Ce jour là, Cocol totalise 242 sauts, dont 50 en voile contact, et il possède déjà la qualification B3. Avec Jérôme, son camarade d'équipe, ils décident de faire un saut de "canop". Ils empruntent deux parachutes du centre équipés de "Contact" (voile 7 caissons spécifique à cette discipline) et ils les replient de façon à pouvoir chuter et faire tout de même "un p'tit VR" à 3 000 mètres, avant le travail sous voile.
Ils ont en main les fameux coupe-suspentes de couleur jaune qui s'appellent
Jack. Rappelons la corrélation entre ce nom et le fameux Jack l'éventreur...
L'efficacité du Jack est reconnue universellement et tous les contacteurs
de la Planète Skydive l'utilisent. Il mesure 20,6 cm, et il s'installe
dans un étui placé généralement sur la sangle
de poitrine.
Seulement voilà, Cocol et Jérôme n'ont pas les
bons étuis... Ils décident alors d'attacher les Jack avec
des élastiques de lovage. Ils sont au fond du hangar, quand le directeur
technique les appelle : il ne manque plus qu'eux pour que l'avion décolle,
le moteur est déjà lancé et tous les autres parachutistes
sont à l'embarquement, au taxi-way le plus proche. Les deux compères
se regardent et décident qu'ils n'auront pas besoin des Jack. Ils
les balancent au fond des sacs de transports et embarquent.
Le Cessna 206 blanc à rayures rouge et bleu prend de l'altitude.
Sur axe et largage. Le VR-2 se passe bien et la séparation se fait
à 1 800 mètres pour une ouverture à 1 500 mètres.
Jérôme est débutant en voile contact, il n'a pas encore
sa qualification B3. C'est Cocol qui apponte sa voile par le haut. Jérôme
s'occupe simplement de conserver l'axe. Tout se passe bien.
Cocol commence à descendre le long des suspentes de Jérôme pour passer en biplan. Il demande à son coéquipier de freiner sa voile afin de l'aider. En fait, ce n'est pas celui du haut qui descend jusqu'au glisseur de celui du dessous, mais plutôt celui du dessous qui monte le long des suspentes de celui du dessus.
Pour ma part, je pense qu'il faut trouver un point médian entre
ces deux hypothèses un peu extrémistes. Toujours est-il que
la voile de dessous n'est pas freinée du tout et le conteneur du
parachute de secours de Cocol accroche l'extrados du caisson central et
commence à fermer partiellement tous les caissons centraux.
"Freines ta voile" demande encore Cocol. Au moment où
ce dernier avance le corps pour bien faire passer son sac-harnais et ainsi
dégager les caissons centraux, Jérôme donne un grand
coup de freins puis relâche tout. Cocol se sent enveloppé
de chaque côté et tente d'écarter les bras pour ne
pas se faire complètement enroulé et tomber dans le cône
de suspension.
Il se retrouve à mi-cône, côté gauche, avec des suspentes entre les jambes ; son bras droit est maintenu en arrière et il est étranglé par d'autres suspentes. Les deux voiles sont décalées l'une par rapport à l'autre. Elles sont presque en côte à côte, l'une derrière l'autre, ça vole dans l'axe mais de temps en temps ça s'ouvre puis ça se referme car une des voiles est bridée.
Cocol demande à Jérôme de libérer. Ce dernier
regarde, analyse et dit : "Si je libère, tu vas être encore
plus emmêlé dans les deux voiles. Il faudra qu'on fasse voler
les deux voiles comme ça et on va se poser". A ce moment là,
Cocol regrette de ne pas avoir emporté son Jack ou même les
petits coupe-suspentes.
Pour pouvoir bien faire voler l'ensemble des voiles, Cocol va maintenir
avec sa main gauche une traction vers l'intérieur de l'ensemble
et Jérôme fera le contraire de son côté. A 700
mètres de hauteur, à l'angle de la croisée des pistes,
Cocol distingue un champs de colza, tout jaune. A ce moment les voiles
se tournent l'une vers l'autre...
La voile de Jérôme commence à s'enrouler autour
de la tête de Cocol et de son cône. Il n'y plus que la voile
de Cocol qui porte... Plus ça descend et plus son cône est
enroulé par l'autre voile, et plus ses caissons latéraux
extérieurs se referment. On assiste, en fait, à un étranglement
de voile par le bas.
Les hurlements sont lancés par l'un et l'autre.
Mais ça ne sert à rien... Après un moment de panique
vient le grand calme, il sont sereins, voire "zen"... Chacun pense en lui-même
: "De toutes façons, on a tout tenté, on va impacter.
On va au tapis, c'est sûr". Maintenant chacun fait silence et
attend.
Jérôme décrit des grands arcs de cercle pratiquement
à l'horizontal et Cocol fait des vrilles sur place, avec la tête
dans la voile, ce qui l'empêche de voir ce qui se passe. Quelques
secondes avant l'impact, Jérôme dit : "Cocol ! On va se
planter : adieu." Ce dernier lui répond : "Et bien Adieu
!". 15 secondes, après, c'est l'impact.
Cocol entend un gros vacarme, c'est Jérôme qui tape et
puis dans la fraction de seconde suivante, c'est lui qui tape, un gros
bruit sourd qui résonne jusqu'au fond des tripes. Voile noir.
Cocol revient à lui, il est allongé dans les herbes,
il ne sait plus où il est, c'est un peu le calme après la
tempête. Jérôme est un peu plus loin, il a le souffle
coupé. Pour essayer de reprendre sa respiration, il essaie de pousser
un grand cri, rien ne vient ; puis d'un seul coup le cri retentit. Cocol
entend le hurlement et pense que son copain est fracassé de partout
et qu'il hurle de douleur. Cocol laisse passer un petit moment, récupère
son souffle et décide de se relever. Les cris de Jérôme
ayant cessé, il reprend confiance mais s'aperçoit qu'il ne
sent plus rien du bassin jusqu'aux pieds. Alors là, il pense au
pire : la colonne...
Le directeur technique accoure et voit de loin les voiles encore gonflées
par le vent. Les deux corps gisent immobiles et il crie : "Les gars,
vous êtes vivants ?"
Kiki est sur le parking avec son ami. Il doivent partir à Lognes
pour un meeting organisé par leur club. La voiture est prête
à partir. Ils montent dedans et se dirigent vers la croisée
des pistes, là où sont tombé les deux compères.
10 minutes après leur arrivée sur place, ça va
déjà mieux, Jérôme réclame une cigarette
et Cocol commence à raconter des poésies de bout de piste.
Kiki, reporter dans l'âme, prend une photo pour immortaliser ce grand
moment. Chacun aura droit à son SAMU pour se rendre à l'hôpital.
Cocol souffre d'une double fracture du bassin, 4 côtes cassées,
un traumatisme crânien, ce qui lui vaudra 10 jours d'hospitalisation
et 3 mois d'arrêt. Jérôme souffre d'un tassement de
vertèbres, un traumatisme crânien, une luxation du coude,
il s'en sortira avec 5 jours d'hospitalisation.
11 ans jour pour jour après cet incident qui se termine miraculeusement
bien, j'ai demandé à Cocol de faire une analyse de son saut.
"J'avais 20 ans et parfois on faisait un peu n'importe quoi, et notamment,
du voile-contact après un VR. Maintenant, je ne partirai plus en
voile-contact sans mon Jack ni avec quelqu'un qui n'a pas son B3 et son
Jack, bien sûr !"