baum, Marcel Hérault et Michel Auvray.

Mais déjà il fallait attendre une accalmie dans le programme de recherche très chargé des scientifiques pour pouvoir bénéficier d’autres créneaux, la soufflerie n’étant pas ouverte au public puisqu’il s’agit d’un établissement de recherche dont l’objet est de réaliser des tests, de mener des études à usage scientifique. Il n’y eut plus d’autres sessions avec les parachutistes durant quelques années.
Entretemps, l’O.N.E.R.A (Office National d’Etudes et Recherches Aérospatiales) était devenu le nouveau gestionnaire de la soufflerie. C’est la présence d’un parachutiste sportif parmi le personnel de l’O.N.E.R.A. de Lille qui a relancé le contact dans le début des années 1990 : Franck Décatoire était ingénieur la semaine, pilote largueur et parachutiste le week-end au Nord para club. Il effectua quelques vols en solo dans la veine et en parla à ses amis parachutistes.

Des sessions furent alors organisées avec le Nord para club qui en gérait le déroulement. Bien que les disponibilités soient toujours limitées, l’accès s’ouvrait davantage puisqu’il ne s’agissait plus de sessions expérimentales, mais payantes et ouvertes à tous, débutants et confirmés. L’incertitude des disponibilités rendait difficile la gestion des créneaux dans un établissement ne fonctionnant qu’en semaine, mais de 1993 à 1996, une dizaine de sessions eurent lieu.
En 1997, les équipes de France de vol relatif à 4 et à 8 préparaient les championnats du monde et s’entraînaient régulièrement à Maubeuge. Elles savaient que leurs concurrents directs, les Américains, bénéficiaient d’entraînement en souffleries rapides, qui ne manquent pas aux Etats-Unis (*). Des sessions spéciales furent organisées à Lille, exclusivement pour les équipes de France, qui pouvaient ainsi compléter leur entraînement à Maubeuge par des passages de plusieurs heures d’affilée dans la soufflerie. Il faut préciser que des améliorations dans la partie supérieure de la veine avaient renforcé la vitesse qui était désormais donnée pour 48 mètres/seconde, les gabarits légers pouvant voler en combinaison lisse de séquence, un t-shirt porté au-dessus permettant de compenser les petits mètres/seconde manquant pour les autres.

La veine possède un diamètre de quatre mètres et une hauteur de cinq, ce qui rend possible le vol à 3 et permet le vol à 4 dans certains enchaînements serrés.
Après une nouvelle et longue interruption, le club parisien Vol Vertical a repris le flambeau en début de saison 2000, il était ensuite suivi par Véloce et ParaMag à partir du mois d’octobre. Et cette année fut certainement la plus active en matière d’entraînement parachutiste en soufflerie à Lille, avec plus de 10 sessions organisées et près de 150 chuteurs qui ont pu en bénéficier. Il faut rappeler que l’O.N.E.R.A. est un établissement scientifique et non pas commercial et que ces sessions conservent un caractère très exceptionnel, toujours lié à une baisse de la charge de travail durant certaines périodes.
L’accès à la soufflerie comporte d’ailleurs pas mal de contraintes (horaires, contrôle d’identité et des déplacements dans l’établissement, etc...). Il faut regrouper suffisamment de monde pour que la soufflerie fonctionne en quasi continuité, avec de simples pauses de quelques minutes entre des créneaux d’une heure ou une heure et demie. La gestion du temps n’est donc pas laissée au hasard.

Mais il a suffi du bouche à oreille pour remplir les premières sessions de l’année en mars et avril 2000, puis d’une page web et de quelques mails pour Véloce, ainsi que d’une brève dans ParaMag pour compléter les 8 sessions de fin de saison, d’octobre à décembre.

Cela confirme l’intérêt des parachutistes pour un tel outil. Il est vraiment regrettable que la soufflerie “Twister” à Nancy (Cf. ParaMag n° 144 de mai 1999) n’ait pu ouvrir en 2000 comme prévu. Son déménagement est en cours, mais aucune date n’est avancée pour le moment. Il en est de même pour l’O.N.E.R.A. qui n’était pas en mesure de s’avancer sur des dates de créneaux possibles en 2001 pour les parachutistes, au moment où nous avons bouclé cette édition.
À quand une soufflerie ouverte à plein temps pour les chuteurs néophytes et confirmés, en France ou en Europe ?
(*) Les 2 souffleries les plus puissantes aux Etats-Unis sont celles des Golden Knights (équipe militaire américaine) sur la base de Fort Bragg et celle d’Orlando en Floride (Cf. ParaMag n° 147 d’août 1999). La soufflerie militaire possède une veine qui permet l’entraînement en VR-6. Ces 2 souffleries permettent des positions de chute verticale (debout et tête en bas) pour les confirmés. Il existe d’autres souffleries à ciel ouvert aux Etats-Unis, moins puissantes, de type Airodium.


Comment ça marche ?

La soufflerie de Lille fonctionne sur la base d’un circuit d’air fermé et aspiré par le haut, c’est le principe du flux guidé. Après avoir été aspiré, l’air est reconduit de la sortie de la veine vers l’admission, où il est réutilisé. L’avantage de ce système est la puissance qui permet de reproduire la vitesse de chute réelle. Les inconvénients sont le coût des infrastructures (le bâtiment est gigantesque) et la température qui s’élève rapidement à cause des frottements de l’air dans le circuit fermé. Mais il faut dire que dans le nord de la France, la chaleur n’est pas vraiment un problème... Autre inconvénient constaté par l’O.N.E.R.A. durant la période où les parachutistes sont venus nombreux : les mouvements de grandes amplitudes et dissymétriques sur le plan horizontal font réagir l’équipe de maintenance du moteur. Il faut dire que l’installation est prévue pour faire évoluer des maquettes et non pas des chuteurs dont certains pèsent près de 100 kilos et sont accompagnés par des moniteurs. De nouvelles limitations ont donc été établies durant les dernières sessions.


Comment ça vole ?

Les sensations sont proches de la chute libre mais toutefois différentes... L’entrée dans la veine se fait doucement et à plat : départ debout sur les coussins en mousse, puis on se penche buste et bras en avant pour chercher les appuis sur l’air tout en poussant doucement sur les pieds. La veine ne fait que 4 mètres de diamètre, le moindre dérapage entraîne donc l’exclusion... Il y a un petit temps d’adaptation et après "ça l’fait" sans problème !

Les figures de vol conduisant à des vitesses relatives trop importantes sont prohibées. Il est possible de voler à plat, seul ou en vol relatif. La chute assis ou dos est envisageable pour les gabarits légers sachant maîtriser la position de base.
À 2 et à 3, il n’y a aucun problème pour s’entraîner en vol relatif, à condition de maîtriser les déplacements dans un diamètre de 4 mètres... Ce qui constitue justement un très bon exercice. À 4, tous les blocs ne passent pas pour une question de taille. Il faut donc adapter le programme d’entraînement : blocs courts ou ronds pour du 4 ou un binôme complet qui travaille et un solo qui fait référence pour du 3.

Selon les gabarits, on évolue dans la veine en combinaison lisse de vol relatif, ou en combinaison coton un peu plus ample. Il n’est pas nécessaire d’utiliser une combinaison "ballon". Pour la séquence, l’idéal est une combinaison serrée (avant-bras élastique pour éviter de fatiguer sur les bras) avec un t-shirt par-dessus. Le t-shirt doit être noué sur l’entrejambe pour éviter de gonfler ou de se déchirer. Pour les plus légers, la ceinture de plomb est obligatoire.
Un solide filet de protection est disposé à l’horizontale et en circulaire. Il y a également des coussins en mousse tout autour de la veine.
Il est possible d’emmener des élèves P.A.C., des chuteurs ou des relativeurs débutants. Pouvoir s’entraîner à la chute libre durant plusieurs minutes d’affilée et sans avoir à sauter d’un avion en vol présente des avantages évidents pour les néophytes.


Voler en haut

C’est le privilège accordé aux chuteurs confirmés, et raisonnables... En haut de la veine, le flux d’air est encore plus puissant car il est canalisé, contrairement à l’entrée de la veine qui est ouverte et seulement entourée du filet de protection. Mais là-haut, la moindre erreur ne pardonne pas : le moindre dérapage se termine sur la structure externe en dur et le moindre déventement entraîne une chute de plusieurs mètres. Même dans le vent relatif et dans les coussins en mousse, ça peut faire mal.


Méthode P.A.C. “indoor” : Catherine Manen n’avait jamais sauté d’un avion avant cette session. Après quelques minutes de vol, elle était capable de tenir la bonne position et d’évoluer en sécurité dans le vent relatif. Il faut préciser qu’elle était entourée de 2 moniteurs top niveau : Thierry Boitieux et Daniel-Michel Holleville. Image d’archive de la deuxième session expérimentale de 1984 : Michel Auvray évolue dans la veine avec une combinaison ballon. A gauche, Bernard Colas (de dos, en rouge) avec une élève et aussi Charly Baum (en blanc).

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