Par Patrick Passe - Photos Fritz Pfnur
Eloy, samedi 16 novembre. Comme chaque jour, un soleil rouge va disparaître derrière le désert d'Arizona. 10 free flyers sont maintenant sous voile. De nombreux autres parachutistes attendent qu'ils se posent pour les acclamer à l'issue de ce centième saut qu'ils viennent de partager ensemble. 100 sauts à 10 free flyers sur une période d'une douzaine de jours, c'était le but de ce premier Free Fly Festival, organisé par Charles Bryan, simplement pour que la discipline progresse d'un pas vers le futur. Notre édition de novembre présentait un article de Free Fly, avec les résultats et un portrait des meilleures équipes du Pro Tour 96. Et bien un mois plus tard, en voici déjà un deuxième. Impossible de faire autrement pour un magazine de parachutisme qui se doit de refléter une actualité aussi brûlante. Chaud devant !... Le moment est important : voici comment s'est déroulé le Festival. Ensuite nous converserons avec Charles Bryan, créateur de l'événement.
Notre magnifique sport avance fort. Il y a 20 ans, B.J. Worth réalisait un film de Vol relatif à 16, au-dessus de Koolidge, en Arizona. 16 pionniers de la séquence allaient étonner le monde du parachutisme avec les premières images de vol sur plan horizontal. Leurs combinaisons étaient amples. Ce film, qui allait s'intituler Wings, était tourné en 16 mm. 20 années plus tard, à quelques kilomètres seulement de Coolidge, les combinaisons des pionniers sont toutes aussi larges, mais leurs caméras sont numériques et ils volent dans toutes les dimensions.
Charles Bryan a financé l'opération, soit 1 000 sauts gratuits pour cette bande de fous furieux du Free Fly. Il a choisi ses participants parmi les meilleurs, soit les Free Fly Clowns, les Fly Boys, Fritz Knur (coéquipier de Charles avant qu'il ne devienne videoman des Clowns), Mike Vail (1er videoman d'Olav Zipser quand il était compétiteur en Freestyle), Orly King, Adrian Nicholas et Claude Tzifkansky. L'équipe a fait 10 sauts par jour, entre 10 h le matin et les dernières lueurs orangées d'un soleil qui se couche tôt au mois de novembre en Arizona (vers 17 heures). Chaque saut était réalisé 2 fois de suite ; bon rythme donc, bien soutenu par une équipe de plieurs qui permettait aux free flyers d'enchaîner sans attendre. E tour de rôle, et pour chaque saut, 5 ou 6 d'entre eux sautaient avec sa propre caméra vidéo numérique, équipée d'un grand angle. Les images d'un monde renversant étaient ensuite "masterisées" (1) et présentées tout au long de la journée dans la salle de pliage, sur une télévision grand écran. Au cours de l'hiver, Charles préparera une vidéo cassette qu'il commercialisera en début d'année prochaine. Elle présentera les meilleurs moments du Free Fly Festival.
J'ai présenté l'événement un peu comme un boogie où tous les free flyers étaient invités. En plus de notre groupe à 10, une autre quinzaine de free flyers sont venus, principalement des Allemands, des Américains, des Français et des Italiens. En parallèle à nos sauts à 10, quelques membres de notre groupe devaient organiser et encadrer d'autres sauts avec ces free flyers. L'idée fût plus difficile à réaliser que je ne le pensais. J'aurais eu besoin d'aide pour mieux concrétiser cette idée, j'ai manqué de temps car j'ai mis toute mon énergie dans mon groupe à 10. Je souhaite renouveler le Free Fly Festival en 1997 et j'ai maintenant de nombreuses idées en ce qui concerne l'organisation d'un tel événement. Toutefois au cours de cette première, notre groupe "10-way" a réalisé d'étonnants sauts qui poussent la discipline en avant. Et les autres participants ont pu en bénéficier en regardant nos vidéos et en recueillant des informations. Ils pouvaient immédiatement les restituer en l'air grâce à la bonne cadence de sauts possible à Eloy. Le Free Fly s'apprend en sautant beaucoup.
A l'issue de la première étape du Pro Tour 96, qui s'est déroulée en mai à Sebastian (Floride), nous avons profité de la présence des équipes pour effectuer quelques sauts à 10 ou 12 en dehors de la compétition. Malgré la grande marge de vitesse de déplacement, les sauts se sont révélés très "safe" et fun. Ensemble nous avons manifesté le désir de nous retrouver durant une semaine, afin de réaliser une centaine de sauts de Free Fly "10-way". Il ne restait plus qu'à l'organiser et j'ai choisi de le faire en payant 100 sauts à un groupe de 10 personnes. J'ai pu bénéficier d'un bon tarif à Eloy (Skydive Arizona) en achetant 1 000 sauts et en les payant 3 mois à l'avance. Et puis Eloy est l'endroit où l'on peut planifier 100 sauts sur une courte période sans être ennuyé par une mauvaise météo.
Échafauder ce que nous devions faire pour chacun de nos sauts fut certainement le plus difficile. En tout cas pour la première moitié de la semaine. Les possibilités en Free Fly sont sans limite, nous avions individuellement d'excellentes idées sur ce que nous pouvions réaliser avec un groupe à 10. Le plus difficile était d'accorder nos violons. Il fallait créer le saut, l'organiser et le préparer tout comme en Vol relatif. Sur les 100 sauts que nous avons réalisés, tous n'étaient pas excellents. Certains furent même frustrants, d'autres auraient pu être dangereux avec des croisements et des placements à grande vitesse. Ma principale préoccupation était que personne ne se fasse mal. Nous n'avons eu aucune collision, chacun d'entre nous a su tenir compte de sa propre sécurité et de celle des autres. Séparations, dérives et altitudes d'ouverture furent irréprochables.
Nous avons 5 ou 6 types de sauts que nous avons répétés avec succès. La première journée nous avons fait des sauts de no contact afin de caler les taux de chute, travailler la proximité sans grip et penser à la sécurité. Puis ensuite notre but fut de construire une étoile à 10 tête en bas. Nous y avons consacré quelques sauts et constaté que ce n'était pas si facile. La plus grande étoile fut construite à 6. Nous avons rencontré les mêmes problèmes qu'en Vol relatif : tensions, niveaux, rotations, taux de chute trop lent. Puis à plusieurs reprises nous avons sorti avec succès une étoile, accrochés à 8 du Twin Otter, tous tête en bas bien sur. Nous avons ensuite abandonné l'idée de construire le grand rond à 10, réalisant qu'une trop grande obstination nous éloignerait de sauts tellement plus intéressants et seulement possibles en Free Fly. Nous avons ensuite réalisé un saut que nous appelons "Flower". Quatre d'entre nous construisaient une figure en se "grippant" au milieu avec une prise main droite et en volant de côté. Puis cette figure à 4 tournait dans un sens tandis que 4 autres tournaient individuellement en périphérie et dans le sens contraire de la "fleur". Les images que nous avons ramenées de ce saut sont vraiment extraordinaires et plus particulièrement celles de Olav Zipser volant à fond dans la direction opposée de la vague extérieure. La "fleur" à 4 volait idéalement et nous avons fait de nombreuses variantes avec ce type de sauts en appontant dessus ou en volant autour dans différentes positions.
Après une bonne cinquantaine de sauts, nous avons subi une baisse d'énergie et d'imagination. Notre moral et la qualité de ce que nous faisions s'en sont ressentis durant un jour ou deux. Puis Claude Tzifkansky est venu intégrer notre groupe. Son expérience de relativeur nous a apporté un second souffle. Il a apporté d'excellentes idées provenant du vol relatif et nous les avons adaptées puissance 10 à nos sauts de Free Fly. La première de ses idées fut un saut que nous avons appelé "Game" : 2 ou 3 personnes se placent en référence et à distance l'une des autres, dessinant ainsi un circuit en forme de 8 que les 7 autres free flyers parcourent en se suivant et aussi en se croisant avec des déplacements très rapides, des virages et des croisements. Ce fut certainement le type de sauts qui aurait pu être le plus dangereux si nous n'avions pas été prudents. Mais tout s'est vraiment bien déroulé. Nous avons fait ce saut plusieurs fois pour l'améliorer et ce fut sans doute le plus amusant.
Nous avons ensuite sauté du Skyvan pour bénéficier de la tranche arrière et en sortir des configurations accrochées que le Twin ne pouvait nous permettre. Nous avons sorti un 6-way "Piggy Back" : 3 free flyers étaient en étoile, 3 autres formaient des binômes en se plaçant derrière chaque personne de l'étoile à 3 et en tenant leur parachute au niveau des omoplates. Après avoir sorti cette configuration nous la tenions quelques secondes. Puis les 3 du centre lâchaient leurs prises pour laisser voler les 3 binômes les uns par rapport aux autres. Du Skyvan la sortie la plus "cool" que nous avons réalisée fut 2 étoiles à 3 cote à cote sans connexion. Les 2 étoiles quittaient la tranche ensemble et à proximité, directement tête en bas. Puis nous faisions ensuite voler ces 2 "satellites 3-way" l'un autour de l'autre et dans toutes les dimensions : dessus, dessous, autour... Ce fut grandiose ! Tu parles plus souvent de sauts à 6 ou 8, alors que vous étiez un groupe de 10. Quel était le rôle des personnes en sus pour ces sauts 6 ou 8-way ? Selon le type de sauts, chacun se sentait plus ou moins confortable aux places que nous avions à tenir. Nous en discutions avant chaque saut et ceux qui ne se sentaient pas à l'aise devenaient alors videomen extérieurs.
Définitivement, oui ! J'en ai parlé avec Larry Hill, patron de Skydive Arizona, et il sera enchanté de recevoir l'événement sur son centre en 97. Pour lui aussi ce fut une expérience très positive. Évidemment j'ai tiré de nombreuses leçons de ce premier Free Fly Festival. Elles me permettront de l'améliorer l'an prochain. Tout d'abord je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire 100 sauts. Un peu moins de sauts, davantage de briefings et de debriefings seraient certainement une solution enrichissante. Je pense aussi qu'un groupe de 8 au lieu de 10 serait plus commode. Un autre point important sera aussi de proposer une solide organisation de sauts à tous les free flyers qui viendront au Festival. Larry Hill souhaite aussi une compétition de Free Fly sur quelques sauts, à la fin du Festival, avec des prix à gagner. Tout est à faire, le Free Fly est maintenant une vraie discipline du parachutisme sportif. De plus en plus de personnes s'y consacrent entièrement. Le succès de ce premier Free Fly Festival nous montre que nous sommes au début d'une nouvelle ère.
(1) N.D.L.R., "masterisées" = sauvegardées sur un même support vidéo.