L'article du mois :

Incidents :

Il fait plutôt beau et chaud en ce mois de mai 1987, avec quelques turbulences. Midi vient de sonner au clocher de la magnifique cathédrale qui orne la colline sacrée. Cocol a vingt ans et il fait partie de l'équipe des Daltons, qui s'entraîne régulièrement sur ce centre de la Planète Skydive.


Par Daniel-Michel Holleville


Ce jour là, Cocol totalise 242 sauts, dont 50 en voile contact, et il possède déjà la qualification B3. Avec Jérôme, son camarade d'équipe, ils décident de faire un saut de "canop". Ils empruntent deux parachutes du centre équipés de "Contact" (voile 7 caissons spécifique à cette discipline) et ils les replient de façon à pouvoir chuter et faire tout de même "un p'tit VR" à 3 000 mètres, avant le travail sous voile.

Ils ont en main les fameux coupe-suspentes de couleur jaune qui s'appellent Jack. Rappelons la corrélation entre ce nom et le fameux Jack l'éventreur... L'efficacité du Jack est reconnue universellement et tous les contacteurs de la Planète Skydive l'utilisent. Il mesure 20,6 cm, et il s'installe dans un étui placé généralement sur la sangle de poitrine.
Seulement voilà, Cocol et Jérôme n'ont pas les bons étuis... Ils décident alors d'attacher les Jack avec des élastiques de lovage. Ils sont au fond du hangar, quand le directeur technique les appelle : il ne manque plus qu'eux pour que l'avion décolle, le moteur est déjà lancé et tous les autres parachutistes sont à l'embarquement, au taxi-way le plus proche. Les deux compères se regardent et décident qu'ils n'auront pas besoin des Jack. Ils les balancent au fond des sacs de transports et embarquent.
Le Cessna 206 blanc à rayures rouge et bleu prend de l'altitude. Sur axe et largage. Le VR-2 se passe bien et la séparation se fait à 1 800 mètres pour une ouverture à 1 500 mètres. Jérôme est débutant en voile contact, il n'a pas encore sa qualification B3. C'est Cocol qui apponte sa voile par le haut. Jérôme s'occupe simplement de conserver l'axe. Tout se passe bien.

Cocol commence à descendre le long des suspentes de Jérôme pour passer en biplan. Il demande à son coéquipier de freiner sa voile afin de l'aider. En fait, ce n'est pas celui du haut qui descend jusqu'au glisseur de celui du dessous, mais plutôt celui du dessous qui monte le long des suspentes de celui du dessus.

Pour ma part, je pense qu'il faut trouver un point médian entre ces deux hypothèses un peu extrémistes. Toujours est-il que la voile de dessous n'est pas freinée du tout et le conteneur du parachute de secours de Cocol accroche l'extrados du caisson central et commence à fermer partiellement tous les caissons centraux.
"Freines ta voile" demande encore Cocol. Au moment où ce dernier avance le corps pour bien faire passer son sac-harnais et ainsi dégager les caissons centraux, Jérôme donne un grand coup de freins puis relâche tout. Cocol se sent enveloppé de chaque côté et tente d'écarter les bras pour ne pas se faire complètement enroulé et tomber dans le cône de suspension.

Il se retrouve à mi-cône, côté gauche, avec des suspentes entre les jambes ; son bras droit est maintenu en arrière et il est étranglé par d'autres suspentes. Les deux voiles sont décalées l'une par rapport à l'autre. Elles sont presque en côte à côte, l'une derrière l'autre, ça vole dans l'axe mais de temps en temps ça s'ouvre puis ça se referme car une des voiles est bridée.

Cocol demande à Jérôme de libérer. Ce dernier regarde, analyse et dit : "Si je libère, tu vas être encore plus emmêlé dans les deux voiles. Il faudra qu'on fasse voler les deux voiles comme ça et on va se poser". A ce moment là, Cocol regrette de ne pas avoir emporté son Jack ou même les petits coupe-suspentes.
Pour pouvoir bien faire voler l'ensemble des voiles, Cocol va maintenir avec sa main gauche une traction vers l'intérieur de l'ensemble et Jérôme fera le contraire de son côté. A 700 mètres de hauteur, à l'angle de la croisée des pistes, Cocol distingue un champs de colza, tout jaune. A ce moment les voiles se tournent l'une vers l'autre...
La voile de Jérôme commence à s'enrouler autour de la tête de Cocol et de son cône. Il n'y plus que la voile de Cocol qui porte... Plus ça descend et plus son cône est enroulé par l'autre voile, et plus ses caissons latéraux extérieurs se referment. On assiste, en fait, à un étranglement de voile par le bas.

"Fais quelque chose !"
"Détorsades !"
"Tires à droite !"

Les hurlements sont lancés par l'un et l'autre.
Mais ça ne sert à rien... Après un moment de panique vient le grand calme, il sont sereins, voire "zen"... Chacun pense en lui-même : "De toutes façons, on a tout tenté, on va impacter. On va au tapis, c'est sûr". Maintenant chacun fait silence et attend.

Jérôme décrit des grands arcs de cercle pratiquement à l'horizontal et Cocol fait des vrilles sur place, avec la tête dans la voile, ce qui l'empêche de voir ce qui se passe. Quelques secondes avant l'impact, Jérôme dit : "Cocol ! On va se planter : adieu." Ce dernier lui répond : "Et bien Adieu !". 15 secondes, après, c'est l'impact.
Cocol entend un gros vacarme, c'est Jérôme qui tape et puis dans la fraction de seconde suivante, c'est lui qui tape, un gros bruit sourd qui résonne jusqu'au fond des tripes. Voile noir.
Cocol revient à lui, il est allongé dans les herbes, il ne sait plus où il est, c'est un peu le calme après la tempête. Jérôme est un peu plus loin, il a le souffle coupé. Pour essayer de reprendre sa respiration, il essaie de pousser un grand cri, rien ne vient ; puis d'un seul coup le cri retentit. Cocol entend le hurlement et pense que son copain est fracassé de partout et qu'il hurle de douleur. Cocol laisse passer un petit moment, récupère son souffle et décide de se relever. Les cris de Jérôme ayant cessé, il reprend confiance mais s'aperçoit qu'il ne sent plus rien du bassin jusqu'aux pieds. Alors là, il pense au pire : la colonne...

"Jérôme ( au premier plan) et Cocol, étendus après leur atterrissage très violent".
Photo Christine Carayon.

Le directeur technique accoure et voit de loin les voiles encore gonflées par le vent. Les deux corps gisent immobiles et il crie : "Les gars, vous êtes vivants ?"
Kiki est sur le parking avec son ami. Il doivent partir à Lognes pour un meeting organisé par leur club. La voiture est prête à partir. Ils montent dedans et se dirigent vers la croisée des pistes, là où sont tombé les deux compères.
10 minutes après leur arrivée sur place, ça va déjà mieux, Jérôme réclame une cigarette et Cocol commence à raconter des poésies de bout de piste. Kiki, reporter dans l'âme, prend une photo pour immortaliser ce grand moment. Chacun aura droit à son SAMU pour se rendre à l'hôpital. Cocol souffre d'une double fracture du bassin, 4 côtes cassées, un traumatisme crânien, ce qui lui vaudra 10 jours d'hospitalisation et 3 mois d'arrêt. Jérôme souffre d'un tassement de vertèbres, un traumatisme crânien, une luxation du coude, il s'en sortira avec 5 jours d'hospitalisation.
11 ans jour pour jour après cet incident qui se termine miraculeusement bien, j'ai demandé à Cocol de faire une analyse de son saut. "J'avais 20 ans et parfois on faisait un peu n'importe quoi, et notamment, du voile-contact après un VR. Maintenant, je ne partirai plus en voile-contact sans mon Jack ni avec quelqu'un qui n'a pas son B3 et son Jack, bien sûr !"

Notre analyse
Cocol a raison : le Jack et la qualification B3 sont indispensables pour pratiquer le voile-contact. De même, évitez de faire du VR avec quelqu'un qui n'a pas sa qualification B2, les conséquences feront certainement l'objet d'un prochain article.

On ne peut que louer l'attitude de Jérôme qui préfère se poser très dur à deux sous une voile plutôt que de libérer et mettre son copain dans une situation sans issue. Chapeau bas !
Bien préparer son saut, c'est aussi bien préparer son matériel, faites attention ! Deux voiles volant côte à côte, peuvent avoir tendance à partir en "miroir" très facilement, il faut anticiper.
Le Jack est utilisé principalement par les contacteurs mais si vous en voyez un sur pilote tandem ou cousu sur le harnais du passager ne vous inquiétez pas : on ne fait pas de voile-contact en tandem ! En tandem, le jack peut servir à couper une commande de manoeuvre verrouillée et ainsi éviter, peut-être, une procédure de secours.

Retour au sommaire